
par Blablachars – publié le 13 avril 2025
Une récente publication sur un réseau social a mis en lumière plusieurs points d’un rapport concernant le comportement des matériels allemands en Ukraine. Ce document rédigé par l’attaché de défense adjoint allemand en poste à kiev, qui devait rester confidentiel a cependant été obtenu par plusieurs médias après sa présentation au sein de l’École de formation des sous-officiers de la Bundeswehr. L’examen détaillé des performances de certains matériels emblématiques de la production allemande permet de constater certaines évidences qu’il est nécessaire de souligner au moment où les états-majors réfléchissent à leurs futures doctrines et à la nature de leurs prochains équipements. Le rapport qui s’appuie sur des observations en provenance du terrain souligne les écarts constatés entre les performances attendues de certains des équipements fournis et leur comportement constaté en situation. Au-delà de l’évocation de matériels particuliers, le document évoque deux points majeurs négligés par de nombreux « experts. »
Le premier des engins pointés du doigt est le PzH 2000, obusier automoteur de 155mm développé par Rheinmetall et Krauss Maffei Wegmann (Aujourd’hui KNDS Deutschland) dont les Forces Armées Ukrainiennes (FAU) ont reçu 36 exemplaires, dont 25 fournis par l’Allemagne qui devrait en procurer 18 autres dans les prochaines années. Au sujet du canon allemand, le rapport évoque une « très grande vulnérabilité technique » remettant en question son utilisation en conditions de combat. Le PzH 2000 actuellement en service dans huit armées a été déployé en Afghanistan par l’armée néerlandaise et allemande. Le PzH 2000 avait déjà été épinglé dans un rapport américain de 2023 pour sa faible mobilité en terrain boueux et la grande sensibilité de son équipement électronique aux conditions climatiques et à l’environnement du terrain ukrainien.
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PzH 2000 en Ukraine |
Autre best-seller allemand, le Leopard 2A6 première version du char allemand équipée du canon L55 de 120mm est jugé trop couteux à réparer et inutilisable à proximité immédiate du front en raison de la menace drone et de la complexité de son soutien logistique. Le plus souvent engagé au sein d’unités d’élite des FAU comme la 47ème Brigade mécanisée, le Leopard 2A6 a connu ses premiers engagements durant la contre-offensive ukrainienne de l’été 2023. Particulièrement ciblé par les combattants russes qui ont élaboré des stratégies complexes pour tenter d’en venir à bout combinant l’emploi de drones de reconnaissance et de destruction équipés de projectiles ou missiles antichars. L’emploi de Kornet est également privilégié par les unités russes pour détruire le char allemand, dont la puissance de feu et la protection en font un objectif prioritaire pour les forces russes.
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Leopard 2A6 atteint par un drone |
Le rapport allemand ne pointe pas que les déficiences des principaux matériels fournis, il relève également les points positifs concernant d’autres équipements, en majorité d’une génération plus ancienne. Le Leopard 1A5 s’est révélé fiable mais trop peu blindé pour être exposé en première ligne, limitant son emploi à des missions de fourniture de feux indirects. Autre matériel ancien, le Marder 1A3 dont 200 exemplaires auraient déjà été fournis à Kiev semble donner satisfaction, plusieurs auraient été engagés en aout dernier par la 82ème Brigade d’Assaut Aérien au cours de l’offensive ukrainienne vers Koursk. Le Gepard, dont l’Ukraine aurait reçu au moins soixante exemplaires a été retiré du service à la fin des années 2000 s’est révélé être un redoutable tueur de drones, grâce à l’utilisation de ses deux canons de 35mm, solution similaire au bitube de 30mm sur châssis d’AMX 30.
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Gepard des FAU (Noter les symboles sur la tourelle) |
Au-delà de court inventaire, le rapport allemand évoque deux points indissociables de l’emploi d’engins blindés, la logistique et la formation. Ces facteurs sont cités comme limitant l’efficacité globale des matériels allemands sur le théâtre ukrainien. Concernant la logistique, la complexité des matériels les plus modernes rend difficile et couteux leur maintien en condition. Ces difficultés sont aggravées par l’éloignement des centres de réparation qui allonge les délais de remise en état des engins concernés. En dépit du désintérêt marqué de nombreux experts pour ce sujet, le soutien des engins allemands a déjà connu plusieurs difficultés d’approvisionnement en pièces détachées mais aussi dans la fourniture des munitions nécessaires ou encore dans l’établissement des structures de maintien en condition des engins. Les difficultés logistiques évoquées dans le document allemand sont partagées par la majorité des engins occidentaux fournis à l’Ukraine, comme l’avait évoqué le Président ukrainien en novembre 2023.
Le dernier point relevé par l’attaché de défense adjoint allemand concerne la formation du personnel, soulignant que les « équipages ukrainiens disposent de peu de temps pour maîtriser l’emploi de systèmes d’armes occidentaux complexes. » Cette affirmation démontre que les ambitions affichées par bon nombre de responsables politiques et militaires étaient impossibles à satisfaire. La première consistait à croire que la transformation de l’armée ukrainienne, fonctionnant depuis de longues années sur le modèle « soviético-russe » en une armée otanienne pourrait se faire en quelques mois. En dépit des efforts entrepris par plusieurs armées plusieurs années avant février 2022, la transformation escomptée n’a pas eu lieu, en dépit des progrès réalisés par les militaires ukrainiens dans de nombreux domaines et de leur volonté de maîtriser pleinement les pratiques de l’Otan. Les FAU sont aujourd’hui dans une phase de transition dans laquelle les schémas occidentaux côtoient les anciennes pratiques issues de l’histoire du pays. Dans le domaine blindé, les transferts de chars et d’engins blindés considérés comme des symboles de l’aide occidentale ont négligé la formation des équipages et du personnel chargé de la mise en oeuvre et du maintien en condition des matériels. Comme dans le domaine doctrinal, il était illusoire de croire que les équipages ukrainiens pourraient se familiariser avec des systèmes d’armes d’une conception et d’une logique de fonctionnement totalement différente de leurs engins habituels. Certains pays poussant le bouchon encore plus loin en diminuant la durée initiale des formations prévues avant que la nécessité de privilégier la formation ne soit réellement prise en compte, plus d’un an après le déclenchement du conflit.
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Militaires ukrainiens en formation sur Leopard 2 |
Au final, ce rapport s’il égratigne la réputation de certains matériels allemands a le mérite de mettre en lumière des points largement négligés dans le transfert des équipements occidentaux à l’Ukraine. La France qui, dans le domaine terrestre a fourni à l’Ukraine des matériels d’une génération ancienne (à l’exception du Caesar) semble moins concernée par ce type d’observations, à l’exception de la confusion initiale créée autour du transfert des AMX 10RC considérés par certains comme des chars légers. En matière de formation générale, l’action entreprise au profit de la 155ème Brigade mécanisée ukrainienne, bien que très critiquée et galvaudée, reste un exemple unique en matière de formation. Même si elle a mobilisé d’importants moyens et un grand nombre de personnels l’opération française n’a pas changé le déroulement du conflit, mais elle a contribué de façon concrète au renforcement des capacités des FAU dans des domaines spécifiques et à la réputation de l’armée de terre.