Exercice purement fictionnel : Et si le sort de l’Ukraine se jouait sur un futur front à l’ouest ?
L’Ukraine tient. L’Occident global ne ménage pas ses efforts pour alimenter Kyiv en argent, en armes, en munitions, en formation, en renseignements et en fournitures énergétiques, médicales et techniques. Si les ports de la mer Noire, et en premier lieu Odessa, permettent aux Ukrainiens d’exporter des matières premières agricoles, grâce à un accord signé sous l’égide de la Turquie, ils ne permettent pas d’importer les armes occidentales. De sorte que tout passe par les frontières avec la Pologne, la Roumanie, la Hongrie ou la Slovaquie, et ce par voie terrestre, route et voie ferrée essentiellement, même si la voie aérienne reste importante. Si le front à l’est est alimenté, il le doit à la liberté de passage à l’ouest. Si la guerre dure, c’est que rien n’entrave pour le moment les chaînes logistiques venant d’Europe.
Depuis le reflux russe d’août 2022, nous avons les yeux rivés sur le Donbass, la Crimée, Kherson et la centrale de Zaporijjia. Les médias se passionnent pour des villages inconnus, pris et repris. Le niveau des eaux du bassin du Dniepr devient l’indicateur de crise. Or il est rare que nous ouvrions la focale pour embrasser du regard la zone de crise dans sa globalité et qui s’étend bien au-delà. L’histoire qui s’écrit chaque jour devant nos yeux stupéfaits a connu un développement médiatiquement spectaculaire les 24 et 25 juin derniers avec, comme résultat pour le moins inattendu, le mouvement de Wagner vers la Biélorussie. Une crise crée toujours des opportunités. Un petit affolement s’en est suivi dans les pays baltes et en Pologne. Des experts militaires, à grand renfort de cartes, ont doctement conjecturé sur les menaces que pourrait faire peser les quelque 8 000 mercenaires sur les frontières des pays de l’Otan limitrophes, mais aussi en direction de Kyiv. L’intérêt pour la Russie de voir les articles 4 et 5 du traité de l’Atlantique nord être mis en œuvre est nul. Quant à prendre Kyiv pour cible, la noix est dure à casser pour quelques milliers d’hommes et cela gâcherait des ressources pour un résultat connu d’avance. En février 2022 l’offensive sur la capitale ukrainienne s’est soldée par une retraite piteuse et des pertes colossales. D’autres rappellent avec justesse que le rêve de Poutine est d’annexer purement et simplement la Biélorussie au sein d’une alliance cosmétique russo-biélorusse. Wagner, véritable loup dans la bergerie, pourrait être l’exécuteur de ces basses œuvres.
Wagner, le U-Boot du Kremlin ?
Il existe cependant une utilisation plus rentable de la présence de Wagner au nord de l’Ukraine, celle de U-Boot terrestres destiné à entraver l’approvisionnement venant de l’ouest, comme les loups gris de Dönitz l’ont fait dans l’Atlantique pour priver le Royaume Uni et l’URSS des équipements, armes, et matières premières vitaux à l’effort de guerre. En s’infiltrant depuis le nord le long des frontières polonaises, slovaques et hongroises vers Kovel, Lutsk, Lviv et Khust, des groupes commandos de Wagner créeraient un climat d’insécurité en sabotant les axes de communication, en s’attaquant au trafic routier et ferroviaire, en abattant avions et hélicoptères à l‘aide de MANPADS. Il s’agirait de ne surtout pas de tenir le terrain, cela demanderait deux cent mille hommes que la Russie n’a pas, mais d’évoluer de manière fluide en se fondant dans le territoire afin d’interrompre momentanément ou plus durablement le soutien matériel vital pour les Ukrainiens. Ces derniers devraient consacrer des ressources importantes pour chasser et détruire ces groupes de combat qui utiliseraient tous les moyens de dé-caractérisation, de clandestinité et de vie sur le pays à la manière des armées du moyen-âge. Autant de précieux soldats et équipements qui feraient défaut sur le front de l’est. Il est essentiel que l’action de ces commandos restent cantonnées à l’intérieur des frontières ukrainiennes pour ne pas s’exposer à des réactions d’acteurs extérieurs au conflit ou supposés tels.
Une telle action ne peut évidemment pas s’inscrire dans la durée. Il s’agit d’impulser un Dirac dans une zone de tranquillité. Aussi devrait-elle être soigneusement préparée, en particulier les phases infiltration et soutien, et lancée à un moment critique des évènements militaires à l’est pour obtenir un effet de bascule ou du moins d’inflexion. On a jusqu’à aujourd’hui considéré que le cordon ombilical qui maintient en vie l’Ukraine était hors de portée des actions russes, sauf tirs de missiles de croisière sur quelques cibles d’importance comme les camps d’entraînement de l’Otan au début de la guerre. Créer un climat d’insécurité sur les flux d’approvisionnement, à la manière des partisans de la seconde guerre mondiale, est de nature à bouleverser le déroulement de la guerre. Le temps est du côté russe alors que l’Ukraine et ses soutiens sont pressés.