Un second porte-avions nucléaire NG français : Pourquoi faire ? Et pour combien ?

Un second porte-avions nucléaire NG français : Pourquoi faire ? Et pour combien ?


PANG1 Meta-Defense.fr

 

C’est par un tweet enthousiaste que le député Renaissance de la deuxième circonscription du Finistère, Jean-Charles Larsonneur, a annoncé hier en soirée l’adoption par une majorité transpartisane d’un amendement à la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, pour qu’une étude approfondie soit menée durant la LPM, au sujet de la construction et mise en œuvre d’un second porte-avions nucléaire de nouvelle génération, ou PANG, alors que la première unité qui doit remplacer le PAN Charles de Gaulle en 2038.

Au delà du fait que le Parlement a joué, dans la conception de cette LPM, un rôle bien plus visible et bienvenu que lors des précédentes, l’annonce d’une étude formelle pour donner une vision claire de ce que pourrait faire, mais également de ce que couterait la construction et la mise en oeuvre d’un second porte-avions pour la France, est incontestablement une avancée notable sur un sujet qui, depuis jacques Chirac, n’a cessé d’être reporté par les président successif à la “prochaine mandature”.

Combien couterait un second porte-avions nucléaire de nouvelle génération ?

Il est vrai qu’un porte-avions, qui plus est nucléaire, coute cher. Ainsi, l’enveloppe pour la conception et la construction du successeur du PAN Charles de Gaulle est officiellement fixée autour de 5 à 6 Md€, certains échos faisant même état de 8 Md€. En outre, au delà de la construction et de l’équipement du navire lui-même, il convient de lui conférer un équipage expérimenté, qui plus est intégrant une tranche nucléaire, ainsi qu’une escorte efficace et un groupe aérien dimensionné pour en exploiter le potentiel.

Ainsi, pour mettre en œuvre le Charles de Gaulle, la Marine Nationale met en œuvre un équipage de presque 2000 marins, officiers mariniers et officiers sur le navire, auxquels s’ajoutent quelques 500 militaires à bord de son escorte composée d’un sous-marin nucléaire d’attaque, une frégate anti-aérienne, deux frégates anti-sous-marines ainsi qu’un Bâtiment Ravitailleur de la Flotte (ou BRF) dans un déploiement classique.

Le groupe aérien, lui, se compose de 2 des 3 avions de guet aérien E2C Hawkeye, de 16 à 20 Rafale M sur les 40 en service au sein des 3 flottilles de l’aéronautique Navale, de quelques hélicoptères ainsi que du soutien d’un avion de patrouille maritime Atlantique 2, sur la vingtaine en service aujourd’hui. Au total, donc, le Groupe aéronaval se compose de 6 navires, 25 aéronefs et 3500 militaires, soit l’équivalent de 3 régiments de l’Armée de Terre.

porte avions charles de gaulle FREMM Meta-Defense.fr
Le PAN Charles de Gaulle est en général accompagné d’une frégate anti-aérienne, de deux frégates anti-sous-marines, d’un bâtiment logistique ainsi que d’un Sous-marin nucléaire d’attaque et d’un avion de patrouille maritime

De fait, l’annonce de l’étude qui sera menée au cours de la prochaine LPM, a laissé perplexe de nombreux observateurs : la France aura-t-elle les moyens de financer la construction du navire et de son escorte ? la Marine Nationale pourra-t-elle doter les nouveaux navires et flottilles des personnels requis ? N’y aurait-il pas mieux à faire avec ce montant que de se doter d’un second Groupe Aéronaval ?

Quels atouts un second porte-avions nucléaire apporterait-il ?

Comme souvent, les questions, tout comme les réponses avancées, dépendent du point de vue pris par celui qui les pose, alors que les options sont nombreuses, tant du point de vue budgétaire que RH, pour y répondre dans les années à venir, selon les ambitions affichées.

