Conflit israélo-palestinien : ce qui a fait dérailler le processus de paix

Conflit israélo-palestinien : ce qui a fait dérailler le processus de paix

par Revue Conflits – publié le 7 octobre 2024

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Comment en est-on arrivé là ? Alors que l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre et la guerre de Gaza datent tout juste de un an, et que l’absence de résolution de la question palestinienne ne menace d’embraser toute la région, l’auteur retrace l’histoire des négociations entre Israéliens et Palestiniens et les raisons de leur échec.

Marwan Sinaceur est professeur de psychologie sociale à l’ESSEC. Il a un Ph.D. de l’Université Stanford aux États-Unis. Il est spécialiste de la résolution des conflits, des émotions humaines, et de la culture arabe. Il a publié sur ces thèmes dans des revues académiques telles Nature Human Behaviour, Psychological Science, et Journal of Applied Psychology. Ancien Fellow au Stanford Center on Conflict and Negotiation et ancien professeur à l’INSEAD, il a enseigné depuis plus de trente ans en France et dans douze autres pays, notamment le Maroc, le Liban et la Turquie.

L’attaque terroriste effroyable du Hamas, avec près de 1.200 morts et 250 otages (majoritairement des civils, certains toujours en captivité), et les bombardements meurtriers indiscriminés et terribles du gouvernement israélien, avec plus de 42.300 morts, 96.000 blessés, et 2 millions de déplacés (majoritairement des civils, dont 40% d’enfants), ont remis le conflit israélo-palestinien tragiquement sur le devant de la scène.

Certains présentent le conflit comme inéluctable. Mais les horreurs d’aujourd’hui n’étaient pas inéluctables. Les occasions manquées furent nombreuses, et il s’en est fallu de paix que le processus de paix ne réussisse.

Carte histoire Israël Palestine

L’assassinat de Rabin

Les accords d’Oslo, signés en 1993, ont soulevé un immense espoir. Le principe était simple : territoires contre paix. Ils promeuvent la paix contre la restitution des Territoires Occupés par Israël depuis la guerre de 1967, sur la base des résolutions du Conseil de Sécurité. Israël et l’OLP de Yasser Arafat (fédération de mouvements indépendantistes laïcs) se reconnaissent mutuellement. L’OLP reconnaît l’État d’Israël et accepte son droit à la paix et à la sécurité. Ces accords font suite à des négociations secrètes commencées par des rencontres informelles, loin des projecteurs. Ils font aussi suite à une déclaration de Arafat en 1988 par laquelle il reconnaît le droit à l’existence d’Israël. En clair, les accords d’Oslo préconisent une solution à deux États. Ils établissent une autorité intérimaire palestinienne dans les Territoires Occupés et se donnent une période transitoire de cinq ans (soit jusqu’en 1998 !) pour aboutir à un règlement permanent.

Très vite, les choses déraillent. En novembre 1995, Yitzhak Rabin, leader des accords d’Oslo et du camp de la paix en Israël, est assassiné par un terroriste ultraorthodoxe israélien. Benyamin Netanyahou conduit alors l’opposition aux accords d’Oslo et joue un rôle direct dans l’échauffement des esprits qui précède l’assassinat: dans ses manifestations, des personnes portent des panneaux représentant Rabin en uniforme nazi ou chantent « À mort Rabin ! ». Suite à la disparation de Rabin, en mai 1996 des élections se tiennent en Israël : Netanyahou l’emporte de peu (50,5%) face à Shimon Peres qui veut alors poursuivre les accords d’Oslo et le processus de paix. En pleine période pré-électorale, en février-mars 1996, le Hamas commet une série de quatre attentats terroristes en Israël, aveugles et indiscriminés. Bilan: 58 morts israéliens. Par ailleurs, les Arabes israéliens boycottent en majorité les élections, ce qui affaiblit d’autant Peres. Il est clair que ces deux événements jouent un rôle clé dans l’accession au pouvoir de Netanyahou.

Arrivé au pouvoir, Netanyahou arrive à saboter la mise en application des accords d’Oslo en faisant traîner en longueur les négociations avec l’OLP de Arafat, devenue l’Autorité palestinienne, entre 1996 et 1999. Comme le rapporte le Washington Post, Netanhyanou lui-même s’est vanté d’avoir fait échouer les accords d’Oslo au moyen de fausses déclarations et d’ambiguïtés ; il n’hésite pas à redéfinir les termes de l’accord à son avantage (par exemple, sur la notion de « zones militaires »). Il est farouchement opposé à l’établissement d’un État palestinien (Charles Enderlin, Le rêve brisé, pp. 55-59, 2002).

