Présence militaire française en Afrique : comment la France compte réellement s’y prendre
TOURNANT. Dans une déclaration au ministère des Armées, la veille du 14 Juillet, le président Macron a ouvert la porte à une offre militaire française rénovée en Afrique.
Par Le Point Afrique – Publié le
Un coup d’accélération. Le président français, Emmanuel Macron a ouvert la porte mercredi, à la veille du 14 Juillet, à une transformation de l’offre militaire française en Afrique, vers un dispositif plus discret, qui imposera de fait de revoir l’ensemble des dispositifs français en Afrique. Ce changement de cap intervient alors que l’armée française est en passe de quitter le Mali à la fin de l’été et qu’elle a des milliers de militaires impliqués dans la lutte antidjihadiste au Sahel.
Dans sa traditionnelle allocution au ministère des Armées, le chef de l’État français a affirmé sa volonté de « réussir à bâtir dans la durée une intimité plus forte avec les armées africaines, reconstruire une capacité à former, ici et là-bas », tout en restant en deuxième ligne, et alors que Paris veut préparer ses armées aux conflits de haute intensité comme celui d’Ukraine. Le président Macron a par ailleurs évoqué la nécessité d’un « continuum entre notre offre diplomatique, nos actions rénovées pour le partenariat africain, nos actions de développement » en Afrique. « C’est un changement de paradigme profond », a-t-il martelé.
Les ministres des Armées, Sébastien Lecornu, et des Affaires étrangères, Catherine Colonna, sont attendus dès le 15 juillet au Niger pour expliquer aux différents partenaires les grandes lignes de la nouvelle stratégie. M. Lecornu se rendra le lendemain en Côte d’Ivoire. Avant un déplacement, fin juillet, du président Macron dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne.
En effet, la France, ancienne puissance coloniale d’une partie des pays du continent, y maintient une forte présence militaire. Outre son engagement au Sahel, en pleine restructuration, elle a des éléments déployés au Sénégal, au Gabon, en Côte d’Ivoire et à Djibouti.
Changement de paradigme
Alors que le chantier d’une refondation de la stratégie militaire française en Afrique est en cours d’élaboration depuis de longs mois, le bras de fer entre Paris et Bamako, puis la guerre en Ukraine sont devenus des facteurs d’accélération de la réflexion. La France entend tirer les leçons de son engagement au Mali, notamment pour éviter les écueils passés. « Nous avons certes fait monter en puissance l’armée malienne, mais nous avons parfois agi à sa place. C’est terminé », a récemment confié à l’AFP le commandant de Barkhane, le général Laurent Michon, qui sera remplacé en août par le général Bruno Baratz.
Hier partenaire clé de Bamako, la France, ancienne puissance coloniale, est désormais persona non grata. La junte au pouvoir depuis 2020 a poussé dehors l’armée française et a fait appel aux Russes, via la sulfureuse société paramilitaire Wagner, même si Bamako s’en défend. Le bilan est mitigé : si l’opération Barkhane, qui a succédé à l’opération Serval en 2013, a obtenu de beaux succès tactiques en supprimant de nombreux chefs djihadistes et en entravant la marge de manœuvre des groupes armés, l’État malien n’a jamais transformé l’essai en apportant des réponses politiques. Conséquence : les violences continuent de s’intensifier et le sentiment antifrançais a gagné du terrain.
« On change de paradigme, avec une présence partenariale plus discrète. Aujourd’hui, se déployer avec une armada n’est plus dans l’air du temps », résume le colonel Hubert Beaudoin, sous-chef opérations de Barkhane.
Désormais, l’armée française offrira son soutien, mais en deuxième ligne. Une manière de réduire la visibilité de son action, qui agit comme un irritant dans les sociétés africaines, tout en maintenant une présence dans cette zone d’influence historique.
Une nouvelle feuille de route qui reste à définir
Une fois désengagée du Mali, la France aura divisé par deux sa présence au Sahel en ne maintenant que 2 500 militaires environ dans la région. Mais Paris affirme depuis des mois ne pas renoncer à la lutte antiterroriste et discuter avec les pays du Sahel et du golfe de Guinée pour préparer de nouvelles formes d’intervention.
Au Niger, les Français maintiendront un PC dédié avec plus d’un millier d’hommes et des capacités aériennes pour fournir un appui feu et du renseignement dans le cadre d’un « partenariat de combat » avec les forces armées nigériennes (FAN), déployées avec 250 soldats français à proximité de la frontière avec le Mali face aux djihadistes liés à Al-Qaïda ou au groupe État islamique. « Aujourd’hui, on inverse complètement la relation partenariale : c’est le partenaire qui décide de ce qu’il souhaite faire, des capacités dont il a besoin et qui commande lui-même les opérations effectuées avec notre appui », explique le général Hervé Pierre, commandant du PC Partenariat. « C’est la meilleure des voies pour continuer à agir efficacement à leurs côtés sans alimenter les délires de certains sur les réseaux sociaux », insiste-t-il.
L’état-major est en revanche peu disert sur les autres coopérations à la carte (partenariat de combat, formation, conseil, appui) proposées aux pays de la région, notamment aux pays du golfe de Guinée (Bénin, Togo…). « Des échanges sont en cours entre les capitales africaines, Paris et les capitales européennes », commente seulement le commandant de Barkhane.
L’état-major français de l’opération qui succédera à Barkhane sera pour l’heure maintenu à N’Djamena, au Tchad, avec lequel la France a un accord de défense. Mais ses effectifs seront allégés.
Quant au Burkina Faso, il est « preneur de notre aide, mais reste frileux de nous voir densifier notre présence terrestre au-delà de Sabre », un contingent de forces spéciales françaises basé dans la région de Ouagadougou, souligne un haut gradé.
Au-delà d’aider à contenir les violences djihadistes qui menacent de s’étendre jusqu’au golfe de Guinée, l’enjeu pour Paris du maintien d’une présence militaire française est d’éviter un déclassement stratégique, à l’heure d’une compétition accrue sur la scène internationale. En Afrique de l’Ouest, les Russes mènent une stratégie agressive d’influence à coups de campagnes massives de désinformation antifrançaise. « Les attaques menées par Wagner sur les réseaux sociaux dépassent largement le Mali et se répandent en Afrique », avertit le renseignement militaire de Barkhane. « On a redécouvert ce danger, mais c’est un des ressorts de la guerre. » Or, « la France, acteur diplomatique et militaire incontournable dans la région, justifie en Afrique de l’Ouest comme nulle part ailleurs dans le monde son statut de puissance moyenne d’influence globale », fait valoir dans un récent rapport Elie Tenenbaum, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri).