Guerre en Ukraine : pourquoi la Russie veut annexer les territoires séparatistes (Entretien du 20 septembre dans le Figaro)

Guerre en Ukraine : pourquoi la Russie veut annexer les territoires séparatistes (Entretien du 20 septembre dans le Figaro)

(A noter que cet entretien a eu lieu avant la déclaration de V. Poutine ce 20 septembre 2022 soir)

Guerre en Ukraine : pourquoi la Russie veut annexer les territoires séparatistes

Par Amaury Coutansais Pervinquière

ENTRETIEN – Quatre régions séparatistes vont organiser des référendums pour rejoindre la Russie entre les 23 et 27 septembre.

Le général (2S) François Chauvancy est consultant en géopolitique, docteur en sciences de l’information et de communication, et enseignant à l’Institut Catholique de Paris.

LE FIGARO. – Les régions de Kherson, Louhansk, Zaporijjia et Donetsk organisent à la fin de la semaine des référendums de rattachement à la Russie. Que changerait leur probable annexion ?

Général François CHAUVANCY. – Elle permettrait, puisque ces territoires passeraient sous le pavillon, l’autorité et la protection russes, de justifier leur protection auprès de la nation. Si les Ukrainiens devaient maintenir leurs attaques sur ces territoires, Vladimir Poutine pourrait donc exiger un effort supplémentaire afin de les défendre. Ce qui, in fine, pose deux questions : l’opportunité d’une mobilisation générale ou partielle, et l’utilisation d’une arme nucléaire. La doctrine russe prévoit en effet l’utilisation de la dissuasion nucléaire en cas d’agression de son territoire.

Début septembre, les autorités d’occupation du sud de l’Ukraine (oblasts de Kherson et de Zaporijjia) avaient repoussé l’organisation de référendum de rattachement à la Russie. Pourquoi un tel revirement aujourd’hui ?

Je pense que la difficulté militaire est telle que Vladimir Poutine craint que son armée ne soit pas en mesure de résister à la poussée ukrainienne dans le sud et l’est de l’Ukraine. Si elle ne peut garantir la protection de ces territoires, conquis avec difficulté, cela remettrait en cause les objectifs de «l’opération militaire spéciale». Perdre le Donbass ou la Crimée décrédibiliserait la Russie. Et, quel que soit le régime autoritaire, le chef peut être mis hors d’état de gouverner dans ce type de situation.

Quant aux référendums, je ne vois pas comment les séparatistes pourraient les organiser dans de bonnes conditions d’ici à trois jours. Ils sont donc viciés d’avance. Ce seront des référendums Potemkine.

La Douma a voté le 20 septembre plusieurs amendements dans le Code pénal incluant les termes de «mobilisation générale» et de «loi martiale». Une mobilisation générale est-elle envisageable ?

Elle est, sans aucun doute, une arme potentielle. La mobilisation, quand bien même la jeunesse russe voudrait se battre, ne veut pas dire que la troupe sera bien formée. Pour ce faire, il faut au moins plusieurs mois. Pour lier le calendrier militaire au calendrier juridique, la guerre devrait donc durer au moins jusqu’au printemps.

Je ne crois donc pas à la mobilisation générale, mais la mobilisation partielle qui s’appuierait sur l’utilisation des conscrits me paraît une option envisageable. En effet, l’armée professionnelle est trop usée et nécessite une ressource humaine rapidement mobilisable.

La Russie se réserve le droit d’utiliser son arsenal nucléaire en cas d’agression sur son territoire. Or, l’annexion intégrerait les territoires séparatistes à la Russie. Peut-on craindre une utilisation de l’arme nucléaire ?

Depuis le début de la guerre, je répète que l’option nucléaire ne doit pas être négligée. Au moins comme une possibilité. Ce risque a été pris en compte par l’administration américaine, Joe Biden a mis en garde la Russie contre toute utilisation d’armes nucléaires ou chimiques. Quant à l’arme nucléaire tactique souvent évoquée, elle n’aurait qu’une faible puissance irradiant une zone de deux à trois kilomètres carrés avec un effet militaire faible en termes de souffle.

L’emploi d’une telle arme pourrait appeler en réponse une réaction du même type. Ce qui ne veut pas dire que des infrastructures ou des groupements humains seraient visés. De plus, elle signerait la fin d’un tabou dont l’enchaînement est imprévisible.

Quelle pourrait être la réaction des Occidentaux en cas d’annexions ?

C’est une bonne question. À mon sens, la réaction sera plutôt ukrainienne qu’occidentale. Les Occidentaux, eux, maintiendront leurs efforts et leurs condamnations en laissant la guerre se dérouler avec le sang des Ukrainiens qui voudront reprendre leur terre. Sauf effondrement de l’armée russe, qui est une hypothèse peu crédible, je vois mal l’Ukraine reprendre son territoire d’ici à l’hiver. En attendant, les livraisons d’armes se poursuivront et la fin de l’hiver pourrait signer la reprise des hostilités.