En premier lieu, il est indispensable de clarifier l’intérêt, pour la France, de se doter d’un second porte-avions. Nous ne reviendrons pas sur la dispute d’experts récurrente depuis plusieurs années, et même décennies, au sujet de la supposée nouvelle vulnérabilité des porte-avions aux missiles désormais hypersoniques.

Comme nous l’avons déjà montré, cette vulnérabilité n’est ni nouvelle, ni même supérieure à ce qu’elle fut dans les décennies passées, alors même que les porte-avions ont joué un rôle décisif dans le contrôle des océans et des conflits depuis la seconde guerre mondiale.

Nous ne reviendrons pas davantage sur le potentiel militaire unique du porte-avions dans le contexte opérationnel moderne, le navire étant le seul à pouvoir tout à la fois imposer une zone d’exclusion aérienne et navale sur un rayon de 1000 km voire au-delà, tout en menant des frappes soutenues dans la durée contre un adversaire ou en soutien de forces alliées. C’est la raison pour laquelle toutes les grandes marines mondiales, y compris la Chine et la Russie qui pourtant se réclament à la pointe des armes hypersoniques, se dotent ou entendent se doter de cette capacité unique.

De fait, la France dispose déjà de cette capacité, et même d’une capacité partagée uniquement par l’US Navy, à savoir la mise en oeuvre d’un porte-avions doté de catapultes et de brins d’arrêt, permettant aux aéronefs mis en oeuvre de décoller à lourde charge en consommant peu de carburant, et donc de disposer d’une autonomie et d’une puissance de feu supérieures.

En outre, cette configuration autorise un plus grand nombre de manoeuvres aériennes chaque jour, ce qui multiplie de fait le potentiel opérationnel du bâtiment.

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Le porte-avions chinois Type 003 de plus de 80.000 Fujian a été lancé le 17 juin 2022. C’est le premier porte-avions chinois à être doté de catapultes électromagnétiques, ici protégées par des infrastructures sur le pont)

Pour autant, avec un unique navire, la Marine Nationale ne peut garantir la présence à la mer du groupe aéronaval que 40% du temps, et une prise d’alerte de l’ordre de 60% du temps, le reste étant nécessaire à la maintenance du navire, et au repos et à l’entrainement de son équipage. On notera que la flotte de chasse embarquée française, avec 40 Rafale Marine et 3 E-2C Hawkeye, est également dimensionnée pour respecter ce contrat opérationnel, sans pouvoir aller au delà.

L’arrivée d’un second porte-avions nucléaire permettrait donc à la France de maintenir à la Mer un de ses deux navires autour de 60% du temps, et d’assurer une prise d’alerte de 100% du temps, tout en réduisant de 30% la pression opérationnelle sur les équipages et les deux navires vis-à-vis du Charles de Gaulle, permettant d’en améliorer l’entrainement, la maintenance et même la qualité de vie.

Surtout, en passant d’une prise d’alerte de 60% à 100%, le Groupe Aéronaval ouvrirait de toutes nouvelles perspectives opérationnelles à l’Etat-major français, y compris dans le domaine de la dissuasion, puisqu’il aurait, à tout moment, la garantie de pouvoir compter sur un Porte-avions et son escorte en cas de crise ou de conflit, et même de 2 porte-avions au besoin environs 30% du temps.

Doctrine et couts sont liés

C’est précisément le contrat opérationnel qui sera donné à ce Groupe Aéronaval qui déterminera grandement les couts de mise en œuvre d’un second porte-avions. Certes, les couts de la construction du navire, eux, seront fixes, même si le navire devait rester à quai faute d’équipage et d’avions.

Ils représentent, aujourd’hui, entre 4 et 5 Md€, dont 1 Md€ pour les seules systèmes de catapultes et brins d’arrêt électromagnétiques acquis auprès des États-Unis. Tout le reste, c’est à dire l’escorte, le groupe aérien embarqué, et même l’équipage, dépendra des choix opérationnels et politiques qui encadreront la mise en oeuvre de ce navire.

