Général Lecointre : « L’expansionnisme chinois peut devenir agressif »
Malgré l’avis de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye, qui affirme que ses prétentions en mer de Chine méridionale n’ont « aucun fondement juridique », Pékin ne s’en laisse guère compter et continue sa politique du fait accompli en militarisant des îlots appartenant aux archipels Spratleys et Paracels alors que ces derniers sont revendiqués par d’autres pays de la région, comme le Vietnam, les Philippines, Brunei, Taïwan ou encore la Malaisie.
Suivant sa stratégie dite des « neuf traits », la Chine convoite également les îles Natuna, sous souveraineté indonésienne. elle met aussi la pression sur l’archipel Senkaku, qui appartient au Japon, et, ces derniers temps, elle ne cesse laisser entendre que Taïwan reviendra dans son giron par la force. Il s’ajoute à cela une présence chinoise de plus en plus marquée en Afrique (dont la base, à Djibouti, est un symbole) ainsi que la stratégie suivie dans le cadre des Nouvelles routes de la soie.
S’agissant de la mer de Chine méridionale, plusieurs pays, dont la France, y mènent des missions dites « FONOP » [Freedom of navigation operation], afin d’y défendre la liberté de navigation. Carrefour de routes maritimes commerciales, par ailleurs riche en ressources naturelles (pétrole, notamment), cette région est en effet stratégique. D’où sa militarisation, avec des moyens de d’interdiction et de déni d’accès, par Pékin.
La semaine passée, M. Macron a évoqué l’idée d’établir une « vraie armée européenne » afin de défendre l’Europe de « la Chine, de la Russie et même des États-Unis d’Amérique » (ce que le président américain, Donald Trump, a estimé « insultant »).
Ce 14 novembre, Pékin a réagi aux propos du président français en affirmant que la Chine « n’a jamais été une menace pour l’Europe ». Ce qui n’est pas tout à fait exact…
« Un contrôle de la mer de Chine méridionale par Pékin serait lourd de conséquences, notamment s’il lui offre la possibilité d’instaurer un déni d’accès à la zone […]. Cela constitue un risque pour la liberté d’action dans les zones d’opération de la France, y compris en Océan Indien. Ce pouvoir de déni d’accès constituerait une arme stratégique, notamment du fait du risque d’altération du commerce international en cas de conflit : 2/3 du trafic conteneurisé traverse la mer de Chine, représentant près de 70 % des échanges européens en produits manufacturés et constituant l’approvisionnement indispensable pour des secteurs industriels tels que l’automobile ou l’informatique », estime ainsi la capitaine de corvette Axelle Letouzé, dans une étude de l’IRIS [.pdf].
En outre, le refus de la Chine d’appliquer la Convention des Nations unies sur le droit de la mer en annexant, de facto, des territoires sur lesquelles ses prétentions sont discutables « constituerait un précédent qui renforcerait les contestations existantes sur les ZEE françaises, par exemple celles des îles Eparses, Tromelin ou Clipperton. » Enfin, poursuit cette étude, « la mer de Chine constitue un enjeu capital pour la préservation des réserves halieutiques françaises. Celles-ci sont en effet menacées dès aujourd’hui par la relocalisation des pêcheurs expulsés par les forces chinoises, voire par les pêcheurs ‘patriotiques’. Cela conduit notamment à des incursions répétées de flottilles entières de pêche vietnamiennes dans la ZEE de Nouvelle Calédonie. »
Lors de sa dernière audition par les députés de la commission de la Défense, le chef d’état-major des armées [CEMA], le général François Lecointre, a été interrogé sur « l’expansionnisme chinois ». Ainsi, selon lui, le Européens doivent avoir une « réflexion stratégique commune » à ce sujet.
« Nous avons noué deux partenariats stratégiques majeurs avec l’Inde et avec l’Australie. Ils sont un moyen de contrôler l’expansionnisme chinois – lequel peut devenir agressif – et, si possible, de s’y opposer », a prévenu le CEMA.
« C’est un sujet majeur, aussi bien dans l’océan Indien ou dans l’océan Pacifique qu’en Afrique. Au-delà des partenariats stratégiques que je viens d’évoquer, nous sommes présents dans le Pacifique […]. Nous serons d’ailleurs, après le Brexit, la dernière nation membre de l’Union européenne à y être présente. Nous assumerons nos responsabilités. Nous participons de façon très active à l’effort des alliés qui sont présents dans le Pacifique, par des exercices et par de la présence en mer de Chine notamment », a ensuite rappelé le général Lecointre.
Cela étant, quand le CEMA parle d’une « réflexion stratégique commune » entre Européens, la France risque de se trouver bien seule, surtout quand le Royaume-Uni aura quitté l’Union européenne. En effet, comme l’a souligné, au Sénat, son chef d’état-major, l’amiral Christophe Prazuck, la Marine nationale a longtemps été la seule, en Europe, à envoyer des navires naviguer en mer de Chine méridionale.
« Cette année [en 2018], nous avons été rejoints par les Britanniques. L’objectif d’une présence régulière est de montrer notre attachement au droit maritime international, qui est pour nous essentiel. Nous continuerons de marquer cet attachement, en poursuivant nos déploiements en mer de Chine Méridionale », a affirmé l’amiral Prazuck.