Russie : les dépenses militaires s’envolent, pour peser un tiers du budget de l’Etat
La Russie de Vladimir Poutine est officiellement pleinement engagée dans une économie de guerre. Pour 2023, le Kremlin a doublé son objectif de dépenses de défense, à plus de 90 milliards d’euros, selon un document du gouvernement examiné par Reuters. Désormais, les dépenses militaires représenteront cette année un tiers de toutes les dépenses publiques. Cette politique n’est pas sans conséquences, tandis que le déficit public se creuse et que la guerre en Ukraine pèse dans les finances de Moscou.
Soumis à des sanctions occidentales depuis l’annexion de la Crimée en 2014, le Kremlin n’administre plus seulement une économie protectionniste qui vise à protéger les intérêts russes. Désormais, les investissements se portent sur son appareil militaro-industriel, à l’image des cadences de production que Moscou annoncent faire tourner à plein régime.
Les chiffres montrent que sur le premier semestre 2023, la Russie a ainsi dépensé 12% de plus pour la défense que ce qu’elle avait initialement prévu de dépenser sur l’ensemble de l’année, le surcoût atteignant 600 milliards de roubles (5,80 milliards d’euros) sur 4.980 milliards de roubles prévus.
Sur les six premiers mois de 2023, les dépenses de défense se sont élevées à 5.590 milliards de roubles, soit 37,3% des dépenses budgétaires totales qui atteignent 14.970 milliards de roubles sur la période, selon le document.
Or, le plan budgétaire de la Russie prévoyait de consacrer 17,1% du budget à la défense.
Pour l’armée seulement, en janvier et février les dernières données accessibles au public montrent que Moscou a dépensé 2.000 milliards de roubles . Au cours du premier semestre de cette année, les dépenses budgétaires ont augmenté de 2.440 milliards de roubles par rapport à la même période de 2022, et selon le document, 97,1% de cette somme supplémentaire a été consacrée au secteur de la défense.
L’augmentation du budget pour les salaires des militaires
Le financement de la défense fait partie des dépenses classifiées, mais certaines données, bien qu’elles ne soient plus publiques, sont diffusées. Le document montre par exemple que la Russie a dépensé près de 1.000 milliards de roubles pour les salaires des militaires au cours du premier semestre, soit 543 milliards de roubles de plus qu’au cours de la même période l’année dernière.
Aussi, le document fournit une nouvelle estimation des dépenses annuelles de défense, qui atteindraient désormais 9.700 milliards de roubles, soit un tiers des dépenses budgétaires totales prévues pour 2023, qui s’élèvent à 29.050 milliards de roubles. Il s’agirait de la part la plus élevée depuis au moins la dernière décennie.
Depuis le début de l’année, la Russie a déjà dépensé 57,4% du nouvel objectif budgétaire de dépenses de défense, selon le document.
Le déficit va s’alourdir
Ce fléchage de l’argent public assumé risque de fragiliser l’économie russe qui doit composer avec la forte dépréciation du rouble. Les Russes risquent de voir le coût de la vie se renchérir. A cela s’ajoute la baisse des rentrées issues des hydrocarbures depuis les embargos décidés par les Occidentaux suite à l’invasion de l’Ukraine en février 2022.
Résultat, après avoir pesé 2,2% du PIB en 2022, le déficit public risque de se creuser encore en 2023. Selon les prévisions du Fonds monétaire international (FMI), publiées le 11 avril dernier, il devrait atteindre 6,2%, un niveau « très important, selon les standards russe ». L’augmentation du coût de la guerre soutient certes la modeste reprise économique de la Russie cette année grâce à une production industrielle plus élevée, mais a poussé le budget vers le déficit d’environ 26 milliards d’euros, un chiffre aggravé par la baisse des recettes d’exportation.
La Russie, exportatrice nette, affiche généralement des excédents budgétaires, mais elle fera état d’un déficit pour la deuxième année consécutive, la valeur des exportations d’énergie ayant chuté de 47% en glissement annuel au cours du premier semestre.
Quelles conséquences pour les Russes ?
Surtout, l’augmentation des dépenses budgétaires accroît les risques d’inflation, et la banque centrale a relevé ses taux à 8,5% en juillet. Les analystes s’attendent à ce que le taux directeur augmente encore.
Evguéni Souvorov, économiste de CentroCreditBank, explique les conséquences de cette accélération de l’industrie militaire.
« Nous ne savons pas jusqu’à quel point il est possible d’augmenter la production de chars et de missiles », a déclaré Evguéni Souvorov sur son canal MMI Telegram. « Mais nous savons que l’augmentation de cette production n’est possible qu’au prix d’une hémorragie de personnel dans d’autres secteurs de l’économie. »
Le financement des écoles, des hôpitaux et des routes a déjà été réduit cette année au profit de la défense, et d’autres domaines pourraient subir des coupes.
« Le complexe militaro-industriel soutient la croissance industrielle, tandis que les industries civiles ralentissent à nouveau », a déclaré Dmitri Polevoy, responsable des investissements chez Locko-Invest, après la publication, la semaine dernière, des données relatives à la production industrielle pour le mois de juin.
« Les aides fiscales abondantes ont un assez bon impact pour le moment, mais n’améliorent guère la position de l’économie à moyen ou à long terme », souligne Dmitri Polevoy. « Dès que l’assainissement budgétaire deviendra inévitable, l’économie ralentira rapidement.»
La Banque de Russie prévoit une croissance du PIB de 1,5% à 2,5% cette année, conformément aux prévisions des analystes interrogés par Reuters la semaine dernière. Le gouvernement russe et le ministère des Finances n’ont pas répondu aux demandes de commentaires.
(Avec Reuters).