Général Burkhard : « L’armée française n’est pas taillée pour aller faire la guerre » dans la zone Indopacifique
Avec la professionnalisation des armées, la Révision générale des politiques publiques [RGPP] et les contraintes budgétaires, le format des forces dites de souveraineté, car affectées dans les territoire d’outre-Mer, a été réduit d’environ 20 % entre 2000 et 2015. Et cela s’est également traduit par des ruptures capacitaires temporaires, voire définitives.
Aussi, ces dernières années, plusieurs rapports parlementaires ont établi le constat que, malgré leurs contributions aux principales fonctions stratégiques [connaissance et anticipation, protection et intervention], voire leur appui à la dissuasion, les forces de souveraineté n’avaient pas les moyens suffisants pour mener l’ensemble des missions qui leur sont assignées.
Cependant, les deux dernières Lois de programmation militaire [LPM] ont acté une remontée en puissance des forces de souveraineté, avec, par exemple, le renouvellement des patrouilleurs de la Marine nationale. Il est aussi question qu’elles bénéficient d’un investissement de 13 milliards d’euros pour la période 2024-30. En outre, des déploiements aériens comme « PEGASE » [Projection d’un dispositif aérien d’EnverGure en Asie du Sud-Est] permettent de renforcer ponctuellement la posture des forces françaises dans les territoires ultramarins de la zone Indopacifique.
« Il s’agit d’améliorer notre contribution à la protection du territoire national, singulièrement de nos territoires d’outre-mer et de nos zones économiques exclusives, où l’accumulation des tensions stratégiques et les stratégies hybrides – sans oublier les effets liés au changement climatique, à la prédation sur les ressources naturelles et aux flux migratoires illégaux – nous obligent à revoir notre dispositif », avance la LPM 2024-30.
Or, en 2021, alors chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM], l’amiral Pierre Vandier avait dit ne pas exclure un « coup de force » contre un territoire français ultramarin. « Des affrontements violents en mer sont possibles, y compris de la part d’adversaires qui pourraient agir de manière à défier notre détermination et tester l’articulation de notre capacité de réponse conventionnelle sous le seuil nucléaire », avait-il confié à Mer & Marine, en prenant l’exemple de la guerre des Malouines / Falklands.
« De la même manière, on pourrait imaginer à l’avenir une tentative d’éviction de la France de certaines régions du monde, notamment celles où nous avons des territoires. Nous devons pouvoir décourager et si nécessaire empêcher de telles initiatives », avait ajouté l’amiral Vandier, avant de souligner la nécessité pour la Marine nationale d’aligner des « équipements répondant à la hausse du niveau de menace ».
Parmi les territoires d’outre-mer susceptible de faire l’objet d’un éventuel coup de force, la Nouvelle-Calédonie arrive en tête de liste, en raison de la position stratégique qu’elle occupe. Dans un volumineux rapport publié en 2021, l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire [IRSEM] avait expliqué que l’éventuelle indépendance de l’archipel ne pourrait que servir les intérêts de Pékin.
« Une Nouvelle-Calédonie acquise à la Chine deviendrait la clé de voûte de la stratégie d’anti-encerclement chinoise, tout en isolant l’Australie puisqu’en plus de Nouméa, Pékin pourra s’appuyer sur Port Moresby, Honiara, Port-Vila et Suva », avait avancé l’IRSEM. D’où l’intérêt que porte Pékin aux mouvements indépendantistes néo-calédoniens.
« La Chine fonctionne en noyautant l’économie, en se rapprochant des responsables tribaux et politiques parce que c’est la méthode la plus efficace et la moins visible. Sa stratégie est parfaitement rodée et elle a fonctionné ailleurs dans le Pacifique », avait souligné le rapport.
Pour autant, faut-il redouter un coup de force militaire contre le « Caillou » ? Le chef d’état-major des armées [CEMA], le général Thierry Burkhard, n’y croit pas. D’ailleurs, même si cela devait arriver, la France n’aurait pas les moyens de s’y opposer…
« Bien sûr, nous devons assurer la souveraineté de nos territoires d’outre-mer, mais soyons clairs : la France n’a pas l’ambition d’aller faire la guerre dans la zone indo-pacifique ! », a en effet affirmé le CEMA, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, le 25 septembre dernier [le compte-rendu vient d’être publié, ndlr].
« Ce qui menace la Nouvelle-Calédonie n’est pas une invasion par la Chine. [Si] celle-ci cherche probablement à y étendre son influence, l’armée française n’est pas taillée pour aller faire la guerre à 17 000 kilomètres d’ici. La menace qui s’exerce sur notre souveraineté en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française aujourd’hui n’est pas stricto sensu une menace militaire qui nécessite des installations et un outil de combat », a conclu le général Burkhard.
En attendant, la situation en Nouvelle-Calédonie, en proie à de vives tensions d’une ampleur inédite depuis les années 1980, inquiète l’Australie ainsi que, dans une moindre mesure, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis.