Guerre du droit entre Etats-Unis et Europe
par Achille Christodoulou (*) – Esprit Surcouf – publié le 16 février 2024
Etudiant
L’EXTRA-TERRITORIALITÉ DU DROIT, ENJEU DE PUISSANCE ET GUERRE SECRÈTE ENTRE LES ÉTATS-UNIS ET L’EUROPE
Les États-Unis n’ont jamais accepté que l’Europe existe réellement en témoignant d’une distanciation stratégique face à leur puissance économique. Aussi, le droit apparaît-il comme un vecteur central dans un rapport de force dont les conclusions sont toujours incertaines.
Dans un climat de complexification constante des relations internationales où de nombreux enjeux s’avèrent désormais globaux au sein d’une arène où les acteurs se sont démultipliés, il est nécessaire d’apporter une analyse rigoureuse et précises des différents mécanismes d’influences. Ainsi il s’agit de mieux comprendre comment fonctionne ce jeu international qui s’avère d’une complexité accrue.
L’extraterritorialité du droit est alors devenue une arme redoutable. Ici nous allons parler de la façon dont les États-Unis, grands adeptes de cette pratique, ont étendu leur puissance au détriment de l’Union Européenne qui tend doucement à s’adapter à cette pratique.
Depuis la seconde moitié du XXème siècle, et l’apparition du droit international ayant comme ambition de régir un ordre mondial, est apparu parallèlement l’utilisation de plus en plus courante de l’extraterritorialité du droit. Il s’agit de l’une des réponses ayant pour objectif de faire régner une justice globale négociée à condition qu’elle soit en concordance avec le droit international, qui est basé sur la charte des nations unies. Il s’agit du principe selon lequel un état applique sa justice et son droit sur un territoire étranger lorsqu’il estime qu’il en a la légitimité. Selon, monsieur Cohen-Tanugi, avocat et essayiste français, l’extraterritorialité du droit entre l’Europe et les États-Unis conduit à une harmonisation du droit international. Les trois domaines principaux de l’extraterritorialité à savoir le droit de la concurrence, l’anti-corruption et les sanctions, convergent entre ces états. Cependant il faut noter qu’il existe un danger lorsqu’elle est pratiquée avec des pays qui ne sont pas des états de droit. Ce danger est important du fait du caractère arbitraire de la réplique qui peut être engendrée, par exemple la détention de deux ressortissants canadiens lors de l’affaire Huawei entre les US et la Chine, nous n’allons cependant pas traiter ce sujet dans cette analyse.
Enjeux d’influences, les Etats-Unis experts en la matière.
Force est de constater que l’extraterritorialité du droit peut devenir un moyen de soumettre un tiers à des fins économiques, et in fine non pas à des fins éthiques et morales. C’est dans cette perspective pragmatique et rationnelle qu’il s’agit de s’intéresser à cet outil qui semble être un atout de puissance permettant de soumettre son influence sur la scène internationale. Il est dès lors inéluctable de s’atteler à l’extraterritorialité du droit américain et conformément à notre cas, aux conséquences sur la souveraineté de l’UE. En effet, les États-Unis sont des adeptes de son utilisation. Grand vainqueur de la Seconde Guerre mondiale puis de la Guerre Froide, ces derniers ont réussi à soumettre leur influence dans l’ensemble du monde en établissant des liens de dépendances d’autres pays à leur égard. Ainsi, du fait de leur implantation dans de nombreux États via des entreprises, l’utilisation courante du dollar par de nombreux pays sur les marchés financiers, ou encore de la dépendance technologique de nombreux acteurs, ces derniers s’estiment légitimes d’avoir un droit de regard afin d’appliquer leur justice à l’extérieur de leurs frontières. De nombreuses affaires témoignent de cette utilisation massive de l’extraterritorialité du droit par les États-Unis à l’instar de l’affaire Alstom. En effet, Alstom fût un fleuron national français en matière d’énergie nucléaire et a été fusionné puis acquis par le groupe Général Electric au grand désarroi de la France. Les États-Unis appliquent ce droit principalement grâce au Foreign Corrupt Act (FCPA), qui permet d’infliger des amendes en établissant des programmes de conformités. Le risque est alors de s’affaiblir économiquement, et pire encore comme ce fut le cas pour l’affaire Alstom, il s’agit de perdre de sa souveraineté du fait de la perte d’une technologie à laquelle nous sommes dépendants. En effet, en vendant ce fleuron national, la France, mais aussi l’Europe, a perdu ce qui faisait l’une de ses forces à savoir la maitrise du nucléaire nécessaire à la construction de turbines qui peuvent se trouver dans différentes technologies qui garantissent notre autonomie stratégique en matière énergétique ou militaire. Au final, c’est politiquement que l’Europe s’affaiblit. Cela a pour conséquence la mise à mal de l’aspiration à une Europe de la Défense qui se veut être la pierre angulaire d’un plan ayant comme objectif une autonomie stratégique permettant de s’émanciper des États-Unis d’un point de vue militaire. Les principales victimes de l’extraterritorialité du droit ont été des entreprises européennes, qui s’affichent désormais sur le tableau de chasses du FCPA. Celles-ci ont permis d’engendrer un gain de plusieurs dizaines de milliards de dollars aux États-Unis. Les principales touchées ont été Siemens, KBR, Alstom, BNP, Crédit Agricole ou encore Commerzbank.
