Virus Mpox : une nouvelle urgence de santé publique de portée internationale qui doit nous interroger
Après une première flambée épidémique en 2022, la Mpox, aussi appelée « variole du singe », sévit à nouveau, obligeant l’OMS à déclencher une urgence de santé publique de portée internationale de manière à coordonner une coopération internationale. Qu’est-ce que la Mpox et quel est son potentiel épidémique ? Que nous dit la multiplication des zoonoses de nos pratiques ? Le point avec le Dr Anne Sénéquier, co-directrice de l’Observatoire de la santé mondiale de l’IRIS, pour qui la Mpox doit nous faire repenser notre approche sanitaire en la poussant sur une approche intégrée et transversale, propre au concept « One Health/Une santé ».
Qu’est-ce que la Mpox ?
Zoonose émergente, la Moox est provoquée par un virus à ADN du genre orthopoxvirus. Son identification à Copenhague au Danemark en 1958 au sein d’un groupe de singe lui a valu son nom de « variole du singe », une appellation porteuse de fausses informations et à haut risque de stigmatisation, qui a poussé l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à en changer le nom pour « MPox » en 2022. Une nécessité d’autant plus pertinente que l’hôte naturel du virus MPox est en fait un rongeur de l’Afrique équatoriale : le rat de Gambie ou écureuils de forêt. À ce jour, le réservoir animal n’est pas encore formellement identifié, mais une analyse de l’ADN du virus a plutôt révélé des passages multiples chez différents animaux forestiers.
La Mpox provoque fièvre, éruptions cutanées au niveau du visage, mains, pieds, corps et régions génitales, ainsi que des maux de tête, des douleurs musculaires, le tout accompagné d’une fatigue importante. Bénigne dans la majorité des cas, on peut voir apparaitre des complications comme des surinfections cutanées ou des septicémies chez les personnes vulnérables (les personnes immunodéprimées, les femmes enceintes et les jeunes enfants).
La maladie peut se transmettre par voie cutanée, le peau à peau (par l’intermédiaire des pustules et croûtes), par voie sexuelle, et de manière indirecte via le contact de literie et/ou linges contaminés. La transmission aéroportée via les gouttelettes respiratoires d’une personne infectée est également possible.
Il existe deux types de virus Mpox : le clade 1 provenant du bassin du fleuve Congo en Afrique centrale est associé à des symptômes plus sévères (taux de mortalité pouvant aller jusqu’à 10%) et au mode de transmissions interhumaines plus efficace ; le clade 2 provenant d’Afrique de l’Ouest, avec un taux de mortalité plus faible (inférieur à 1%) et à la transmission interhumaine moins efficace.
Quel est le potentiel épidémique de la Mpox ?
En 2022, la flambée épidémique était portée par le clade 2b (un variant du clade 2), ce qui a permis, malgré la forte diffusion du virus, de maintenir un taux de létalité inférieur à 1%. Une épidémie qui avait déclenché une urgence de santé publique de portée internationale (USPPI) devant l’émergence de la pathologie dans 110 pays à travers le monde.
Cette année, cependant, le déclenchement de l’urgence de santé publique de portée internationale (USPPI) porte bien sur la Mpox, mais sur un variant du clade 1 baptisé « Clade 1b ». Il est donc porteur d’une mortalité (5 à 10%) et d’une contagiosité supérieure à l’épidémie de 2022.
Détectée pour la première fois en 1970 chez l’humain, la Mpox est endémique (présente de manière constante) en République démocratique du Congo depuis une dizaine d’années. Depuis, le nombre de cas ne cesse d’augmenter chaque année. 2024 a marqué une augmentation de +160% par rapport à 2023, alors que nous ne sommes qu’en milieu d’année avec 15 600 cas et 537 décès.
Le Clade 1b est apparu en septembre 2023 au nord-Est de la RDC près de Goma, une région de gangrenée par les conflits depuis le milieu des années 90. On y trouve de nombreux camps de déplacés dans lequel le virus circule déjà.
Au mois de juillet, 90 cas de « Mpox clade 1b » ont été identifiés dans les 4 pays voisins : le Burundi, le Kenya, le Rwanda et l’Ouganda, tout en sachant que de nombreux autres cas sont probablement passés sous les radars de la détection épidémiologique. L’OMS a en conséquence déclenché l’urgence de santé publique de portée internationale (USPPI) le 14 août dernier.
La déclaration de l’état d’urgence de santé publique de portée internationale (USPPI), permet de coordonner une coopération internationale afin de limiter l’étendue de l’épidémie le plus rapidement possible. Elle a pour objectif de rassembler les différents acteurs et partenaires (Gavi, Unicef, etc.) pour amplifier la réponse vaccinale, en facilitant administrativement et logistiquement le processus de mobilisation des stocks de vaccination. La vaccination contre la Mpox se fait aujourd’hui avec les stocks de vaccination contre la variole humaine, mais également avec un vaccin spécifique à la Mpox approuvé récemment. Une riposte dont le coût initial est estimé à 15 millions d’US$ par l’OMS.
