Que reste-t-il des théories de la contre-insurrection ? 3/4

Que reste-t-il des théories de la contre-insurrection ? 3/4

Une chaîne de commandement civilo-militaire : la mise en place de l’approche globale


Rare exemple d’une contre-insurrection réussie, la Malaisie a été le théâtre d’expérimentations qui n’étaient pas sans rappeler une forme « préhistorique » des concepts d’approche « intégrée » ou « globale ».

En effet, Sir Gerald Templer met en place une hiérarchie de comités civilo-militaires réunissant responsables politiques, militaires, juridiques et policiers dans une approche interservices visant à coordonner les efforts, notamment en s’assurant de l’échange de renseignements, et donc à démultiplier les effets de l’action militaire sur le terrain. Permettant un relais des directives venues des échelons supérieurs tout en préservant les prises d’initiative des échelons inférieurs, la hiérarchie civilo-militaire décentralisée de Templer (échelon fédéral, fédéré, districts) se révélera déterminante pour la contre-insurrection en Malaisie.

Là encore, si Templer l’a appliquée avec brio, le commandement civilo-militaire, repris par la doctrine anglo-saxonne sous le terme de civilian-military cooperation (CIMIC) trouve ses racines chez Lyautey et Gallieni, qui eux-mêmes se sont certainement inspirés des Bureaux arabes de Bugeaud en Algérie. Sous les mandats de Gallieni et Lyautey, c’est le corps des « Contrôleurs civils » qui jouera ce rôle, chargé d’assister et de conseiller les autorités locales (pachas et caïds au Maroc). Lyautey insistera particulièrement sur leur caractère essentiellement supplétif, les contrôleurs civils en qualité de représentants du Protectorat, n’avaient pas vocation à administrer directement. Point de divergence6 entre les maréchaux, le militaire doit, pour Lyautey, céder la place au politique une fois la zone stabilisée. Gallieni considérait pour sa part que ses officiers étaient parfaitement qualifiés pour demeurer en charge, rejetant ainsi l’adage « Cedant arma togae » (« les armes le cèdent à la toge »)7.

Aujourd’hui, l’approche globale est si prégnante qu’on ne saurait imaginer une opération de stabilisation sans coopération civilo-militaire réunissant acteurs militaires juridiques, policiers, politiques et responsables d’ONG.

Ainsi l’opération Artemis de stabilisation de l’Ituri a été menée par l’Union européenne en coordination avec la mission des Nations unies (MONUC). Cette approche civilo-militaire où le second aspect est subordonné au premier, n’empêche pas les acteurs militaires d’exercer, de façon épisodique, des pouvoirs normalement échus aux civils. Ainsi, certains chefs de section ont été amenés, lors de l’opération Sangaris, à exercer des fonctions de coordinateurs et d’administrateurs pour pallier l’absence totale de système judiciaire. Dans la droite lignée des préceptes de Lyautey, cette utilisation de pouvoirs civils par le militaire n’est toutefois que temporaire : jusqu’à ce qu’un minimum de sécurité soit rétabli. C’était le principe même de l’opération Sangaris (et avant elle Artemis) qui, en tant que « bridging operation » devait créer les conditions pour passer le relais aux civils et militaires de la mission onusienne en Centrafrique (MINUSCA)8. Les opérations de contre-insurrection, parce qu’elles ont lieu au cœur même des populations, ont toutefois des particularités tant dans leur stratégie que dans leurs modes tactiques.

 
6 Cette divergence doctrinale s’explique toutefois par la différence des statuts du Maroc et de Madagascar. Si le Maroc était un protectorat, justifiant la présence seulement « supplétive » et conseillère de l’administration française, Madagascar était un territoire colonial. À ce titre, le pouvoir colonial avait pleinement vocation à administrer directement les territoires de Madagascar.
7 Certains théoriciens de la Doctrine de Guerre révolutionnaire, dont le colonel Trinquier, préconisaient l’instauration d’une législation d’exception et la concentration des pouvoirs dans les mains d’un militaire jusqu’à l’élimination des insurgés et de leur appareil politico-militaire.
8 La Mission des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (MINUSCA) est une opération de maintien de la paix des Nations unies en Centrafrique. Elle est en cours depuis le 10 avril 2014.

Séparateur