La riposte européenne, une nécessité pour conserver sa souveraineté?
C’est en ce sens que l’Union Européenne a commencé à s’atteler à contrer les attaques de l’oncle Sam. Elle a ainsi mis en place une stratégie adaptée à de tels enjeux qui se fonde sur des mécanismes d’intelligences économiques. Ces derniers consistent à collecter, analyser et valoriser l’information économique et stratégique afin de protéger les intérêts des entreprises concernées et ainsi l’Europe. Cela se matérialise par la mise en place d’outils législatifs de protection et d’attaque. Dans cette mesure a été
mis en place l’INSTEX, qui est un mécanisme financier mis en place par l’Europe en 2019 pour faciliter le commerce avec l’Iran malgré les sanctions américaines rétablies à la suite du retrait des États-Unis de l’accord nucléaire de 2015. En matière d’intelligence économique, ce mécanisme joue un rôle crucial dans la défense des intérêts européens face à l’extraterritorialité du droit américain. Il vient ainsi pallier ce problème en établissant un système de paiement sécurisé, qui contourne le système financier américain pour les transactions commerciales entre l’Europe et l’Iran. En agissant ainsi, l’Europe protège ses entreprises des sanctions américaines, garantissant ainsi leur compétitivité et leur accès au marché iranien, tout en préservant la souveraineté de son système juridique. Dans ce sens, a aussi été mis en place en France le Service de l’Information Stratégique et de la Sécurité Économique (SISSE) qui a pour but de protéger les actifs stratégiques de l’économie française face aux menaces étrangères en détectant, caractérisant et en traitant les menaces étrangères.
De façon plus pragmatique l’Union Européenne a mis en place d’autres outils législatifs plus offensifs qui vont au-delà des questions de territoire. Ainsi Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) joue un rôle crucial dans la défense des intérêts de l’Europe. Adopté en mai 2018, le RGPD établit un cadre réglementaire solide pour la protection des données personnelles des citoyens européens. Cette réglementation renforce la confiance des consommateurs européens dans les services numériques et les entreprises qui traitent leurs données. C’est ainsi que le RGPD renforce donc la souveraineté européenne en matière de protection des données et offre une protection contre l’ingérence étrangère dans les affaires européennes. En imposant des normes strictes de protection des données, l’Europe se positionne comme un acteur mondial influant en matière d’intelligence économique, car elle protège ses citoyens, ses entreprises et ses informations stratégiques des tentatives d’accès non autorisées de la part d’acteurs étrangers. Ce règlement permet de contrer l’activité extraterritoriale des États-Unis permis par le Cloud Act qui leur donne le droit d’accéder à des données détenues par des entreprises américaines, et ce peu importe où elles sont stockées dans le monde.
Dans la continuité de cette stratégie d’autres outils législatifs ont été mis en place à l’instar de la directive concernant une finance plus durable dans le cadre de la Corporate Social Responsability Directive (CSRD), qui s’appliquera à partir de 2024 aux premières entreprises atteignant un certain seuil pour leurs rapports 2025. Dés lors, leurs sera imposées des obligations de déclaration de performance extra-financière fondée sur l’impact environnemental, social et sur les droits de l’Homme des sociétés concernées, et ainsi permettra d’étendre les valeurs européennes à l’internationale.
Il s’agit ainsi pour l’Union européenne d’établir une approche stratégique d’intelligence du droit qui passe par une extraterritorialité en accord avec les droits des autres puissances. Dès lors il sera possible de répondre tout en dépassant la notion de territoire et assurer sa souveraineté. Pour cela il est nécessaire de devoir assurer une bonne entente entre les institutions européennes afin d’accéder à une effectivité sans tomber dans le piège d’une lourdeur administrative. En effet cette dernière est à l’origine de nombreux des maux de l’Union et empêche l’aboutissement de ses projets législatifs ambitieux. C’est dans cette mesure que l’Europe pourra garantir sa souveraineté sur son territoire et pour ses habitants qui résident à l’étranger.
Achille Christodoulou, fort d’un Master en Relations Internationales de l’ILERI, a préalablement obtenu une licence en Sciences Sociales Économiques et Politiques à l’Institut Catholique de Paris. Son parcours académique, de la diplomatie aux sciences sociales, reflète sa polyvalence et sa capacité à appréhender des enjeux diversifiés. |