Présidente du G20, l’Inde se rêve en leader des pays du Sud
https://www.slate.fr/story/252684/inde-presidence-sommet-g20-leader-pays-sud-narendra-modi
New Delhi accueille le sommet du G20 ces samedi et dimanche 9 et 10 septembre. Une occasion rêvée pour la cinquième puissance économique mondiale de briller à l’international.
«Attachée au multilatéralisme, l’Inde préconise traditionnellement que les pays en développement aient davantage leur mot à dire dans les décisions ayant des conséquences sur leur avenir commun. Grâce à son leadership au sein du G20, elle offre un forum aux pays du Sud, sous-représentés au sein des grandes organisations mondiales», indique d’emblée l’universitaire indienne Nikita Anand, spécialisée en politique étrangère et chercheuse à la fondation Usana de Delhi. Ce pays émergent et cinquième puissance économique mondiale (selon les données du Fonds monétaire international) compte s’appuyer sur cette double casquette et sur sa présidence du G20 pour prendre le leadership des pays du Sud.
C’est même un rôle qu’elle «réinvestit», rappelle Isabelle Saint-Mézard, maîtresse de conférences en géopolitique de l’Asie à l’Institut français de géopolitique, précisant que son intention est de «réformer les institutions multilatérales afin d’accorder plus de place aux pays émergents», «hégémonisés» dans les prises de décisions des pays riches au sein des instances internationales. Nikita Anand ajoute à cela le fait que «l’émergence de l’Inde en tant que puissance majeure réfute ces points de vue dogmatiques et centrés sur l’Occident».
«L’ancien ordre mondial s’effondre»
Lors du précédent sommet du G20, qui s’est tenu en Indonésie, le Premier ministre indien Narendra Modi avait affirmé que le multilatéralisme changeait de visage: «L’ancien ordre mondial s’effondre et c’est une période de transition où le nouvel ordre se développe, créant de nouvelles normes et standards où les pays du Sud vont gagner en importance et en considération.»
Depuis sa création en 1999 dans un contexte de crise financière, le G20 (composé de dix-neuf pays et de l’Union européenne) a évolué, devenant «un lieu d’échanges, de débats et de propositions sur les grands enjeux mondiaux», souligne la chercheuse indienne Nikita Anand.
Pour elle, c’est même «une période unique dans l’histoire mondiale qui se dessine avec la présidence successive du G20 par quatre grandes puissances émergentes»: l’Indonésie (2022), l’Inde (2023), le Brésil (2024), l’Afrique du Sud (2025). «Au cours de sa présidence, l’Inde doit s’imposer par la réflexion et par l’action si elle veut être considérée comme un acteur mondial performant. Cette présidence a le potentiel d’influencer de manière significative sa position dans le Sud global.»
Vasudhaiva Kutumbakam
Selon la coutume, c’est le pays hôte du sommet qui détermine la thématique. Celle choisie par l’Inde, «Une terre, une famille, un avenir» («Vasudhaiva Kutumbakam») est l’objectif affiché de Narendra Modi. «La présidence indienne du G20 s’efforcera de promouvoir ce sentiment universel d’unité. D’où notre thème: “Une terre, une famille, un avenir”», a-t-il affirmé. Son challenge? Rassembler le monde pour travailler dans les domaines de la finance, de la santé, de l’éducation et du secteur des affaires.
Croissance inclusive, équitable et durable, économie circulaire, sécurité alimentaire et énergétique, financement des questions environnementales et développement de l’hydrogène vert, autonomisation des femmes, infrastructures publiques numériques et développement technologique dans divers domaines, coopération au développement et lutte contre la criminalité économique: autant de priorités que l’Inde a identifiées pour sa présidence. Et auxquelles elle doit tenter de répondre en trouvant des consensus.
«Un pari loin d’être gagné, prédit Isabelle Saint-Mézard. Cela va être ardu pour l’Inde d’obtenir des consensus sur les solutions à adopter, car il y a bien plus de divergences qu’auparavant. Y aura-t-il un communiqué de résolutions conjoint à l’issue du sommet? Pas sûr.»
Une puissance innovante
La capacité à innover de l’Inde en fait sans conteste une puissance majeure. Preuve en est, sa Silicon Valley et ses cerveaux sont courtisés depuis bien longtemps par les géants de la tech.
«C’est un pays qui trouve des solutions technologiques à de grands problèmes avec des budgets restreints. Cela permet d’universaliser des solutions dans bien des secteurs tels que l’agriculture, l’éducation, les services financiers, l’accès aux crédits, aux services de santé… Ses solutions sont pertinentes pour les pays de Sud et peuvent être exportées», note Isabelle Saint-Mézard.
En témoignent notamment son université numérique et ses consultations médicales en ligne aujourd’hui développées en Afrique. Cette force d’innovation est, pour l’Inde, une force de frappe qui peut nourrir le rôle de leadership des pays en développement qu’elle souhaite incarner.
En accueillant ce sommet, l’Inde brille. D’abord à l’international, en prouvant qu’elle a l’expertise et la capacité diplomatique pour conduire et encadrer des négociations et des échanges; les structures logistiques pour gérer et accueillir tous les grands de ce monde. La chance pour elle de «valoriser à l’international toutes les opportunités que présente son pays pour les grands investisseurs étrangers. C’est vital pour donner de l’emploi aux millions de jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail», estime l’experte de l’Institut français de géopolitique.
Narendra Modi a aussi des intérêts nationaux à faire valoir, voire des intérêts personnels à l’approche des élections générales de 2024, durant lesquelles il compte bien briguer un nouveau mandat. «Il peut montrer aux Indiens que grâce à lui, l’Inde est plus que jamais écoutée sur la scène internationale. Narendra Modi a très bien compris ce qu’il pouvait tirer de ce sommet à des fins de popularité et donc électorales», poursuit la chercheuse. Le logo du G20 présenté par l’Inde reprend d’ailleurs l’image du lotus, le symbole du parti de Narendra Modi, le Bharatiya Janata Party (BJP, le Parti nationaliste hindou).
L’Ukraine, persona non grata de ce sommet 2023
Parce que l’Inde a besoin de trouver des résolutions consensuelles et de s’afficher comme une puissance capable de fédérer, elle n’a pas envie que la question ultra sensible de l’Ukraine vienne entacher ce G20. N’ayant pas condamné la Russie et entretenant de bonnes relations avec l’Occident, l’Inde est vue comme pouvant régler certaines questions liées à la guerre, dont celles de la sécurité alimentaire et énergétique.
Mais Narendra Modi ne l’entend pas de cette oreille. «La question ukrainienne risque de bloquer les négociations et l’Inde ne veut surtout pas compliquer davantage ce sommet. Narendra Modi a d’ailleurs refusé la demande du président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui voulait participer au G20», note Isabelle Saint-Mézard.
Entre le président chinois Xi Jinping qui ne viendra pas, le dirigeant russe Vladimir Poutine qui sera représenté par son ministre des Affaires étrangères et le président américain qui souhaite renforcer ses liens avec le pays et viendra défendre la réforme du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, c’est dans une atmosphère diplomatique très tendue que va se dérouler ce sommet, si important pour les ambitions indiennes.