La France peut-elle développer les programmes MGCS et SCAF sans l’Allemagne ?

La France peut-elle développer les programmes MGCS et SCAF sans l’Allemagne ?


SCAF NGF France | Allemagne | Analyses Défense

La France peut-elle développer les programmes MGCS et SCAF sans l’Allemagne ?


Ces dernières semaines, les médias ont rapporté des informations préoccupantes concernant la coopération industrielle franco-allemande dans le domaine de la défense. En effet, les programmes MGCS (char de nouvelle génération) et SCAF (avion de combat futur) sont grandement sous tension, autour du partage industriel, du calendrier et des enjeux industriels et opérationnels.

Bien que le programme SCAF ait l’assurance d’atteindre les phases 1B et 2, avec l’étude et la conception d’un démonstrateur, son avenir au-delà reste incertain en raison des éventuelles conséquences de l’annulation du programme MGCS.

Dans ce contexte, il est important de prendre en compte les conséquences potentielles d’un échec successif des programmes MGCS et SCAF, ainsi que d’évaluer les alternatives pour remplacer les chars et avions de combat français dans les décennies à venir.

1. Les menaces sur les programmes MGCS et SCAF

En dehors des quelques mois d’euphorie politique ayant suivi l’annonce, en 2017, par Emmanuel Macron et Angela Merkel, d’une vaste initiative industrielle et politique franco-allemande autour du concept encore flou d’Europe de la Défense, les programmes lancés alors conjointement rencontrèrent rapidement d’importants écueils.

C’est ainsi qu’en cinq ans de temps seulement, les programmes CIFS (artillerie à lingue portée), Tigre III (hélicoptère de combat) et MAWS (Patrouille maritime), furent enterrés faute de décision de la part de Berlin.

hélicoptère Tigre
Le programme Tigre III a été abandonné par Berlin

Début 2022, seuls 2 programmes subsistaient Le programme MGCS pour le remplacement des chars Leclerc et Leopard 2 en 2035, et SCAF, le système de combat aérien du futur pour prendre le relais des Rafale et Typhoon en 2040. S’ils subsistaient, ils n’en rencontraient pas moins d’importantes difficultés.

Ainsi, à l’hiver 2022, les tensions entre Dassault Aviation et Airbus DS obligèrent les ministres des Armées des trois pays membres de programme, Allemagne, Espagne et France, à forcer la main de leurs industriels pour sortir de l’ornière et lancer la phase 1B, pour l’étude du démonstrateur technologique.

1.1 MGCS : Le char de Schrödinger

Si SCAF semblait, début 2023, sur une trajectoire plus sécurisée, ce n’était pas le cas de MGCS. En effet, sous l’action conjuguée de l’augmentation de la demande en matière de chars de combat, de la guerre en Ukraine, et de l’arrivée de Rheinmetall au sein du programme en 2019, le programme était depuis plusieurs mois en état de stase. Les quelques évolutions et avancées le concernant suffisaient à peine à le maintenir en vie, et à ne pas suivre le destin de CIFS ou MAWS.

En cause, des visions de plus en plus divergentes entre les besoins des deux armées, la France privilégiant la mobilité, l’Allemagne la protection et la puissance de feu. Les agendas industriels et opérationnels devenaient, eux aussi, plus complexes à fusionner.

Sans solution industrielle et commerciale pour une alternative intérimaire au Leclerc, la France doit impérativement prévoir le remplacement de ses chars entre 2035 et 2040. À cette date, en effet, les Leclerc aujourd’hui en service atteindront leurs limites mécaniques comme opérationnelles, alors que l’industrie française devra trouver une activité dimensionnée pour prendre le relais du programme SCORPION.

MGCS plate-forme
Le programme MGCS doit concevoir un système de combat terrestre, bien davantage qu’un simple char

L’Allemagne, la Bundeswehr et ses industriels, ne sont pas exposés aux mêmes contraintes. Avec le KF-51 de Rheinmetall et le Leopard 2A8, ceux-ci disposent non seulement de solutions intérimaires performantes, mais également de produits demandés sur le marché.

