Blablachars – publié le jeudi 26 septembre 2024
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Le déclenchement de l’Opération Militaire Spéciale russe en Ukraine le 22 février 2022 a remis au goût du jour une forme de combat que beaucoup considéraient comme dépassé et inadapté à l’environnement stratégique du moment, marqué par des engagements lointains et des « guerres asymétriques ». Ce retour du combat blindé mécanisé, bien que marqué dans les premières semaines du conflit par les destructions de blindés russes, a suscité une prise de conscience au sein de nombreuses armées. Les enseignements du conflit ukrainien, objets de nombreuses analyses et commentaires ont naturellement suscité des débats au sein des instances dirigeantes (civiles et militaires) dans de nombreux pays. Une immense majorité de ces derniers, parfois éloignés du théâtre ukrainien ont ainsi décider de revoir la composition et l’équipement de leurs forces en créant, modernisant ou en renouvelant leur composante blindée mécanisée.
Se singularisant depuis de longues années par des choix atypiques déjà évoqués par Blablachars, l’armée de terre donne l’impression depuis 2022 de regarder ailleurs et d’ignorer une partie des enseignements du conflit ukrainien. Cette attitude, cohérente avec les choix faits depuis de longues années en matière d’équipements et de doctrine n’est pas sans conséquence pour nos forces terrestres, privées d’un véritable segment de décision. Il est évident que l’environnement budgétaire actuel ne permet d’envisager une modification en profondeur de cette situation, il n’explique pas le silence entourant depuis de longues années le char, son environnement et le combat blindé mécanisé.
Ce silence entoure un éventuel projet de (re)création d’une véritable force blindée mécanisée. Le débat qui aurait pu avoir lieu autour de ce sujet aurait pu porter sur sa place, sa composition ou encore son équipement. Sur ce dernier point, les matériels évoqués, VCI (Véhicules de Combat d’Infanterie), engins du Génie ou encore les moyens d’artillerie blindés auraient pu être recensés et les industriels concernés auraient pu évoquer leur contribution au projet. L’élaboration du nouveau modèle de l’armée de terre aurait fourni une occasion unique d’aborder la place d’une composante blindée mécanisée dans le dispositif en cours de construction. Ainsi les modalités, le calendrier et le cout (financier, humain, matériel….) de la transformation d’une des deux brigades blindées existantes aurait pu constituer une source de débats autour de ces capacités supplémentaires, complémentaires de celles offertes par les brigades interarmes (BIA) les brigades spécialisées. Sur le plan industriel, les possibilités de « francisation » de matériels acquis sur étagère auraient procuré des éléments de réflexion et des échanges denses entre industriels et militaires, sous la houlette de la DGA, of course ! Au lieu de cela, nous poursuivons l’adoption d’engins médians dont la première qualité est de pouvoir embarquer à bord d’un A400M mais qui pourraient nous laisser fort dépourvus dans un scénario de haute intensité, en Europe ou ailleurs !
L’autre grand perdant de ce débat qui n’a pas lieu est le Leclerc, qui à défaut d’être modernisé continue d’encaisser les coups venus de toute part. Le denier en date a été porté par le Général Schill au cours du salon Eurosatory, avec l’annonce de l’abandon de toute nouvelle modernisation. Cette décision condamne le char français à attendre en l’état son remplaçant germano-français jusqu’à son arrivée prévue en 2045 pour les plus optimistes, le Leclerc aura alors 51 ans ! Cette échéance pouvant connaitre un décalage car selon le CEMAT « Certains segments du programme MGCS pourraient glisser dans le temps pour des questions industrielles. » En mai 2023 le CEMAT avait confirmé que l’armée de terre était « par héritage est une armée de forces médianes ; mais aussi par culture, par esprit manœuvrier, par impératif stratégique ; cela ne signifie pas renoncer à la puissance, mais que la mobilité, la polyvalence et la cohérence sont recherchées en priorité« . L’esprit manœuvrier serait donc l’apanage des seules forces médianes, les « culs de plomb » en étant parfaitement incapables ! Après cette première estocade condamnant le Leclerc, un éventuel char de transition et tout engin non médian, un autre coup fut porté par le Ministre des Armées avec l’enterrement de première classe du projet de Leclerc Mk3, présenté dans un projet d’amendement sénatorial évoquant l’évolution du char ! Entre silence et condamnations, le Leclerc devrait bénéficier de quelques apports, sorte de pansements sur les plaies les plus visibles, comme les viseurs avec la récente adoption des PASEO ou encore la motorisation dont le remplacement devient chaque jour plus nécessaire. Paradoxalement, la décision de maintien en l’état du char Leclerc a été confirmée au cours d’une des éditions les plus « blindées » du Salon Eurosatory avec la présentation par de plusieurs industriels d’engins ou de projets dans le domaine. Parmi les nombreux exposants, le stand KNDS illustrait parfaitement le renouveau de la filière char avec pas moins de cinq engins présentés dont le Leclerc Evo, successeur naturel du Leclerc actuel et auquel l’armée de terre n’a semblé prêter qu’une attention plus que mesurée. Cette situation fortement préjudiciable sur le plan militaire est également lourde de conséquences pour les industriels concernés au moment où de nombreux pays affichent un intérêt marqué pour des engins innovants plus légers et mieux protégés face aux nouvelles menaces parmi lesquelles les drones et autres munitions téléopérées.