À cette époque, Peres reproche à Netanyahou que sa politique risque d’affaiblir l’OLP et l’Autorité palestinienne. Il l’avertit explicitement, qu’à force, cela fait le jeu du Hamas. La stratégie de Netanyahou consiste à affaiblir l’Autorité palestinienne comme interlocuteur des négociations, afin de faire monter en puissance les extrémistes du Hamas, et en conséquence montrer qu’il n’y a pas d’interlocuteur, donc pas d’accord possible avec les Palestiniens, donc pas de raison de leur concéder un État. À travers les horreurs d’aujourd’hui, on voit combien l’avertissement de Peres dans les années 1990 fut prémonitoire.

Les négociations de Camp David

Malgré tout, l’espoir persiste des deux côtés. Et en 1999, Ehud Barak, nouveau leader du camp de la paix en Israël, est élu. Comme Rabin, Barak a le prestige d’avoir servi dans l’armée et le courage des grands leaders politiques capables de faire la paix avec l’ennemi. Comme Rabin, il a l’intention de vraiment aboutir à un accord global et durable avec les Palestiniens. Et en 2000, se tiennent à Camp David les négociations de la dernière chance, sous l’auspice de Bill Clinton. Clinton est pressé, il est à la fin de son mandat et voudrait rester dans l’histoire comme le Président américain qui a réconcilié Israéliens et Palestiniens.

Les négociations de Camp David (11-25 juillet 2000) sont mal préparées. Clinton convoque les deux parties en juillet, malgré les réticences de Arafat qui estime que les négociations ne sont pas encore mûres. Dès lors, c’est le coup de théâtre. Une offre est mise par l’équipe de Barak sur la table dès le début des négociations à Camp David. Comme le rapporte Robert Malley, conseiller de Clinton pour le Moyen-Orient, l’offre a été mise sur la table beaucoup trop tôt, à un moment où « ni les Israéliens ni les Palestiniens ne s’étaient préparés à complètement comprendre les peurs et les besoins de l’autre partie ». La discussion sur une offre est venue avant que les deux parties ne comprennent réellement les intérêts sous-jacents de l’autre, en particulier avant qu’elles n’aient pu parler des questions épineuses comme le statut de Jérusalem, la sécurité, ou le statut des réfugiés palestiniens (Aaron Miller, The much too Promised Land: America’s elusive search for Arab-Israeli peace , 2008; New York Times, 26 juillet 2001). Dans nos propres recherches, nous avons montré comment faire une offre tôt plutôt que tard est généralement peu efficace dans une négociation : faire une offre tôt réduit l’échange d’informations entre les négociateurs et crispe les choses. Une offre faite tard permet que les gens comprennent d’abord les intérêts des autres et explorent des solutions créatives, avant que de rentrer dans le marchandage. L’intention de Barak était louable, cependant : il voulait éviter l’approche graduelle d’Oslo : il voulait arriver à un accord final global et éviter de perdre un précieux capital politique en le dilapidant par des négociations intermédiaires. Mais on voit que tout est question d’équilibre et de timing dans les négociations complexes : arriver au final à un accord qui englobe tous les points, mais discuter d’offres tard plutôt que tôt.

Au final, les négociations de Camp David échouent. Sans doute y avait-il trop d’empressement, trop de tension de part et d’autre. Trop de pression publique également, et surtout trop peu de temps. Les deux équipes de Barak et Arafat repartent de Camp David bredouilles. Mais l’échec est loin d’être rédhibitoire. C’est le jeu normal de négociations complexes que les choses prennent de temps. Et les négociations doivent être faites en secret, loin des projecteurs.

Mais c’est là que les choses déraillent. Barak est dépité. Il laisse se créer une version fâcheuse des négociations de Camp David, à savoir qu’il aurait fait une offre extrêmement généreuse que Arafat aurait refusée. Bref, il rejette l’entière responsabilité de l’échec des négociations sur Arafat. Il s’avère que cette version est fausse, comme le souligne Malley, qui a observé de près les négociations pour la partie américaine (et, faut-il le souligner, pour lui éviter toute accusation d’antisémitisme, se trouve être juif). La description précise des négociations par Malley se trouve dans son article Fictions about the Failure at Camp David (New York Times, 8 juillet 2001). En réalité, les deux parties étaient prêtes à des compromis et voulaient résoudre le conflit, mais il n’y a pas eu assez de temps, pas assez d’exploration des intérêts, pas assez de discussions autour des questions épineuses, trop de pression publique. La discussion des offres est venue trop tôt dans la négociation et a empêché l’exploration de solutions créatives (Aaron Miller, The much too Promised Land: America’s elusive search for Arab-Israeli peace , 2008). La déception pour les deux camps est d’autant plus grande que les espoirs étaient élevés.