En conséquence de quoi, au-delà des divergences déjà profondes concernant la nature même du système à concevoir, Paris et Berlin ne sont, aujourd’hui, d’accord sur rien autour de ce programme, surtout pas son calendrier ni son périmètre industriel et technologique.

De fait, depuis quelques mois, l’instar du chat de Schrödinger, le programme MGCS est simultanément mort, du fait de l’explosion évidente des divergences entre les deux protagonistes, et vivant, si l’on en croit les déclarations des ministres de tutelle, Sébastien Lecornu et Boris Pistorius.

Et tout porte à penser que la rencontre prévue entre les deux hommes, d’ici à la fin du mois septembre, aura pour but d’ouvrir la boite, et de regarder, objectivement, si le char a bu le poison, ou pas.

1.2 Un dangereux effet domino

De l’avis même de sources proches du projet, aujourd’hui, les chances que le programme MGCS tourne court dans les semaines ou mois à venir, sont de l’ordre d’une chance sur deux, et l’avenir de celui-ci est désormais en grande partie entre les mains de Boris Pistorius, de KMW et de Rheinmetall.

Or, les programmes MGCS et SCAF ont été artificiellement liés, lors de leur conception, au travers du partage industriel. De fait, la chute de l’un pourrait venir gravement menacer l’avenir de l’autre, dans un dangereux effet de domino.

Les programmes MGCS et SCAF sont artificiellement liés depuis leur conception
Les programmes MGCS et SCAF sont artificiellement liés depuis leur conception

À ce titre, selon ces mêmes sources, il s’agirait désormais de la plus importante menace sur le déroulement du programme SCAF, même si tout porte à croire que les phases 1B et 2, visant respectivement à concevoir puis fabriquer le démonstrateur technologique du NGF et de certains de ses systèmes, iront à leurs termes.

Reste que si MGCS et SCAF venaient à péricliter, chacun des pays devrait alors trouver des solutions alternatives et palliatives, pour répondre aux impératifs opérationnels et technologiques jusqu’ici censés être couverts par les deux programmes.

2. Coût du développement de MGCS et SCAF

La question se pose donc, pour la France, de savoir si celle-ci sera en mesure de développer seule, ou différemment accompagnée, ces deux programmes indispensables aux armées françaises entre 2035 et 2040.

La Base industrielle et technologique défense, ou BITD, française, dispose de l’ensemble des compétences nécessaires pour développer, par elle-même, un programme comme MGCS ou SCAF. En effet, dans le domaine des blindés, elle peut s’appuyer sur Nexter, concepteur du Leclerc, et sur un écosystème complet pour concevoir un nouveau char de combat, et son système de systèmes à venir.

BITD française - usine Nexter
La BITD française a les compétences pour developper MGCS par elle-même

Il en va de même autour d’un éventuel SCAF franco-français. Emportée par Dassault Aviation, Safran, Thales, MBDA et l’ensemble de la Team Rafale, la BITD aéronautique française est aujourd’hui l’une des cinq pouvant effectivement développer en toute autonomie un avion de combat de 6ᵉ génération dans le monde.

Ce d’autant qu’une partie des développements requis pour SCAF sera préalablement développée dans le cadre du très ambitieux programme Rafale F5, annoncé par Sébastien Lecornu à l’occasion des débats parlementaires concernant la Loi de Programmation Militaire française 2024-2030.

2.1 Estimations financières

Si le développement technologique et industriel de ces deux programmes ne représente pas un obstacle pour l’industrie de défense française, leur financement, en revanche, sera incontestablement difficile à mettre en œuvre, tout au moins en visant les mêmes ambitions.

