Taïwan: l’exercice Joint Sword, tempête dans un verre d’eau ou coup d’épée dans l’eau?
par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 11 avril 2023
https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr
L’armée chinoise a déclaré lundi avoir « achevé avec succès » ses manœuvres militaires dont l’objectif était de simuler un « bouclage » du territoire taïwanais et de ses 23 millions d’habitants, avec notamment un « blocus aérien », selon la télévision d’Etat CCTV (photo ci-dessus An Ni/Xinhua).
Pour un article détaillé sur les activités quotidiennes des forces chinoises depuis le début du mois d’avril, cliquer ici.
On lira aussi cet article de Xinhuanet sur le bilan de ces manoeuvres baptisées Joint Sword. Des manoeuvres très médiatisées qui auraient permis de vérifier que « les troupes du commandement Est de l’armée populaire sont tout à fait prêtes et résolues à écraser les velléités sécessionnistes de Taïwan et les interférences étrangères de toutes formes » (photo Liu Mingsong/Xinhua).
Ces exercices ont impliqué, entre autres, des bombardiers H-6 capables d’emporter des missiles nucléaire, des chasseurs J-10 et J-11 de l’armée de l’Air et le porte-avions Shandong dont l’aviation (des chasseurs J-15 ) aurait mené 80 sorties en trois jours.
Fin de l’exercice Joint Sword donc. Pourtant, ce mardi matin, des navires de guerre et des aéronefs chinois se trouvaient toujours autour de Taïwan. Selon le ministère taïwanais de la Défense, neuf navires de guerre chinois et 26 aéronefs évoluaient encore autour de l’île.
Quelques commentaires:
On peut estimer comme le fait l’analyste militaire Leung Kwok-leung, basé à Hong Kong, que le déploiement du porte-avions Shandong suggère que les exercices étaient moins une démonstration de force symbolique que la répétition d’une guerre réelle. « L’intention est très claire: tester la capacité de combat des forces dans un environnement concret« , explique-t-il, notant que le Shandong a navigué jusque dans l’océan Pacifique, loin du détroit de Taïwan.
Mais on peut aussi penser comme Steve Tsang, de l’université SOAS de Londres, qu' »on ne peut pas être certain que (la Chine) puisse dissuader les Etats-Unis d’intervenir, ni qu’elle puisse imposer un blocus efficace contre Taïwan, ni qu’elle puisse lancer des assauts amphibies et les soutenir pour remporter la victoire« . Selon lui, l’armée chinoise aura encore besoin d’une dizaine d’années pour « renforcer considérablement ces capacités », et pour entraîner les différentes composantes de son armée à des actions coordonnées. C’est ce que démontre quelques données:
1) En quatre jours (de vendredi à mardi), selon le ministère taïwanais de la Défense, 91 aéronefs et 12 bâtiments de la PLAN ont été détectés. Ce n’est pas anodin en termes de volume mais c’est dans l’ordre des choses lorsque Pékin pique un coup de sang:
Les bâtiments engagés par les chinois constituent pour moitié l’escorte (frégates et destroyers) et le soutien (ravitailleur d’escadre) du porte-avions Shandong. Le reste est un mix de frégates, avec un navire de renseignement et et un porte-hélicoptères amphibie.
2) 80 sorties en trois jours pour les jets du porte-avions: le chiffre n’a rien d’exceptionnel, surtout dans un contexte de bouclage des approches aéromaritimes.
3) New normal: la poursuite des vols chinois ce mardi n’a rien d’exceptionnel non plus, puisque le rythme des sorties en mer de Chine et au-dessus de l’ADIZ augmente régulièrement (voir mon post du 7 avril).
Et Steve Tsang de conclure que « si Xi pensait que l’Armée populaire de libération pouvait le faire à un coût acceptable, il aurait déjà envahi Taïwan (…). Il ne l’a pas fait parce que l’APL ne le peut pas« .