L’Italie rejoint et renforce le programme MGCS, au prix d’une petite humiliation pour la France

L’Italie rejoint et renforce le programme MGCS, au prix d’une petite humiliation pour la France

Le groupe KNDS et l’Italien Leonardo ont annoncé la signature d’un partenariat stratégique marquant l’entrée de Rome dans le programme MGCS, et la future acquisition de Leopard 2A8 par l’Italie. Mais, alors que la France avait laissé entendre, il y a quelques mois, qu’elle était prête au bras de fer avec Berlin pour intégrer l’Italie à ce difficile programme, c’est Berlin, et non Paris, qui est présenté comme le partenaire clé de Rome dans cette concrétisation.

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Quand la France voulait imposer l’Italie dans le programme MGCS

À la fin du mois d’aout 2023, alors que le programme MGCS, qui doit permettre le remplacement des chars Leopard 2 allemands et Leclerc français, faisait l’objet de nombreuses inquiétudes, des indiscrétions, faites par les autorités françaises auprès de certains journalistes spécialisés, avaient laissé penser que la France s’apprêtait à entamer un bras de fer avec Berlin, pour permettre à l’Italie de rejoindre le programme.

À ce moment-là, il s’agissait, pour la France, de rééquilibrer les rapports de force industriels au sein de ce programme en état de stase depuis 3 ans, déstabilisé qu’il avait été par l’arrivée de Rheinmetall en 2019, et l’attitude ambiguë de l’industriel allemand depuis cela. En outre, l’Allemagne était alors présentée, par ces mêmes sources, comme la force d’opposition à cette possibilité, précisément afin que l’industrie outre-Rhin puisse en conserver le contrôle national.

Leopard 2A8
L’Italie va commander 125 chars Leopard 2A8 auprès de KNDS, avec un important volet industriel.

Bien que crédible, cette hypothèse n’était cependant que peu étayée par des faits, et notamment l’absence de prises de positions publiques à ce sujet, de la part des autorités françaises, ni du ministre des Armées, Sébastien Lecornu. Quelques jours plus tard, début septembre, la crédibilité de cette information était écornée, alors que l’Allemagne, l’Espagne, la Suède et surtout l’Italie, annonçaient s’engager conjointement dans un programme européen d’étude concernant, justement, l’avenir du char de combat.

D’autre part, Rome avait rendu publique, dès le mois de juillet, son intention d’acquérir 125 Leopard 2A8 pour remplacer une partie de ses chars de combat C1 Ariete, et ainsi moderniser sa cavalerie blindée. Cette annonce avait, alors, laissé spéculer que l’Italie entendait user de cette commande tel un sésame pour rejoindre le programme MGCS.

À ce sujet, fin septembre, Sébastien Lecornu, et son homologue allemand Boris Pistoruis, indiquaient conjointement reprendre la main sur ce programme, pour le sortir de l’impasse dans laquelle il se trouvait. En revanche, de l’Italie, il ne fut pas question. Paris avait-il échoué dans son bras de fer avec Berlin ?

Rome et Leonardo signent un partenariat stratégique avec Berlin et KNDS pour 125 Leopard 2A8 et rejoindre le programme MGCS

On connait désormais le fin mot de cette histoire, alors que KNDS et Leonardo viennent d’annoncer la signature d’un partenariat stratégique ouvrant la voie à l’acquisition des 125 Leopard 2A8 italiens, accompagnée d’une importante composante industrielle, mais également, et surtout, permettant à l’Italie, et son industriel majeur, de rejoindre le programme MGCS comme membre de plein droit.

Le communiqué de presse publié par KNDS ne donne que peu de détail au sujet de la participation de l’Italie et de Leonardo au programme MGCS, comme à celui de son financement. Comme évoqué dans un précédent article, il ne fait guère de doute que ce bouleversement permettra de réorganiser le partage industriel d’une manière plus efficace, et ainsi de contenir les ambitions à peine dissimulées de Rheinmetall concernant son KF51 Panther, comme alternative au MGCS lui-même.

C1 Ariete
Les Leopard 2A8 italiens vont remplacer une partie des C1 Ariete actuellement en service dans les unités de cavalerie blindée italiennes.

On peut penser, dans ces conditions, que cette évolution sera au bénéfice mutuel de l’Allemagne, de la France et, bien évidemment, de l’Italie. C’est aussi le cas pour KNDS qui, en tant que partenaire clé de Leonardo, se positionne de manière centrale et incontournable face à Rheinmetall, comme le pivot de ce programme.

Une communication mal conduite par le ministère des Armées

En revanche, cette annonce peut apparaitre comme une humiliation pour Paris, après les déclarations du mois d’aout. À ce sujet, il existe deux hypothèses pour expliquer la cacophonie alors créée. D’abord, il est possible qu’effectivement, la France ait dû faire preuve de fermeté auprès de Berlin, afin de faciliter l’arrivée de Rome dans le programme. Toutefois, l’acquisition de Leopard 2 par l’Italie, aura donné, à court terme et en matière de communication, la prévalence à Berlin pour ce qui concerne le parrainage de ce dossier.

Ensuite, on ne peut exclure que l’information initiale était erronée, et que jamais la France n’a eu besoin d’entrer dans un quelconque rapport de force avec Berlin au sujet de l’arrivée de l’Italie dans le programme. Dans un cas comme dans l’autre, l’absence de démentis de la part du ministère des Armées, voire de KNDS, face aux affirmations faites, est probablement à l’origine de sentiment ambigu qui résulte de ces annonces successives aujourd’hui.

FMC/FMAN missiles
L’Italie a déjà été appelée à la rescousse pour redynamiser le programme franco-britannique FMAN/FMC, il y a quelques mois.

Quoi qu’il en soit, au-delà de cet aspect quelque peu déplaisant, l’arrivée de Leonardo et de Rome dans le programme MGCS, représente très certainement une bonne nouvelle, et augmente sensiblement les chances de le voir aller à son terme, notamment en diluant le rôle et le poids de Rheinmetall.

Notons aussi qu’en quelques mois, c’est la seconde fois que l’Italie rejoint un programme européen pour le redynamiser, après l’annonce de l’arrivée de l’Italie et de ce même Leonardo, dans le programme de missiles FMC/FMaN franco-britannique.

À croire qu’en matière d’industrie de défense et de programmes en partenariat, les ménages à trois s’avèrent plus robustes que les couples. À méditer…

Article du 13 décembre en version intégrale jusqu’au 13 janvier 2024


Fabrice Wolf

Ancien pilote de l’aéronautique navale française, Fabrice est l’éditeur et le principal auteur du site Meta-defense.fr. Ses domaines de prédilection sont l’aéronautique militaire, l’économie de défense, la guerre aéronavale et sous-marine, et les Akita inu.