Guerre en Ukraine, les enjeux oubliés et pourtant déterminants de l’ordre public

Guerre en Ukraine, les enjeux oubliés et pourtant déterminants de l’ordre public


Coopération entre le CNEF de Saint-Astier et la garde nationale ukrainienne (Photo Ambassade de France en Ukraine)https://ua.ambafrance.org/Cooperation-entre-la-Gendarmerie-nationale-et-la-Garde-nationale-d-Ukraine

Le colonel (ER) Philippe Cholous, spécialiste du maintien de l’ordre, auteur du livre “l’ordre et la liberté, approche militaire de l”‘art méconnu du maintien de l’ordre”, et conseiller de “La Voix du Gendarme” se penche sur un aspect quelque peu oublié des commentateurs et experts : les enjeux déterminants de l’ordre public dans la guerre en Ukraine.

Tribune du colonel Philippe Cholous

La situation actuelle en Ukraine marque le retour d’un conflit armé international en Europe pour la première fois depuis 1999, à seulement 1 000 kilomètres de la France. Pour l’opinion internationale, cette guerre de haute intensité conventionnelle et symétrique, replace logiquement le nécessaire respect du droit des conflits armés au cœur des préoccupations sécuritaires sur ce théâtre. Par ailleurs, la protection des populations de la zone de contact et l’assistance aux déplacés de la région, sont également des soucis majeurs pour les acteurs diplomatiques et humanitaires.

Pour autant, au-delà de ces enjeux évidents, l’indispensable respect du droit ukrainien et du droit international des droits de l’homme par les autorités en charge de l’application des lois, ne doit surtout pas être perdu de vue. L’Ukraine est un pays immense et par conséquent, les régions occupées et contrôlées par des forces armées excèdent de loin les seules zones d’affrontement. C’est pourquoi, les autorités politico-militaires russes comme ukrainiennes se doivent dès à présent de prendre en compte :

D’une part le fait que loin de suspendre les activités criminelles, les conflits armés facilitent au contraire leur développement ;

D’autre part le fait que dans ce type de crise, le maintien de l’ordre et l’application de la loi, reviennent souvent et par défaut à des autorités militaires, paramilitaires, civilo-militaires ou de circonstance. 

 

Centre d’entraînement de formation internationale de la garde nationale d’Ukraine de STARE au sud-est de Kiev. L’instructeur CNEFG teste le bouclier Ukrainien…(Photo Facebook CNEFG)

 

Or, dans un monde médiatisé et judiciarisé, la prise en compte par les parties au conflit du maintien de l’ordre, de la sécurité publique, de la police aux armées et de la police judiciaire, constituent autant de conditions impératives du succès final de leurs opérations militaires.

La question de la mise en œuvre du volet policier des missions de contrôle de zone imparties à chacun.

Il ne nous appartient bien évidemment pas ici de prendre partie ni de juger nos frères ukrainiens ni nos frères russes dans un affrontement géopolitique global dont les enjeux nous dépassent.

En revanche et s’agissant du conflit actuel, il nous faut souligner un réel danger d’exactions parce qu’il peut y avoir un flou dans la répartition des responsabilités régaliennes ou d’occupation. En premier lieu, il convient de noter que tant les forces armées ukrainiennes que russes, sont organisées selon un modèle qui a longtemps prévalu en Europe de l’Est et qui diffère de celui existant en Europe de l’Ouest. En effet, ces deux pays disposent de forces hybrides, ne disposant pas de l’étendue des compétences des forces de type Gendarmerie et en cela distinctes, certaines à statut militaire et d’autres à statut civil, pouvant légalement intervenir soit au combat, soit dans des missions de police (par exemple, la Garde nationale en Ukraine, les Troupes de l’intérieur de la Fédération de Russie, ou encore les OMON). A ces forces, s’ajoutent à l’Ouest des unités de combattants volontaires internationaux et à l’Est des milices de défense issues des populations russophones. Or ce type de forces non institutionnelles et non conventionnelles, sont par nature partisanes. Elles ne sont par ailleurs ni formées au droit des conflits armés, ni au droit international des droits de l’homme, ni au droit national, encore moins aux exigences de l’ordre public ou de la police judiciaire élémentaire.

A l’heure où les forces russes semblent avoir atteint leurs objectifs initiaux et où s’engagent les batailles décisives d’une part pour le contrôle de la côte Sud, d’autre part entre le principal corps de bataille ukrainien et l’armée russe à l’Ouest du Donbass, va commencer à se poser avec une acuité grandissante la question de la mise en œuvre du volet policier des missions de contrôle de zone imparties à chacun. Ne nous y trompons pas, il s’agit là d’un facteur second mais essentiel de la projection de puissance, qui contribuera à décider à moyen ou long terme, de la défaite ou de la victoire des uns et des autres sur la scène internationale.