Les conséquences de Camp David

C’est là que le désastre commence. La version de Barak se diffuse dans l’opinion publique. Il répète à l’envi et les médias répètent à l’envi qu’il n’y a pas de partenaire palestinien pour la paix. Le camp de la paix s’effondre en Israël. Ce n’est qu’une année après que les commentateurs israéliens et américains rétablissent la vérité complexe des négociations de Camp David, et qu’une version plus équilibrée de l’histoire émerge dans les médias israéliens et américains. Mais c’est trop tard : le mal est fait.

Mais c’est là qu’Arafat tient une égale part de responsabilité. Peu de temps après, fin septembre 2000, la seconde intifada éclate, et ce sont de nouveau des morts. Arafat n’a sans doute pas fomenté volontairement la seconde intifada, mais il laisse faire. C’est, là aussi, une erreur tragique. Ce qui met le feu aux poudres de la seconde intifada est la visite d’Ariel Sharon, alors chef de l’opposition en Israël, sur l’esplanade des Mosquées et le mont du Temple, le 28 septembre 2000. Cette visite de Sharon sur l’un des lieux sacrés pour le judaïsme et l’islam est, clairement, une provocation. Mais les Palestiniens tombent dans la provocation, dans le piège tendu. Ils réagissent par des manifestations qui dégénèrent vite en cycle de répression et de violence. En 15 jours, on compte plus de 110 morts arabes et 10 morts juifs. C’est le coup de trop dans le processus de paix. Le camp de la paix en Israël ne se remettra jamais de cette seconde intifada. Arafat pensait peut-être qu’il n’y avait pas de différence entre Barak et Sharon, là aussi c’est une grave erreur. Avec la seconde intifada, les Palestiniens affaiblissent leur interlocuteur pour la paix et renforcent les factions hostiles à la paix en Israël.

Peu de gens savent, cependant, que les négociations entre les équipes de Barak et d’Arafat ont continué… et ont été finalement couronnées de succès. Les négociations entre Israéliens et Palestiniens ont, en effet, abouti en janvier 2001. C’est l’accord de Taba, dans lequel les Israéliens et les Palestiniens ont concilié quasiment, ou sont proches quasiment de concilier, de manière exhaustive, leurs positions (Charles Enderlin, Le rêve brisé, pp. 343-351, 2002 ; Aaron Miller, The much too Promised Land: America’s elusive search for Arab-Israeli peace , 2008). Le communiqué israélo-palestinien officiel énonce « que des progrès substantiels ont été accomplis sur chacune des questions qui ont été discutées », et surtout « qu’il sera possible de résoudre les différences restantes et atteindre un accord de paix permanent entre les deux parties ». Les négociations sont interrompues du fait des élections israéliennes qui approchent en février 2001. Dans ces élections, Barak est défait : l’idée qu’il n’y a plus de partenaire pour la paix et la seconde intifada précipitent Sharon au pouvoir.

Quand Sharon arrive au pouvoir, il continue la politique de Netanyahou. Le processus de paix devient un processus élusif, sans volonté d’arriver à un accord final. Dans les années 2000, on parle de processus de paix en oubliant que le seul intérêt d’un processus est qu’il aboutisse à un résultat. Sharon érige un mur qui permet l’annexion effective de la moitié des colonies de Cisjordanie, soit autant de territoire palestinien annexé de fait par Israël (10% du territoire de Cisjordanie, 85% des colons). En 2005, il se désengage unilatéralement de Gaza, en évacuant les colonies de Gaza, mais sans négociation avec l’Autorité palestinienne. Deux ans après, le Hamas prend le pouvoir dans la bande de Gaza, et la bande de Gaza est ostracisée, sous le joug d’un blocus permanent des gouvernements israéliens qui se succèdent. L’échec du processus de paix comme la corruption de Arafat et de l’Autorité palestinienne jouent un rôle déterminant dans la montée du Hamas. Contrairement à Arafat et l’Autorité palestinienne, le Hamas s’oppose à l’existence d’un État juif et aux accords d’Oslo. Cela sied à Nétanyahou qui, lorsqu’il revient au pouvoir à la fin des années 2000, continue sa politique de 1996-1999 et privilégie le Hamas au détriment de l’Autorité palestinienne. Il le dit très clairement: « le Hamas, c’est bon pour nous ». Faire monter les fanatiques permet une fois encore de clamer qu’il n’y a pas d’interlocuteur pour la paix. Le processus de paix est mort et enterré.

