« Détruire le terrorisme au Mali était une mission impossible »
Tribune
Comment expliquer les difficultés diplomatique et militaire française au Mali ? Pour le chercheur Serge Michaïlof, une série de maladresses et d’erreurs d’interprétation ont conduit à cette situation. Il pointe en particulier un « fétichisme » de la démocratie et une vision erronée de la lutte contre le terrorisme.
Par Serge Michaïlof* – La Croix – publié le 02/02/2022
* Chercheur associé à l’IRIS, ancien cadre de l’Agence française de développement (AFD)
Au Mali, notre fétichisme à l’égard d’une démocratie à bout de souffle a conduit notre diplomatie à ajouter une série de maladresses à l’erreur initiale commise par le président Hollande de transformer l’opération Serval, aux objectifs clairs et limités, en une opération Barkhane aux objectifs flous et inatteignables. Notre armée a brillamment arrêté le rezzou djihadiste qui aurait sans doute pu conquérir Bamako en 2013. Mais lui demander ensuite avec Barkhane de détruire le terrorisme au Mali était lui confier une mission impossible.
D’abord, on ne combat pas au Mali le « terrorisme » comme George W. Bush l’a fait, avec le succès qu’on lui connaît, en Afghanistan et en Irak. Le terrorisme est un mode d’action au service de buts politiques. Vouloir lui faire la guerre n’a pas de sens. Nous combattons au Sahel des ennemis multiples qui parfois utilisent le terrorisme comme mode d’action, mais qui ne dédaignent pas pour autant des actions armées typiques de la guérilla.
Business as usual
La mise en place de Barkhane a laissé croire au président Ibrahim Boubacar Keïta fraîchement élu que, les Français s’occupant des djihadistes, la démocratie à la malienne pouvait se poursuivre « business as usual ». L’une de ses premières décisions a été d’acheter un avion présidentiel, avec sans doute un bon dessous de table, sur le budget de la défense ! Nous aurions alors dû quitter le Mali pour faire revenir à la raison un président inconséquent.
Nous avons ensuite toléré une armée malienne profondément corrompue où quelques généraux faisaient fortune pendant que nos soldats se faisaient tuer. Nous n’avons pas compris que cette démocratie malienne était en phase terminale, car incapable de ramener la sécurité et la justice dans le pays. Tous les observateurs attendaient par conséquent le coup d’État, seul capable de dénouer la situation.
Au lieu de négocier avec le nouveau régime militaire notre soutien sur une base de realpolitik contre une transition acceptable à leurs yeux, nous nous sommes bruyamment associés aux condamnations de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Or la Cedeao est aussi un syndicat de chefs d’États soucieux de ne pas se faire renverser par un colonel. Nous n’avions pas à nous positionner en première ligne, car les interventions des institutions africaines ont alors paru instrumentalisées par la France. Nous avons bien accepté sans rien dire que le fils du président Deby succède à son père et que Bongo II soit élu dans des conditions bien suspectes…
Un coup d’État prévisible
Le deuxième coup d’État de 2021 était aussi prévisible, car faisant suite à une ridicule tentative du nouveau président de marginaliser les poids lourds de la junte, ce qui était irréaliste. En échange du maintien de notre soutien militaire, politique et financier, nous aurions très probablement pu exiger un « assainissement » de l’armée sur le plan de la corruption, du népotisme et du comportement vis-à-vis des droits humains, assainissement qui était alors dans l’intérêt du chef de la junte pour enfin obtenir des résultats sur le plan de la sécurité. Nous l’avons au contraire « cornérisé » et il est allé chercher les mercenaires russes de Wagner pour se protéger.
Attention maintenant à ne pas recommencer les mêmes erreurs avec le Burkina Faso, dont le nouveau chef d’État a fait l’effort de rédiger un très sérieux manuel de contre-insurrection, alors qu’il s’exaspérait à juste titre de l’incapacité du régime à faire face à l’insécurité grandissante. Faisons-lui confiance et tentons un deal avec lui. Sinon nous offrons un véritable boulevard aux Russes. Les recettes du pétrole à 80 dollars le baril leur permet en effet de financer l’armée malienne et donc de maintenir au pouvoir la junte le temps que les mines d’or prennent le relais pour payer les mercenaires du groupe Wagner.
Des sanctions qui vont toucher les plus pauvres
Les sanctions de la Cedeao vont en premier frapper la population malienne la plus pauvre. Une sortie du Mali de la zone franc est d’ailleurs à terme logique car, avec le blocage des réserves de la BCEAO et l’assèchement de la liquidité des banques, il faudra bientôt faire imprimer des billets à Moscou pour payer les fonctionnaires. Une telle sortie, si elle se concrétisait, se traduirait par des médicaments inabordables, par la faim, par l’asphyxie de financements vitaux. Déjà 13 ONG internationales ont tiré la sonnette d’alarme. Or la responsabilité de cet accroissement de misère nous sera attribuée. En effet, la junte manie avec intelligence l’arme nationaliste et les services du GRU russe inondent les réseaux sociaux d’Afrique de l’Ouest d’une propagande antifrançaise extrêmement efficace à laquelle nous semblons incapables de répondre.
Si nous poursuivons au Burkina et en Guinée une politique fondée sur le fétichisme de la démocratie qui se limite à des élections plus ou moins truquées tous les cinq ans, nous réussirons le tour de force d’offrir aux Russes la possibilité de couper en deux l’Uemoa, ce qui sur le plan géopolitique sera quand même un tour de force. Nous avons ignoré que la démocratie au Sahel ne devrait pas se résoudre à soutenir des filous et que, si l’enjeu est vraiment vital, on peut s’allier un moment même avec le diable putschiste. Ou comment transformer ce qui avait été l’opération courageuse, difficile et réussie que fut Serval en 2013, en une sorte de bérézina sahélienne à petite échelle, en se demandant maintenant comment sortir l’armée de ce piège. Quel gâchis !