Enfin le renoncement de l’armée de terre au combat blindé mécanisé est en train de faire disparaitre des doctrines d’emploi des différentes armes cette forme de combat. Alors que la haute intensité est remise à l’ordre du jour pour caractériser la moindre des activités, la manoeuvre blindée mécanisée a quasiment disparu, faute de moyens adéquats. Certes la constitution de GTIA (Groupements Tactiques Inter Armes) à dominante blindée ou infanterie continue de donner un caractère interarmes aux différentes actions, se heurtant dans certaines configurations au manque de moyens lourds, mécanisés capables d’encaisser et de porter des coups décisifs à l’ennemi. Nos équipages de Leclerc confrontés à une diminutions de leurs possibilités d’entrainement ont de plus en plus de difficultés à maitriser les savoir-faire du combat mécanisé. Il est loin le temps où les renforcements interarmes étaient quasiment systématiques dans les exercices dès le niveau compagnie ou bataillon. Les plus anciens se souviendront des 5ème Stade, ou Stade D au cours desquels les unités élémentaires aux ordres du capitaine et leurs renforcements étaient évalués sur un parcours de tir.
Si elle devait s’engager sur un théâtre requérant des moyens lourds, l’armée de terre ne disposerait que de ses chars Leclerc vieillissant et de Jaguar (en cours de livraison) dotés du canon CTA de 40mm. Ces deux engins étant pour le premier soumis à des limitations de potentiel et de disponibilité affectant l’entrainement des équipages tandis que le second est en cours d’appropriation par les équipages. Pourtant, les derniers engagements de blindés ne devraient pas manquer d’interpeller. Que ce soit l’offensive ukrainienne dans la région de Koursk dans laquelle une centaine de blindés ont été engagés, ou les opérations de l’armée israélienne reposant sur un triptyque blindé seul apte à agir dans le chaos urbain constitué par les constructions dans la Bande de Gaza. Ces deux exemples démontrent une fois encore la nécessité de disposer à côté de moyens à roues, d’engins blindés mécanisés à chenille, la mise en oeuvre des uns n’excluant pas celle des autres. Au-delà de ces deux conflits, des chars (parfois anciens) apparaissent aux quatre coins de la planète, certaines entités affichant parfois des matériels plus performants que les forces étatiques auxquelles elles s’opposent.
Un autre aspect de la situation actuelle est l’absence du char et de son environnement mécanisé dans les débats des différents organismes de réflexion. La (re)création d’un véritable segment de décision n’a jamais été évoquée dans les différentes interventions. Depuis le déclenchement du conflit en Ukraine, l’ensemble des sujets se rapportant aux différents aspects de cette guerre a été l’objet de nombreux débats dont la chose blindée semble avoir été soigneusement tenue à l’écart. Cette situation n’est pas nouvelle ; l’Opération Daguet à laquelle un GE 40 (Groupe d’Escadrons 40) constitué à la hâte, avait été greffé in extrémis, n’a eu aucune incidence sur l’armée de terre déjà engagée dans l’élimination de sa composante blindée mécanisée. Les décisions prises par des pays voisins, alliés ou plus lointains ne donnent lieu à aucun débat, ou commentaire ou suggestion. L’adoption des cope cages sur les blindés engagés en Ukraine a été observée de près par plusieurs pays dont Israël qui a en équipé ses chars en moins de 72 heures ! L’utilisation des systèmes de protection active, dont certains soulignent une efficacité limitée à 83%, reste peu commentée, peut-être par peur de contrarier les projets français ou de souligner le retard pris par notre pays dans ce domaine ! L’origine de la proposition de geste fort née dans le cerveau d’un chercheur de l’INSERM (Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire) montre le degré de considération apporté au char dans les cercles de réflexion, y compris les plus proches de la sphère militaire. Les seuls événements (à caractère historique) liés au char se déroulant en France sont à mettre au crédit du Musée des Blindés et d’associations de passionnés qui font revivre le temps d’un week-end une partie de l’histoire des blindés et de leurs équipages. Le salon Eurosatory n’empêche pas la tenue de salons spécialisés comme SOFINS ou d’événements comme le futur sommet international des Troupes de Montagne qui se tiendra les 12 et 13 février 2025. Serait-il iconoclaste d’envisager une activité similaire pour la communauté blindée au cours de laquelle retours d’expérience, pratiques et matériels pourraient être présentés.
Le silence mutique qui entoure depuis de longues années le char, son environnement, le combat blindé mécanisé, les matériels qui permettent de le mener et son utilité pour l’armée de terre ne semble pas prêt de cesser. Les succès remportés par les industriels étrangers sur le marché des blindés et les enseignements des conflits en cours ne semblent pas peser lourd face aux tropismes de notre armée ! Pourtant les vieilles lunes ne sont pas forcément celles que l’on croit, le combat blindé mécanisé étant certainement le plus moderne qui soit !