C’est d’ailleurs l’une des principales justifications avancées par l’exécutif français pour soutenir l’intérêt d’un codéveloppement franco-allemand de ces deux programmes, plutôt qu’une solution purement nationale, comme ce fut le cas pour le Leclerc et le Rafale.

En effet, concevoir seule, puis construire les quelques centaines de chars de combat, véhicules de combat blindés et lance-missiles de nouvelle génération de MGCS, ainsi que les 250 avions de chasse, et autant de drones de combat, du programme SCAF, couterait cher, et même très cher au budget des armées.

EMBT Nexter KNDS
Le EMBT peut représenter une solution d’attente, mais pas une alternative à MGCS

Sur la base des projections existantes concernant ces deux programmes, ceux-ci couteraient à la France entre 3,5 et 4,5 Md€ (en euro 2023) par an, et ce pendant plus de 20 ans.

Déduction faite des engagements de financement dans le cadre des coopérations existantes, il s’agirait d’un surcout de 2 à 3 Md€ par an, particulièrement sensible lors de la phase de conception.

2.2 Impacts sur le budget de défense français

Ce surcout peut paraitre « accessible » à la France et son PIB de 3 000 Md€. Il représente toutefois une hausse de l’ordre de 20 Md€ sur la seule LPM 2024-2030, inflation comprise, mais aussi une hausse de près de 30 % du budget consacré par les Armées aux Programmes à Effet Majeur, ou PEM, autour de 8 Md€ en 2023.

Il sera donc tout sauf aisé pour la France de financer seule un tel effort, tout de moins en préservant le périmètre technologique et les ambitions préalablement définies autour des deux programmes.

Il s’agit, à ce titre, d’une des craintes exprimées par les personnes qui aujourd’hui y travaillent côté français, redoutant que, dans une telle hypothèse, la France, ses armées et son industrie de défense, doivent descendre d’une division face aux nouveaux chars et avions américains, allemands, britanniques ou chinois.

PANG Marine Nationale
Les Armées françaises doivent financer d’autres programmes gourmands en ressources, comme le porte-avions de nouvelle génération

Il est vrai que les opportunités françaises pour financer de tels programmes, sont peu nombreuses. La pression fiscale étant déjà à un très haut niveau, il n’est pas question de s’appuyer sur de nouvelles taxes pour générer des recettes supplémentaires.

De même, la dette publique française, qui atteint désormais les 3 000 Md€, interdit à Paris de se tourner vers de quelconques formes de financement classique, fut-il issu d’un emprunt national ou d’un livret d’état, sauf à radicalement changer les paradigmes actuels concernant le financement de l’effort de défense, ce qui n’est pas d’actualité.

La réattribution budgétaire, enfin, qu’elle soit interne au ministère des Armées ou externe à ce dernier, semble aussi à exclure, tant les budgets sont sous tension dans nombre de domaines, interdisant toute marge de manœuvre de ce type à Bercy.

On comprend, dans ce contexte, l’attachement de la France à la poursuite de ces deux programmes actuels. Il s’agit aussi d’un des principaux reproches faits par l’Allemagne à la France les concernant. Les Allemands estiment, non sans raison, n’être avant tout que les financiers de cette coopération aux yeux de la France et de son industrie de défense.

3. La France peut-elle se tourner vers de nouveaux partenaires ?

De fait, la solution la plus évidente pour Paris, face à un effondrement du partenariat industriel de défense franco-allemand, serait de se tourner vers d’autres partenaires. Bien que prometteuse, cette solution n’est pas dénuée de risques et de contraintes.

En effet, les contraintes qui aujourd’hui viennent menacer SCAF et MGCS, et avant eux de nombreux autres programmes français en coopération européenne, peuvent évidemment entraver d’éventuels nouveaux partenariats industriels de défense.

3.1 Atouts et contraintes du partenariat technologique international

Il est vrai que la France fait office de mouton noir en Europe, alors qu’elle a, derrière elle, une longue liste de programmes de défense avortés avec l’Allemagne, mais aussi la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Espagne et d’autres.

