Économie de guerre : Le règlement européen REACH risque d’entraver la montée en puissance des stocks de munitions
D’une part en raison des critères ESG [Environnement, Social, Gouvernance] qui, mis en avant par la commission européenne, excluent l’industrie de l’armement. Et d’autre part à cause de ce certains règlements, comme REACH [Registration, Evaluation, Authorization and Restriction of Chemicals] dont l’objectif est d’assurer un « niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, ainsi qu’à renforcer la compétitivité du secteur des substances chimiques et l’innovation ».
Entré en vigueur en 2007, REACH exige des industriels d’enregistrer toutes les substances chimiques qu’ils produisent ou utilisent. Et cela afin de les classer selon leur nature. Celles considérées dangereuse pour l’environnement et la santé sont alors soumises à une autorisation quand celles présentant un risque jugé « inacceptable » sont prohibées. Et cela a un coût que les entreprises concernées sont bien obligées de supporter.
Le règlement REACH s’applique évidemment aux industriels de l’armement. Ce qui, à l’heure où on leur demande de produire davantage dans des délais contraints, est un frein.
« Sujet de préoccupation majeure soulevé par l’intégralité des acteurs de la filière munitionnaire, la réglementation européenne REACH constitue un défi considérable pour la filière munitionnaire », alertent les députés Julien Rancoule [RN] et Vincent Bru [MoDem] dans leur rapport sur les stocks de munitions, remis cette semaine.
Cette réglementation « génère les obsolescences de certains produits – lorsqu’aucune solution alternative n’a été trouvée pour remplacer les substances exclues – et impose des redéveloppements réguliers » et certains de ses processus « ont donc de lourdes conséquences financières ou calendaires entravant la montée en puissance des stocks de munitions », constatent-ils.
Ainsi, le « processus d’enregistrement des substances fabriquées ou importées, obligatoire pour toutes les entreprises – munitionnaires comme sous-traitants et fournisseurs –, conduit inévitablement à un allongement des délais conjugué à un renchérissement des coûts », font-ils valoir.
Et d’après une étude du Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres [GICAT], citée dans ce rapport, la « fabrication d’une tonne d’explosif, permettant la fabrication de 100 obus de 155 mm, nécessiterait entre 12 et 18 mois de procédure préalable pour obtenir l’enregistrement, avec un coût de l’ordre de 25 millions d’euros par enregistrement et par substance ».
Ce processus d’autorisation/restriction prévu par le règlement REACH mettrait ainsi en « péril » le plomb et les sels de plombs, au risque, toujours selon le GICAT, d’impacter « l’activité de fabrication des initiateurs qui sont à la base de toutes les chaînes pyrotechniques permettant le fonctionnement de la munition ». Et comme « la majorité des munitions » sont « concernées par ce risque d’obsolescence, cela pourrait se traduire par des qualifications lourdes [de 3 à 10 ans] et des coûts conséquents, voire des disparitions de produits du catalogue ». Et d’autres susbstances, également cruciale pour la production de munitions, pourraient connaître un sort identique.
Pour éviter à l’industrie française de l’armement de se trouver dans une position inconfortable face à ses concurrents [et notamment américains], il n’y a pas trente-six solutions.
« Tous les acteurs auditionnés ont suggéré le recours à des exemptions ‘Défense’ qui, soumises à autorisation du ministère de la Transition écologique, [permettraient] d’alléger certaines contraintes », expliquent MM. Bru et Rancoule. Et ceux-ci d’estimer en effet « que ces exemptions constituent l’une des rares solutions envisageables pour permettre la remontée en puissance de la production et des stocks de munitions ».
Cependant, préviennent-ils, « il reste que ces exemptions Défense ne s’appliqueraient à d’autres réglementations européennes relatives aux produits chimiques, pouvant entraver d’autres productions munitionnaires ».
Quoi qu’il en soit, cela fait maintenant plusieurs années que l’on sait que le règlement REACH coûte cher non seulement aux industriels mais aussi aux Armées [celles-ci ayant à régler la facture en dernier ressort]. Ainsi, la remotorisation des missiles [surface-air] Aster et [anti-navires] Exocet, selon les normes édictées par cette réglementation européenne, a coûté 480 millions d’euros à la Marine nationale…
« Pourtant, une exemption est prévue par le droit environnemental européen pour les activités de défense », avait avancé le député Jacques Marilossian, alors rapporteur pour avis des crédits de la Marine, en 2019. « Mais les obligations réglementaires pesant sur les fournisseurs de MBDA, la chaîne industrielle n’a pas réussi à conserver une filière d’approvisionnement dérogatoire pour la défense », avait-il ensuite expliqué.