De l’intérieur à l’extérieur : La France qui tombe !

De l’intérieur à l’extérieur : La France qui tombe !

par Vincent Gourvil (*) – Esprit Surcouf – publié le 16 mai 2025
*Pseudonyme d’un haut fonctionnaire
Docteur en sciences politiques

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« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » (Albert Camus). Et, c’est bien le mal qui ronge nos sociétés occidentales. La France ne fait pas exception à la règle. Une chape de politiquement correct, de langage aseptisé, de mots choisis … pèse sur les esprits de nos jours. En un mot, il y a des mots que l’on ne peut plus prononcer sous peine de subir lynchage médiatique, de se voir réduit au silence avec une efficacité redoutable. Comme le souligne George Orwell dans sa préface de La ferme des animaux, « Le véritable ennemi, c’est l’esprit réduit à l’état de gramophone ». Aussi bien la sphère de la politique intérieure que celle de la politique extérieure n’échappent à ces vents mauvais qui bâillonnent durablement L’esprit des lumières et la sacro-sainte liberté d’expression. Jusque dans un passé très récent, il était incongru de soutenir que notre Douce France se portait mal et qu’elle perdait tout crédit sur la scène internationale. Mais, les faits sont têtus. Le réel est incontournable. Le roi est nu. Rien n’y fait, y compris notre Mozart de la finance pour sauver ce qui l’être encore à l’intérieur de nos frontières comme notre Mozart de la diplomatie hors de ces mêmes frontières tant existe un lien étroit entre le dedans et le dehors. Comme le rappelle le général de Gaulle : « Il n’y a pas de réalité internationale qui ne soit d’abord une réalité nationale ».

Les vicissitudes de la politique intérieure : le Mozart de la finance

Bien qu’elle apparaisse de plus en plus comme l’homme malade de l’Europe, la France se permet de donner des leçons de bonne gouvernance à la terre entière.

La France homme malade de l’Europe

Le constat sans appel du Premier ministre François Bayrou, lors de sa conférence de presse du 15 avril 2025, sonne comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu[1]. Le ton est donné avec la devise affichée derrière l’orateur : « La vérité pour agir ». Le Béarnais est à la recherche des 40 milliards d’euros pour boucler le budget 2026[2]. Comment en sommes-nous arrivés à ce point alors que les duettistes, Gabriel Attal et Bruno Le Maire jurent, il y a peu encore, que la situation des finances de notre pays est satisfaisante en dépit des appréciations de moins en moins encourageantes, au fil du temps, des fameuses agences de notation ? La France vit au-dessus de ses moyens. Elle se drogue au déficit de ses finances publiques et de son commerce extérieur. Elle est incapable de procéder aux réformes indispensables pour remettre le pays sur les rails des limites de 3% posées par l’Union européenne. Le tableau ne serait pas complet si nous n’évoquions la transformation lente mais sûre de notre pays en un narco-état complétée par des attaques sans précédent contre les prisons ; la multiplication des règlements de compte entre bandes rivales, y compris dans la France périphérique ; une insécurité croissante[3] ; une immigration peu ou mal maîtrisée ; des services publics essentiels (santé, éducation, justice, police …) en capilotade ; une crise de l’autorité ; une crise de confiance des citoyens dans la politique et la justice, une crise morale de grande ampleur … Tous maux qui ne sont pas ou peu traités à la racine !

La France donneuse de leçon

Nonobstant, ce triste constat, « la France embêteuse du monde » si bien croquée par Jean Giraudoux dans L’Impromptu de Paris (1937) chapitre tel ou tel avec morgue sur la mauvaise conduite de sa politique intérieure, largo sensu. Emmanuel Macron excelle dans le rôle de Père Fouettard, ce personnage imaginaire que la légende représente aux côtés du Père Noël, armé de verges pour corriger les enfants indisciplinés. Il reçoit, à jet continu, les mauvais élèves en son Palais de l’Élysée pour leur faire la leçon, les chapitrer (Cf. visite controversé du président syrien, 7 mai 2025). Il présente la France en parangon de vertus contrairement à son premier ministre qui tient des propos inquiétants, alarmistes sur l’état de la France, qui soigne la dramaturgie du « comité d’alerte du budget ». Nonobstant ce lourd handicap interne, sur l’archipel du buzz, Jupiter excelle comme si de rien n’était. Depuis la dissolution de l’Assemblé nationale qui tourne à la Berezina, le président de la République laisse le soin de prendre les mauvaises décisions internes à son chef de gouvernement. Contrairement à tous les organismes indépendants qui font crédit au président argentin et à la présidente du conseil italien des bons résultats obtenus en matière budgétaire et financière, le chef de l’État les ignore superbement. Incroyable mais vrai. Comment donner des satisfécits à des membres de « l’internationale réactionnaire » ? C’est moralement impossible. Ils ne peuvent en aucun cas servir de bon exemple à la France arrogante que stigmatisent nos partenaires.

Combien de temps encore pensons-nous nous permettre d’ignorer que la déliquescence de notre situation intérieure n’emporte pas de conséquences fâcheuses[4], fatales sur notre politique extérieure, quoi qu’en dise notre Mozart de la diplomatie ?

Les vicissitudes de la politique extérieure : le Mozart de la diplomatie

D’une France sûre d’elle-même sur le plan international, nous passons, lentement mais sûrement, à une France sûre de rien en raison de lourds handicaps cumulés telle la confusion entre politique étrangère et diplomatie et le lest de notre situation intérieure dégradée.

