Veloce 330, une munition téléopérée pour aller au-delà de Larinae
Une nouvelle munition téléopérée a pris les airs en France. Baptisée « Véloce 330 », cette MTO de moyenne portée conçue par EOS Technologie est l’une des deux solutions retenues pour l’appel à projet Larinae, mais pas seulement.
Une MTO véloce
« Il fallait quelque chose d’innovant ». Quelques mots suffisent au patron d’EOS Technologie, Jean-Marc Zuliani, pour résumer l’enjeu de l’appel à projet Larinae lancé en mai 2022 par l’Agence de l’innovation de défense (AID) et la Direction générale de l’armement (DGA). Lauréat, le trio formé avec KNDS France pour la charge militaire et TRAAK pour la navigation sans GPS est notifié en juin 2023 d’un contrat de développement. Conformément au calendrier imposé, le droniste bordelais dévoile la MTO Veloce 330 moins d’un an plus tard.
« Désormais, l’utilisation de la MTO est devenue incontournable », observe Jean-Marc Zuliani. Les armées françaises en étant dépourvues, il s’agit donc d’aller vite. Les deux solutions retenues pour Larinae n’ayant que 18 mois pour parvenir au stade du démonstrateur apte à une première présentation étatique. « Il nous aura fallu moins de cinq mois en partant d’une feuille blanche pour arriver à des vols satisfaisants », indique le directeur général d’EOS.
Le Veloce 330 vole depuis plus de deux mois. Inédite, sa forme relève davantage du fuselage autoporteur que de l’aile volante. « Cela veut dire que nous avons la finesse d’un planeur mais la capacité d’emport d’un avion », relève Jean-Marc Zuliani. De quoi permettre d’aller très vite et très loin. Et véloce, cette MTO l’est sans aucun doute. Avec des pointes de 400 à 500 km/h, elle peut théoriquement neutraliser un véhicule blindé lourd à 100-120 km de distance en moins de 30 minutes. Pour cela, elle emporte une charge génératrice de noyau dont la quantité d’explosif s’apparente à celle d’une munition d’artillerie de 155 mm et dont la conception s’inspire de l’obus de précision Bonus Mk II. Bref, « c’est un vrai missile low-cost ».
Sa vélocité, cette munition la doit en grande partie à la micro-turbine fournie par ALM Meca. Entre cet usinaire de précision basé à Strasbourg et EOS, les similitudes sont nombreuses. Derrière une taille similaire et un esprit entrepreneurial audacieux, leurs patrons partagent la passion de l’aéromodélisme. Plutôt que de continuer à aller chercher des solutions en Chine, celui d’ALM Méca a choisi de mettre à profit 30 années d’expérience dans l’usinage de précision pour fabriquer des turbines plus puissantes et plus frugales mais à coût mesuré.
Reste la question de la furtivité. Si elle est moins discrète que ses pairs à hélices, le Veloce 330 compense le bruit par la vitesse. À plus de 400 km/h, toute esquive semble en effet impossible pour un blindé de plusieurs dizaines de tonnes. « Quand tu l’entends, c’est déjà trop tard », expliquait un militaire ukrainien au patron d’EOS. Difficile, pour ne pas dire impossible, tant pour l’oeil humain que pour les systèmes de défense anti-aérienne de verrouiller à temps cette MTO capable de manoeuvrer à basse altitude.
Concluants, les essais permettent de progresser à grands dans la dronisation de la MTO, jalon intermédiaire vers une démonstration étatique programmée pour septembre prochain. L’aboutissement interviendra au printemps 2025, date butoir pour démontrer une MTO dotée de sa charge militaire. Un jalon qui pourrait être avancé à décembre, certains acteurs poussant à accélérer « parce que la demande internationale est encore plus pressante que la demande française ».
