La « Françafrique » fantasmée des intellectuels et des médias français est morte
Le putsch au Niger a donné lieu à de nouvelles démonstrations antifrançaises et à un flot de commentaires à Paris. Ceux de Rémi Carayol en réponse à une interview du Figaro du 11 août sont parmi les plus révélateurs des fourvoiements français.
« Il y a dans l’armée et surtout au sein des officiers un puissant souvenir des épisodes « glorieux » de l’armée française, et qui remontent en partie à l’époque coloniale. Cette vision se transmet souvent de père en fils chez les officiers ». Pour faire bonne mesure, « parmi les sous-officiers que j’ai pu interroger beaucoup avaient l’impression d’être perdus dans cet environnement, de n’y rien comprendre ». Rémi Carayol ne nous apprend rien sur les perceptions des Africains ou sur les causes du déclin français en Afrique. En revanche, il en dit beaucoup sur ses propres préjugés.
Le cliché complotiste d’une caste d’officiers arrogants attachés de père en fils aux débris d’un ordre colonial révolu et d’une clique de sous-officier obtus, dépassés par les évènements, prêterait à rire s’il ne constituait le fond de sac de nombreux analystes français de l’Afrique. Ce sont eux qui ont mis au France au banc des accusés sur le continent. Leur incapacité à analyser l’Afrique sous le prisme des relations internationales et en dehors de leurs fantasmes idéologiques ont nourri le narratif de la milice Wagner et fait le malheur des populations.
La Françafrique est morte. Ses protagonistes ne sont plus. Les intérêts économiques entre Paris et l’ensemble de la zone du franc CFA sont devenus dérisoires et ne représentent que 0,6% du commerce extérieur français. Sur le plan militaire, les Etats de la région multiplient les partenariats qui laissent à la France une position importante mais plus exclusive.
Seulement, une certaine intelligentsia refuse de l’accepter. La Françafrique est son « ailleurs idéal », c’est-à-dire le prolongement fantasmé de ses combats idéologiques métropolitains. Antimilitariste et paternaliste, elle y essentialise les militaires français en colonialistes impénitents, les Africains en victimes perpétuelles et elle-même en chevaleresque redresseuse de torts.
Elle ne comprend rien à l’Afrique car elle assimile ses habitants aux minorités « raciales » défavorisées des grandes métropoles américaines ou européennes, recyclant les vieilles lunes de la lutte des classes en lutte des « races ». En plaquant les catégories de son petit monde à un continent divers et complexe, elle passe à côté des grandes tectoniques à l’œuvre. Ses préjugés exaspèrent les élites africaines. Elle sert même d’idiote utile aux militaires putschistes les plus rétrogrades, aux nervis russes les plus criminels, aux agents chinois les plus cyniques dans l’exploitation des ressources naturelles locales et aux lobbyistes anglo-saxons les plus décomplexés. Les intellectuels français ont bien mérité leur place parmi les maux qui rongent l’Afrique.
Les facteurs du déclin français au Sahel ne sont pas forcément ceux que l’on met le plus communément en avant. L’impuissance de Paris à appuyer l’ordre constitutionnel des États amis, directement ou, plus subtilement, en autorisant enfin la création de sociétés militaires privées, la fait passer pour un partenaire faible et peu fiable. Le fourvoiement de sa diplomatie dans l’activisme LGBT a discrédité son combat légitime en faveur de l’égalité des droits de tous et démonétisé ses valeurs. Le spectacle de ses crises intérieures à répétition, de la crise des retraites aux émeutes urbaines en fait un contre-modèle pour des États dont le premier souci est la quête d’ordre et de stabilité. Son incapacité à agir de manière globale et à mettre en valeur ses réalisation est illustrée par la discrétion de l’Agence Française de Développement dont l’œuvre remarquable est prise pour celle d’une ONG apatride par les populations qui n’en sont donc d’aucun gré à la France qui est pourtant une des principales pourvoyeuses d’aides internationales. L’intervention catastrophique décidée par le président Sarkozy en Libye a discrédité la diplomatie française en Afrique. Enfin, Paris a mis du temps à comprendre que l’excellence opérationnelle et les coups portés à l’ennemi ne pouvaient tenir lieu de politique ; une guerre menée sans définir un état final recherché réaliste ne peut que s’éterniser jusqu’à lasser les populations.
Il est impératif de se livrer sans états d’âme à un bilan politique et stratégique de l’action de la France en Afrique mais le sujet mérite mieux que des poncifs ethnocentrés.