La France sûre d’elle-même

Comment caractériser la politique étrangère d’un pays ? Par la conception générale des besoins de la nation, conception dérivant des nécessités de l’instinct de conservation, des modalités mouvantes de l’intérêt économique et stratégique et de l’état de l’opinion publique modifié à son tour par divers facteurs tels que l’ardeur ou la lassitude, les préjugés et les sympathies, l’ambition ou le souvenir d’une gloire passée. Une politique étrangère vaut par la cohérence de son dessein, une diplomatie par l’agilité de ses mouvements. La grande force de la politique gaullo-mitterrandienne, qui s’étend sur un demi-siècle, c’est de ne pas vouloir plaire à tout le monde. Elle reste marquée par plusieurs traits cumulatifs : prise en compte du temps long dans une perspective historique, dans une vision stratégique ; recherche d’une approche globale des problèmes internationaux ; attachement viscéral à l’indépendance nationale ; conjugaison harmonieuse de l’intérêt national et de l’intérêt général en raison d’une conception universelle de la mission de la France à travers ses idées et sa langue ; triomphe de la raison sur la passion ; conviction que le droit prime la force pour défendre la construction d’un ordre mondial sans le saper en même temps par un recours inconsidéré aux méthodes coercitives ; subtil cocktail entre parole et silence (la politique étrangère se nourrit d’un certain secret) destinée à préserver au maximum ses marges de manœuvre en particulier dans la recherche d’un équilibre délicat entre intérêts économiques et droits de l’homme…

La France sûre de rien

Au fil des décennies, des années les plus récentes, cette approche de l’action internationale de la France s’érode en raison d’une confusion entre politique extérieure et diplomatie et du lourd handicap tenant à la volatilité de la politique intérieure. La diplomatie est un moyen, une méthode. Elle cherche, par le raisonnement, par la conciliation et le marchandage des intérêts, à empêcher les grands conflits d’éclater. La diplomatie, c’est l’intermédiaire dont se sert la politique étrangère pour parvenir à ses buts par une entente et pour éviter la guerre. Lorsque l’accord est impossible, la diplomatie, instrument pacifique, devient inutile ; la politique étrangère, dont la sanction finale est la guerre, reste seule efficace. Ainsi, l’objectif de la diplomatie est de contribuer à l’édification d’un ordre international renforçant la paix et la sécurité internationales conformément aux objectifs de la Charte des Nations unies. Si la politique étrangère reflète des valeurs à travers une vision cohérente, la diplomatie recherche l’efficacité grâce à une méthodologie singulière. Or, Emmanuel Macron a trop tendance à confondre politique étrangère et diplomatie. Qui plus est, sa marge de manœuvre est de plus en plus grevée par la dégradation continue de notre situation intérieure sur les plans sécuritaire, économique, financier, social … Comment faire entendre une voix crédible de la France dans le concert des nations ? Nous administrons des leçons de droit et de morale à la terre entière sans pour autant balayer devant notre porte, dans un exercice de « diplomatie-fiction ». Jupiter excelle dans son rôle de mouche du coche de la scène internationale.

L’étrange défaite

« Gérer le déclin d’un empire en ruine représente l’une des plus formidables gageures de la diplomatie (Henry Kissinger, 1996). Même si comparaison n’est pas raison, tel est l’un des principaux défis que doit relever la diplomatie française si elle ne veut pas s’effacer. Elle doit s’interroger sur l’adéquation de ses moyens à ses fins ; la faisabilité de ses initiatives dans leurs dimensions géopolitique et financière ; l’importance de ses intérêts bien compris ; la cohérence avec l’action de l’Union européenne, de l’OTAN, de l’ONU ; la fiabilité de sa parole sur la scène mondiale…  En un mot, elle doit se poser la question de sa crédibilité. Apporte-t-elle les réponses idoines aux problèmes qu’elle entend contribuer à résoudre ? Le problème est profond. À quand le lancement d’une véritable réflexion sur la diplomatie française par des experts indépendants posant un diagnostic sans tabou de ses maux suivi de l’exposé des remèdes pour qu’elle retrouve sa place dans le monde ? Nous n’en sommes pas encore là alors que nos problèmes internes ne trouvent pas de solutions structurelles. D’ici là, nous serons contraints de naviguer à vue dans la cour des déclassés du concert des nations. De l’intérieur à l’extérieur, il n’y a qu’un pas. Nous assistons aujourd’hui à la projection d’un film qui a pour titre La France qui tombe[5].


[1] Mariama Darame, Budget ! Bayrou décrit une situation « intenable », Le Monde, 17 avril 2025, p. 11.

[2] Erik Emptaz, Comment trouver 40 milliards d’économies ? Le couple Macron-Bayrou ponctionne à merveille !, Le Canard enchaîné, 16 avril 2025, p. 1.

[3] Alienor de Pompignan, Une semaine en France : la litanie macabre d’un pays à la dérive, www.bvoltaire.fr , 18 avril 2025.

[4] Mariama Daramé, Macron entend revenir sur la scène nationale, Le Monde, 7 mai 2025, p. 7.

[5] Nicolas Baverez, La France qui tombe, Perrin, 2003.

(*) Vincent Gourvil est le pseudonyme d’un haut fonctionnaire, par ailleurs Docteur en sciences politiques.