La Chine ne considère pas la Commission européenne comme un interlocuteur géopolitique
Mais pourquoi donc Ursula von der Leyen a-t-elle accepté d’aller avec Emmanuel Macron en Chine ? Cela n’a rien arrangé ni pour l’Ukraine ni pour Taïwan. Mais les émissions de CO₂ de la Chine augmenteront encore et l’UE restera la dernière à rêver à la décarbonation.
Mon directeur général avait l’habitude de dire que pour réussir, il faut savoir s’entourer. C’est ce qu’il a fait de manière extraordinaire. Sans conseillers qui ont des idées originales et sages et qui ne sont pas des « béni-oui-oui », il est difficile de naviguer dans un monde de plus en plus complexe. La récente visite d’Ursula von der Leyen en Chine en est la preuve. Mais qui a conseillé à la présidente de la Commission européenne de se rendre à Pékin pour accompagner Emmanuel Macron lors de sa visite d’État ?
Il est vrai qu’Ursula von der Leyen est une obligée d’Emmanuel Macron, car c’est lui qui, dans un grand marchandage avec Angela Merkel, a permis à ses élus au Parlement européen de voter en faveur de cette Allemande en échange du contrôle de la Banque européenne par la Française Christine Lagarde.
Il est vrai que Macron voulait montrer l’unité de l’UE en accueillant dans son apanage une personnalité aussi importante… dans l’UE. Il avait souhaité se rendre en Chine avec Olaf Scholz pour montrer l’unité de l’UE, mais le chancelier allemand a préféré y aller seul en novembre 2022, ce qui a agacé Paris. Le président français a donc fait preuve d’unité, mais on ne peut pas dire que cela ait amélioré l’image de la Commission européenne. L’institution bruxelloise devra analyser ce qui s’est passé avant d’accepter de poursuivre les visites conjointes.
Des raisons d’espérer
Il est vrai que c’était l’occasion de célébrer le 20e anniversaire du partenariat stratégique global entre la Chine et l’UE. Le développement équilibré des relations commerciales entre la Chine et l’UE devrait profiter aux deux parties et, comme le disait Montesquieu, le commerce est censé contribuer à la paix et à la stabilité dans le monde. Nous avons pris un bon départ, mais la montée en puissance de la Chine et la faiblesse économique croissante de l’UE due à une décarbonisation coûteuse suscitent aujourd’hui plus de doutes que de satisfaction.
Quelques jours après la visite du président de la Commission européenne, les discussions avec l’UE se poursuivront en Chine du 13 au 15 avril avec Josep Borrell, le haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères. M. Macron s’est rendu à Pékin avec une délégation commerciale, comme l’avait fait avant lui le président allemand Olaf Scholz. Le 31 mars, c’était au tour de Pedro Sánchez, le Premier ministre espagnol, qui se réjouissait, entre autres, d’avoir signé un accord pour exporter vers la Chine 50 000 t d’amandes… Puisque, qu’on le veuille ou non, c’est la meilleure façon de faire des affaires avec la Chine, Mme von der Leyen ne peut pas, contrairement à son pays ou à la France, être accompagnée d’industriels.
Il est vrai aussi que dans son premier discours de présidente, Mme von der Leyen a déclaré que « sa Commission » serait géopolitique et qu’il fallait donc s’attendre à ce que la Commission européenne soit de plus en plus visible dans le monde. C’est pourquoi on la voit de plus en plus souvent aux côtés du secrétaire général de l’OTAN, une nouveauté pour Bruxelles-Strasbourg.
Mais aussi parce que, quelques jours avant son voyage, elle a eu des mots forts à l’égard de la Chine, la qualifiant de « répressive » en matière de droits de l’homme (« L’escalade à laquelle nous assistons indique que la Chine devient plus répressive à l’intérieur et plus affirmée à l’extérieur »). Cela expliquerait pourquoi Xi Jinping ne lui a pas accordé les mêmes honneurs que ceux qu’il a réservés au président français. Elle n’a pas été invitée au dîner d’État en l’honneur du prestigieux hôte, elle n’a pas tenu de conférence de presse avec le président chinois, elle a rencontré la presse au bureau de représentation de l’UE à Pékin. Le message clair est que Pékin ne considère pas l’UE comme un interlocuteur géopolitique mondial. C’est regrettable, car la Commission européenne est la principale institution européenne, le cœur de l’UE.
Décarbonation ? Sérieusement ?