Voler au-delà de Larinae
S’il aura permis à la BITD française de mettre le pied à l’étrier, le projet Larinae se limite au développement d’un démonstrateur et n’inclut donc pas de passage à l’échelle. Et si le segment courte portée du projet Colibri fait l’objet d’un appel d’offres à l’issue imminente, celui de Larinae devra encore attendre pour être traduit en acquisition. Ce devra l’être un jour, car l’armée de Terre compte bien se doter de ce type de MTO pour armer ses régiments d’artillerie « à l’horizon 2028 » selon son chef d’état-major, le général Pierre Schill.
Bien qu’au coeur de Larinae, le Veloce 330 dépasse d’emblée ce seul cadre. Jean-Marc Zuliani est un adepte de la stratégie dite « Océan bleu », ce concept incitant à créer une nouvelle demande dans un espace encore inconnu plutôt qu’à améliorer ou copier l’ « Océan rouge » des solutions existantes. Plutôt que de se battre avec les mêmes produits que la concurrence, EOS « essaie d’être à côté » pour mieux capter les opportunités d’un marché émergent.
Le pari comprend sa part de risques, mais EOS ne manque pas d’idées pour les atténuer. En parallèle à l’équipe de Larinae, EOS a rejoint l’écosystème de PME et de start-ups construit depuis l’an dernier par Thales. Baptisée « Drone Warfare », l’initiative fédère les savoir-faire de plateformistes et d’équipementiers français reconnus pour répondre collectivement mais avec agilité à l’évolution rapide du besoin dans le segment des drones de contact. Quand certains dronistes privilégient la maîtrise de l’ensemble du système, EOS a choisi de se concentrer sur le vecteur. Pour creuser son propre sillon, il mise sur un Veloce 330 modulaire et agnostique tant sur ses charges utiles que sur sa propulsion, et répond par là au souhait ministériel de déboucher sur des MTO qui ne soient pas dépendantes d’un seul acteur.
Tout en conservant sa structure en matériaux composites, le Veloce 330 pourra ainsi accueillir non seulement la tête militaire produite par KNDS France, mais aussi celles en provenance de Thales et, « pourquoi pas de MBDA » relevant de technologies différentes et générant des effets différents. Réciprocité oblige, la logique s’étend au second groupement retenu pour Larinae, dont la solution MUTANT est en mesure d’accueillir la tête de KNDS. EOS fera aussi varier les motorisations. L’ajout d’une propulsion électrique et de bras spécifiques pour un décollage vertical (VTOL) étendra le domaine d’emploi, le Veloce devenant un drone capable de faire de l’observation. « On peut aussi remplacer la turbine par une motorisation à essence plus classique, pour disposer cette fois d’une très grande élongation et aller dans des profondeurs de 500 à 600 km ».
EOS voit un peu plus loin. De ses échanges avec les forces ukrainiennes, celui-ci en retire deux constats : « GNSS is dead, data link is dead ». La question n’est donc plus de savoir si la munition sera brouillée mais de trouver le moyen de poursuivre la mission malgré le brouillage. Larinae permet donc d’explorer d’autres voies, dont celle d’une intelligence artificielle capable de reconnaître le terrain, de confirmer la cible et d’éventuellement annuler la mission. Quelques-uns y pensent déjà, à l’instar de Thales et de sa solution VisioLoc Air.
À l’instar de sa MTO, EOS souhaite aller vite. Aller vite pour développer, tester, réaliser la preuve de concept dans les forces et, in fine, encourager le raccourcissement d’un cycle qui prendrait en temps normal de cinq à huit ans quand, aujourd’hui, les belligérants sur le front russo-ukrainien ou dans la bande de Gaza déploient une nouvelle idée en cinq à huit semaines. Aux opérateurs, maintenant, de laisser sa chance au produit. « Faites l’acquisition de petites quantités. Testez-les et rendez-vous compte d’à quel point cela change tout », lance le patron d’EOS. À bon entendeur…
Crédits image : EOS Technologie