Un E2 C Hawkeye pret a etre catapulter sur le pont du Porte avions nucleaire francais Charles de Gaulle Meta-Defense.fr
Le Groupe aérien du Charles de Gaulle se compose d’une vingtaine de Rafale M, de deux E-2C Hawkeye et de plusieurs hélicoptères dont les fameux “Pedro” en charge de repêcher les pilotes en cas d’accident

Ainsi, si la France veut se doter pleinement et de manière autonome d’un second groupe aéronaval, il conviendra non seulement de constituer un second équipage nucléaire de 2000 hommes et femmes pour armer le navire, mais également d’acquérir et d’armer 1 SNA, 3 frégates dont une anti-aérienne et d’un BRF supplémentaires, soit un surcout de construction d’environ 4 Md€, et un millier de marins supplémentaires pour armer les bâtiments, souvent en double équipage.

Il serait également indispensable de constituer deux flottilles de chasse embarquée supplémentaires, et donc d’acquérir environs 30 appareils, ainsi que 2 avions de guet aériens E-2D en plus des 3 delà commandés pour remplacer les Hawkeye du Charles de Gaulle.

Au total donc, une telle hypothèse devrait revenir à 13 ou 14 Md€ en acquisition, et à 400 m€ par an en couts de personnels. Et de rappeler qu’un tel montant permettrait à l’Armée de l’Air de constituer 3 escadrons de chasse supplémentaires et leurs appareils de soutien, ou à l’Armée de terre de se doter de 400 chars lourds et autant de véhicules de combat d’infanterie chenillés.

Il ne revient pas à cette analyse de déterminer quels investissements seraient les plus performants pour renforcer la défense et le rôle de la France sur la scène internationale. En revanche, il est indispensable de prendre en considération que cette approche ne représente qu’une hypothèse parmi d’autres quant à l’utilisation et donc au dimensionnement du second PANG.

porte avions charles de gaulle Meta-Defense.fr
Un second porte-avions permettrait de faire baisser la pression opérationnelle sur les équipage, tout en augmentant la disponibilité de la capacité aéronavale tant à la mer qu’à l’alerte.

Ainsi, il serait également possible de considérer que le second navire n’aurait pour seule fonction que de suppléer le premier lors de ses indisponibilités, ou d’en partager la charge. Présenté ainsi, les besoins en matière d’escorte supplémentaire seraient fortement réduits, voire inexistants, alors que les besoins concernant le dimensionnement du groupe aérien embarqué serait plus ou moins divisés par deux, ce qui en ramènerait les couts d’acquisition autour de 6,5 à 7 Md€, et les surcouts de fonctionnement à seulement 250 m€ par an.

Il serait même possible de réduire encore davantage ces couts, tout en augmentant la présence à la mer du second groupe aéronaval, en bâtissant une alliance opérationnelle pour sa mise en oeuvre avec d’autres pays européens susceptibles d’en fournir tout ou partie de l’escorte, une partie du groupe aérien embarqué, voire une partie de l’équipage. Des pays comme l’Italie, l’Espagne ou la Belgique pourraient y voir un intérêt évident, et se laisser séduire par une telle approche.

Conclusion

On le comprend, dès lors, la construction d’un second porte-avions de nouvelle génération, ne doit en aucun cas être exclusivement considérée comme la reproduction à l’identique de la capacité et donc des couts engagés autours du remplaçant du Charles de Gaulle, mais plutôt comme un champs riche de possibilités et d’options, qui permettrait à la France et à l’Europe de se doter d’une capacité qui ne sera détenue, au delà de 2040, que par les Etats-Unis et la Chine, à savoir de disposer en permanence d’un groupe aéronaval avec en son centre un porte-avions nucléaire lourd doté de catapultes.

L’étude qui sera menée dans les années à venir, et qui ne manquera probablement d’explorer toutes ces options, permettra précisément d’y voir clair dans ce domaine, et donc donnera aux dirigeants comme aux parlementaires, les outils pour prendre une décision plus rationnelle que dogmatique.