3.1.1 Réduction des couts et extension de l’assiette industrielle

Cette coopération a bien sûr de nombreux atouts. D’une part, elle permet de partager les couts de recherche et de développement, même si une règle empirique veut que les couts de conception augmentent selon la racine carrée du nombre de partenaires.

Remote Carrier Airbus DS et MBDA
Le partage industriel est l’un des sujets critiques dans la conception d’une coopération internationale industrielle de défense

Ainsi, à deux partenaires, les couts de conception augmenteront en moyenne de 40 %, et de presque 75 % à trois. Cependant, la participation de chaque État s’avère 30 % moins élevée à 2 partenaires, et plus de 40 % moins onéreuse si trois pays collaborent.

D’autre part, la collaboration internationale permet d’étendre l’assiette industrielle du programme, et ainsi d’atteindre certains seuils entrainants des baisses de couts par économie d’échelle. C’est le cas aussi bien pour la production initiale que concernant la maintenance et l’évolutivité des équipements produits.

Enfin, chaque partenaire apporte avec lui son propre réseau international et commercial, ce qui doit permettre, en toute logique, d’accroitre les chances de succès à l’exportation de l’équipement.

3.1.2 Divergence des besoins, partage industriel et véto commercial

Toutefois, la coopération internationale ne vient pas sans de sérieuses contraintes. Ce sont d’ailleurs celles-ci qui aujourd’hui menacent les deux programmes franco-allemands, et avant eux, les trois autres programmes déjà passés par pertes et profits.

Avant tout, il convient de s’assurer que l’ensemble des partenaires partagent les mêmes besoins, et ont les mêmes attentes en termes de performances, d’évolutivité et de calendrier, pour chacun des programmes.

Leopard 2A7HU avec Systeme APS TROPHY
Les calendriers français et allemands sur MGCS, divergent depuis l’apparition du Leopard 2A8 et du KF-51 Panther

Dans le cas de SCAF et MGCS, ce sont précisément ces divergences, masquées initialement par l’enthousiasme politique, qui ont creusé le précipice vers lesquels ils semblent se diriger.

Par ailleurs, la participation d’un état s’accompagne inexorablement d’un partage industriel, voire de clauses de transfert de technologies. Ce partage industriel, dans le cas de la France dont la BITD est globale, se fera systématiquement au détriment de compétences détenues par des entreprises nationales.

Dans ce domaine, la notion de ‘Best Athlete », avancée initialement par Paris face à Berlin, s’avère extraordinairement contre-productive. Non seulement ne permet-elle pas de faciliter les négociations autour du partage industriel, tout au mieux exacerbe-t-elle les frustrations, mais elle contribue à faire apparaitre les autres partenaires comme des acteurs secondaires, ajoutant à leur défiance.

Enfin, si un partenaire peut étendre les opportunités commerciales des équipements co-produits, il peut également venir entraver les chances de succès vers certains clients potentiels. Cela peut se faire par l’intermédiaire d’un droit de veto nationale difficile à contourner, soit tout simplement en raison de certaines tensions entre le client potentiel et l’un des partenaires.

3.2 Vers quels pays se tourner ?

De ce qui précède, il est possible de tracer un portrait robot du ou des partenaires idéaux de la France sur la scène internationale, pour l’accompagner dans le développement d’un système de combat aérien du Futur de type SCAF, ou d’un Système de combat blindé terrestre de nouvelle génération de type MGCS.

3.2.1 Portrait robot du partenaire international idéal pour la France

Bien évidemment, ce portrait diffère selon les programmes. Pour MGCS, d’abord, le ou les partenaires devront partager une conception proche de celle de la France concernant l’engagement blindé. Ainsi, le ou les blindés à concevoir et à produire devront être très mobiles, donc d’une masse inférieure à celle des blindés américains, allemands et britanniques actuels.

Rafale C indien
L’inde est un partenaire stratégique de la France et de son industrie de défense

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