La France abandonne l’idée d’une armée européenne ?
La défense européenne ne consiste pas à déclarer que nous avons une armée européenne, a déclaré le président élu tchèque Petr Pavel, suggérant que même le président français Emmanuel Macron a changé d’avis et admis la nécessité de renforcer le pilier européen de l’OTAN au lieu de créer une armée européenne commune.
Selon M. Pavel, qui sera officiellement investi le 9 mars, l’UE joue un rôle de premier plan dans le soutien à l’Ukraine, mais n’est toujours pas capable de jouer un rôle de premier plan en matière de défense.
« La défense européenne — j’en ai parlé à Munich avec le président Macron — ne consiste pas à déclarer que nous avons une armée européenne ou une armée de l’UE », a déclaré M. Pavel à un petit groupe de parties prenantes de l’UE et de journalistes, dont EURACTIV République tchèque, à Prague.
»Il y a déjà eu un grand changement de la part du président Macron — passé de l’armée européenne, dont il parlait il y a des années dans le contexte de la ‘mort cérébrale’ de l’OTAN, à dire maintenant que nous devons construire une défense européenne basée sur le pilier européen de l’OTAN, ce que j’applaudis. C’est un changement raisonnable »
Le président élu tchèque Petr Pavel
Pourtant, dans les discours prononcés avant sa rencontre avec Petr Pavel, le président français a toujours souligné la nécessité pour l’Europe de disposer d’un dispositif militaire indépendant de l’OTAN.
« Si demain tel grand partenaire doit regarder ailleurs, nous devrons être en mesure d’agir avec les Européens à l’intérieur de l’OTAN ou en dehors de l’Alliance et, si nécessaire, d’assurer les capacités de commandement qui permettront de mener ensemble une opération d’ampleur »
Emmanuel Macron aux forces armées le 20 janvier dernier
EURACTIV a toutefois été informé que la France tient à ce que ses équipements et technologies militaires restent interopérables avec ceux des États-Unis, ce qui signifie que l’OTAN reste un élément crucial pour la France malgré les précédents commentaires de M. Macron.
Les États-Unis se tournent vers le Pacifique
En outre, les deux dirigeants préviennent que les États-Unis vont très bientôt tourner leur attention non pas vers l’Europe mais vers le Pacifique.
M. Pavel est convaincu que pour que l’Europe puisse mener une opération de grande envergure sans dépendre du soutien des États-Unis, elle doit disposer de « facilitateurs stratégiques ».
Ces facilitateurs stratégiques sont, par exemple, des connexions de transport stratégiques, la logistique, la communication stratégique, y compris les satellites, ou le renseignement stratégique.
« L’Europe dispose du minimum de toutes ces capacités », a ajouté M. Pavel, qui était auparavant à la tête du comité militaire de l’OTAN.
Ce dernier a également averti que, sans facilitateurs stratégiques, « la défense européenne n’ira nulle part ».
L’armée européenne : le songe d’une nuit d’été
Par le passé, M. Macron s’était publiquement exprimé en faveur de la création d’une armée européenne, souvent soutenue par certains dirigeants de l’UE.
En revanche, les pays d’Europe de l’Est — et plus discrètement, Washington et l’OTAN — se sont opposés avec insistance à un tel scénario. L’Europe de l’Est a plutôt souligné la nécessité de renforcer la défense de l’UE dans le cadre de l’OTAN.
Fin septembre 2021, la France et la Grèce ont signé un accord militaire historique qui prévoit une assistance mutuelle si un pays tiers attaque l’une des parties. Beaucoup ont vu dans ce geste la première étape de la création d’une force militaire européenne.
Mais depuis l’agression de la Russie contre l’Ukraine, le récit de l’armée européenne a disparu des discours publics des politiciens de l’UE et a été progressivement remplacé par la nécessité de renforcer la défense de l’UE au sein de l’OTAN ou l’autonomie stratégique.
En 2018, élu depuis à peine un an, Macron avait assuré à la radio Europe 1 que l’UE ne pouvait pas se défendre sans « une vraie armée européenne ».
« On ne protègera pas les Européens si on ne décide pas d’avoir une vraie armée européenne. Face à la Russie qui est à nos frontières et qui a montré qu’elle pouvait être menaçante (…) on doit avoir une Europe qui se défend davantage seule, sans dépendre seulement des Etats-Unis et de manière plus souveraine »
Emmanuel Macron en 2018
Il avait évoqué « puissances autoritaires qui réémergent et se réarment aux confins de l’Europe ».
Il avait même parlé de la nécessité de « nous protéger à l’égard de la Chine, de la Russie et même des Etats-Unis d’Amérique », faisant référence à la décision du dirigeant américain de l’époque, Donald Trump, de se retirer d’un traité de désarmement nucléaire datant des années 1980 : il considérait que la « principale victime » était « l’Europe et sa sécurité ».
Le 30 août 2021, lors d’une rencontre à l’Élysée avec le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, M. Macron avait souligné dans un communiqué commun que l’UE devait développer son « autonomie stratégique » pour assumer « une plus grande responsabilité pour sa sécurité et sa défense ».
Ces avancées ont conduit à l’adoption d’une boussole stratégique établissant une doctrine commune et à la déclaration commune d’une ambition de renforcer et de relancer l’industrie européenne de la défense.
L’Élysée y voit une partie intégrante de la souveraineté de l’UE à l’heure où plusieurs pays continuent d’acheter leurs armes aux États-Unis. Des projets communs pour développer le « système de combat aérien du futur » et le « char de combat du futur » ont été lancés par la France, l’Allemagne et l’Espagne.
Un « fonds européen de défense » a également été adopté pour 2021-2027, avec un budget de 8 milliards d’euros, soit un peu plus d’un milliard par an, axé sur la recherche, le développement et l’acquisition d’armes.
À titre de comparaison, la France investira 413 milliards d’euros sur la période 2024-2030 pour moderniser et mettre à niveau son armée, soit près de 60 milliards d’euros par an sur sept ans.
Ainsi, après avoir affirmé pendant longtemps que l’OTAN était « en état de mort cérébrale », la France veut désormais réinvestir dans l’Alliance atlantique, au sein de laquelle le président souhaite « un ancrage fort », a déclaré Emmanuel Macron le 20 novembre 2022.
La France entend pouvoir assumer le rôle de « nation-cadre » au sein de l’OTAN.