Des cas viennent d’apparaître sur d’autres continents : un en Suède, un autre au Pakistan. Avec une période d’incubation de 5 à 21 jours, il est fort probable de voir apparaitre d’autres cas dans les jours et semaines à venir.
L’appartenance de la Mpox à la famille des orthopoxvirus est à la fois une chance et une difficulté supplémentaire.
Une chance parce que c’est un virus apparenté à l’« orthopoxvirus variola » (la variole) éradiqué en 1980 par une campagne mondiale de vaccination mené par l’OMS. Par conséquent les personnes ayant été vaccinées dans leur enfance contre la variole sont protégées. Ils bénéficient de ce que l’on appelle une immunité croisée : la vaccination contre la variole protège à 85% contre la Mpox, tout en maintenant un taux de reproduction inférieur à 1, ce qui a permis d’éviter jusqu’en 2022 une épidémie à grande échelle.
Mais c’est également une difficulté parce qu’on ne vaccine plus contre la variole depuis les années 1980 (au moment de son éradication). De fait, les personnes de moins de 40-50 ans ne sont pas vaccinées, ce qui entrave de manière évidente l’immunité collective des populations. Nous nous retrouvons au niveau mondial avec une immunité collective diminuée impliquant un potentiel épidémique augmenté.
C’est ce qui explique, entre autres, le nombre croissant de cas annuels en RDC ces dernières années.
Comment lutter contre la Mpox ? Pourquoi observe-t-on autant de zoonoses ces dernières années ?
La fréquence des épidémies et leur impact dans les populations ne cessent d’augmenter ces dernières années. La Mpox a quitté la lisière des forêts tropicales pour s’étendre d’abord localement, puis jusqu’aux zones urbaines, d’où elles se sont catapultées dans le monde entier.
Depuis 2018, la Mpox s’est exportée depuis le Nigéria (plus grand foyer de population africain) vers le Royaume-Uni, Israël, les États-Unis et Singapour sans être en mesure de donner lieu à des clusters.
En 2022, une première épidémie mondiale avait nécessité de tirer la sonnette d’alarme : déclenchant une USPPI. Entre début 2022 et mi 2023 (fin de l’USPPI), quasi 90 000 cas ont été rapportés dont 147 décès. Nous voilà en 2024 avec un variant plus transmissible et plus virulent, jeté dans notre mondialisation devenue pathogène.
La Mpox est une zoonose, une maladie de la faune sauvage qui a su, à la faveur de l’augmentation des interactions avec l’homme, sauter la barrière de l’espèce.
Cette rencontre du monde sauvage et de notre humanité s’explique par la déforestation massive et la destruction de ces habitats. Un phénomène qui entraîne une perte de biodiversité déstructurant les dynamiques des communautés animales. Le changement d’usage des terres (agriculture dans les forêts à la recherche de terre fertile), l’urbanisation croissante et les conflits aggravent encore les risques de passage de virus de l’animal à l’humain.
Dans le cas de la Mpox, il nous faut superposer à cette dégradation des écosystèmes due aux activités humaines, une diminution de l’immunité croisée par l’arrêt de la vaccination contre la variole suite à son éradication.
On constate ainsi que se protéger des épidémies n’est pas qu’affaire de vaccination et déclaration d’USPPI. Quatre ans seulement après la première pandémie du 21e siècle, la menace que représente la Mpox doit nous faire repenser notre approche sanitaire en la poussant sur une approche intégrée et transversale, propre au concept « One Health/Une santé ». Celui-ci met en évidence les liens qui unissent la santé humaine, la santé animale et la santé planétaire. Nous ne pouvons pas maintenir une bonne santé publique dans un monde aux écosystèmes dégradés.
Pour véritablement nous protéger des zoonoses (sujet récurrent du 21e siècle), il nous faut donc prendre soin de nos écosystèmes : limiter de la déforestation et de l’agriculture intensive en bordure de forêts ; changement d’usage des terres ; stopper l’urbanisation galopante en zone forestière ; limiter les conflits… vœux pieux mais n’oublions pas qu’ils permettent l’émergence et/ou recrudescence de pathologie (Polio, cholera, Mpox, etc.)
Il faut donc changer notre manière de faire, et veiller à ce que cela soit accompagné d’un changement de comportement/consommation qui sous-tend cette dégradation des écosystèmes. Un challenge qui peut paraître insurmontable, mais a-t-on vraiment le choix ?
À la manière du changement climatique qui s’impose à notre devoir de faire, la protection de nos écosystèmes devient tout aussi urgente.
L’urgence de santé publique de portée internationale (USPPI) a été créée en 2005. Déclenchée pour la première fois en 2009, elle a été déclenchée 8 fois en 14 ans, avec une petite tendance à être de plus en plus fréquente : Grippe H1N, avril 2009 (continuant en 2010) ; poliovirus, mai 2014 (encore en cours) ; épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, août 2014 ; Zika, février 2016 ; épidémie d’Ebola en Kivu (RDC), juillet 2019 ; Covid-19, janvier 2020 ; Mpox (variole du singe), juillet 2022 ; nouvelle déclaration du Mpox, août 2024…