Les imperfections des accords d’Oslo

Plusieurs imperfections dans les accords d’Oslo peuvent également expliquer l’échec du processus de la paix, qui facilitent la tâche de Netanyahou en 1996-1999 et rendent la tâche d’autant plus ardue pour Barak et Arafat en juillet 2000. Tout d’abord, les accords d’Oslo ne sont qu’un accord intérimaire. Les discussions difficiles, notamment sur le statut de Jérusalem et le statut des réfugiés palestiniens, sont reléguées à des négociations futures. La logique des négociateurs israéliens et palestiniens était louable et de bon sens: l’idée était de créer d’abord la confiance, en montrant qu’un accord même partiel était possible, et de laisser pour plus tard les questions les plus épineuses. Le problème est que ces questions épineuses ne sont pas du tout intégrées dans l’accord, alors qu’elles auraient pu être discutées à la fin des négociations, mais avant la signature de l’accord. En effet, le momentum le plus grand pour faire ou obtenir des concessions, c’est juste avant la signature de l’accord. Il est plus difficile de négocier sur les questions épineuses une fois qu’il ne reste plus qu’à négocier les questions épineuses. En négociation, un principe essentiel est le donnant-donnant (ou échange de concessions réciproques), ce qui est facilité par le fait de considérer toutes les questions de manière simultanée, et non séquentielle.

Mais les accords d’Oslo ont créé aussi des complications sur le terrain. Ils créent trois zones administratives en Cisjordanie: une zone où l’Autorité palestinienne a toute l’autorité (18%), une zone où l’Autorité palestinienne n’a que l’autorité civile (22%), une zone où Israël garde le contrôle entier (60%). Une conséquence non voulue est que cela complique les déplacements pour les Palestiniens au quotidien pour passer d’une zone à une autre, avec la multiplication des check-points et des frustrations en résultant. Les accords d’Oslo ne débouchent pas nécessairement sur un mieux-être immédiat pour la population.

Surtout, la colonisation et les implantations israéliennes en Cisjordanie n’ont jamais été freinées par les accords d’Oslo. Comme le note Charles Enderlin, on passe de 106.000 colons en 1992 à 151.000 en juin 1996 (Le rêve brisé, p. 56, 2002). Il y en a plus de 450.000 aujourd’hui en Cisjordanie, selon le décompte du Jerusalem Post, ainsi que 220.000 à Jérusalem-Est selon l’organisation israélienne Shalom Akhshav. Aujourd’hui, la Cisjordanie est un gruyère où il est impossible d’avoir une contiguïté territoriale entre les différents morceaux palestiniens. Les Palestiniens en Cisjordanie sont l’objet de multiples violences de la part des colons israéliens, comme l’arrachage des oliviers, le captage des ressources en eau, l’expulsion de maisons, etc., comme le relatent les organisations israéliennes telles B’Tselem (179 morts palestiniens en Cisjordanie avant les attaques du 7 octobre sur l’année 2023 selon CNN). De fait, la colonisation a rendu non viable un État palestinien. Pour les Palestiniens, les accords d’Oslo n’ont donc pas abouti à une réalité tangible.

À une conférence au Stanford Center on Conflict and Negotiation à laquelle l’auteur a assisté en 2004, le philosophe israélien Avishai Margalit déclarait qu’il y a deux choses différentes : la paix et la justice. La justice, disait-il, est éminemment subjective, car la perception de ce qui est justice pour les Israéliens ne correspond pas à la perception de ce qui est justice pour les Palestiniens (et réciproquement). Si on veut la justice, on n’aura pas la paix. Si on veut la paix, il faut vouloir ne pas avoir justice. Il faut espérer qu’un jour, Israéliens et Palestiniens retrouveront un chemin de la paix. Il s’en est fallu de peu, à plusieurs reprises, qu’ils n’y réussissent.

Actes attribués au Hezbollah au Liban et au nord et au centre d’Israël.

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