À sa descente d’avion à Pékin, Emmanuel Macron a été accueilli sur un tapis rouge par le ministre chinois des Affaires étrangères, Qin Gang, un haut responsable et proche collaborateur de Xi Jinping. Mme Von der Leyen, partisane de la décarbonisation, a été accueillie à la sortie habituelle des passagers par le ministre de l’Écologie Huang Runqiu. Après tout, c’est logique. Dans le discours qu’elle a prononcé avant son départ, la présidente de la Commission européenne a déclaré qu’elle avait l’intention de travailler avec la Chine « dans la perspective de la COP28 ». Pékin montre ainsi à l’UE qu’elle sait que sa raison d’être aujourd’hui n’est pas la géopolitique, mais rien d’autre qu’une volonté de doper les énergies renouvelables intermittentes et variables, d’ostraciser le nucléaire alors que la Chine pousse l’innovation dans de nouveaux réacteurs nucléaires et a construit une centaine de centrales à charbon en 2022.
La Chine a vu ses émissions de CO₂ augmenter de 311 % depuis que l’ONU s’est engagée à les réduire. En pénalisant son économie, l’UE a réussi à réduire ses émissions de 23 % au cours de la même période, mais à quel prix ! La Chine représente un cinquième du trafic aérien mondial et connaît une croissance de plus de 5 % par an. Airbus estime que le marché chinois aura besoin de 8 500 avions au cours des 20 prochaines années. Tout cela augmentera encore et encore les émissions mondiales de CO₂ parce que les électro-carburants sont un artifice scientifique inventé par les députés européens. C’est pourquoi c’est un grand succès pour la France d’avoir vendu 292 A320 en 2022 et 40 A320. L’agence publique, qui achète des avions pour le compte des compagnies aériennes locales, s’est engagée à commander 160 avions Airbus (150 A320 et 10 A350). Airbus pourra doubler sa capacité de production d’avions en Chine grâce à la construction d’une deuxième ligne d’assemblage dans son usine de Tianjin, près de Pékin. La France montre ainsi sa confiance dans la coopération avec l’économie chinoise et démontre qu’elle ne suit pas l’approche anti-chinoise des États-Unis.
On est loin des discours sur la réduction des émissions de CO₂.
Taïwan versus Ukraine
Comme on pouvait s’y attendre, M. Macron et Mme von der Leyen ont tous deux appelé Xi Jinping à mettre à profit ses relations avec Vladimir Poutine pour tenter de mettre fin à la guerre. Après la visite très amicale de Xi Jinping à Moscou il y a quelques jours, il aurait été exagéré de s’attendre à une condamnation russe. Au contraire, quelques jours plus tard — le 10 avril — une déclaration de la Chine n’augurait rien de bon : tout en feignant une fermeture de l’île de ce qu’elle considère toujours comme l’une de ses provinces, Pékin a déclaré que « l’indépendance de Taïwan est incompatible avec la paix« . Message à l’OTAN : si vous voulez la paix en Ukraine, je peux discuter avec Vladimir Poutine, mais laissez-moi prendre Taïwan. La géopolitique mondiale est comme un énorme mobile suspendu dans l’Univers : vous lui donnez une chiquenaude et le mobile part dans toutes les directions.
D’un point de vue stratégique, Xi Jinping pourrait profiter de l’implication des États-Unis en Ukraine dans sa guerre par procuration avec la Russie pour tenter d’envahir Taïwan. Mais le coût en vies humaines et en relations diplomatiques serait bien plus élevé que celui payé par la Russie. L’invasion d’une île défendue est déjà compliquée, comme l’ont montré les difficultés de la Russie sur l’île des serpents en mer Noire, mais lorsqu’il s’agit de l’un des pays les plus modernes du monde, la tâche sera encore plus compliquée. Xi Jinping aurait assuré aux visiteurs européens qu’il serait prêt à appeler le président ukrainien Volodymyr Zelensky « lorsque le moment sera venu et que les conditions seront réunies ».
En fait, Pékin n’a aucun intérêt à précipiter l’aventure. La Chine a tout son temps, car tant que la guerre en Ukraine durera, les États-Unis, l’UE et la Russie se détruiront mutuellement. Dans cette gigantesque partie d’échecs pour la recomposition de l’ordre mondial, qui vont-ils mettre en échec ? Le manque de considération de la Chine à l’égard d’Ursula von der Leyen semble indiquer une réponse à cette question. Il est temps que l’UE comprenne qu’elle doit s’occuper du fonctionnement du marché commun et non du fonctionnement du monde, car les États membres ne le lui permettront pas. Nous étions pourtant si bien partis…