L’Afghanistan aux mains des talibans, vent de panique à l’aéroport de Kaboul
Des milliers d’Afghans cherchent à fuir leur pays, aux mains des talibans depuis quelques heures, alors que l’évacuation de diplomates et d’autres ressortissants étrangers s’est organisée pendant tout le week-end à un rythme effréné.
L’Afghanistan se trouvait, lundi 16 août, aux mains des talibans après l’effondrement des forces gouvernementales et la fuite à l’étranger du président, Ashraf Ghani. A l’aéroport de Kaboul, des milliers de personnes tentaient désespérément de fuir le pays.
Le fulgurant triomphe des insurgés islamistes, qu’ils ont célébré dimanche soir en investissant le palais présidentiel à Kaboul, a déclenché des scènes de panique monstres à l’aéroport international Hamid-Karzaï.
Une marée humaine s’est précipitée vers ce qui constitue la seule porte de sortie du pays, pour tenter de fuir le nouveau régime que le mouvement islamiste radical, de retour au pouvoir après vingt ans de guerre, promet de mettre en place.
Des vidéos publiées sur les réseaux sociaux montraient des scènes de chaos absolu, des milliers de personnes attendant sur le tarmac et des jeunes hommes, surtout, s’agrippant aux passerelles ou aux escaliers pour tenter de monter dans un avion.
« Ce sont, peut-être, les images les plus tristes que j’ai pu voir en Afghanistan. Un peuple désespéré et abandonné. Pas d’aide humanitaire, pas d’ONU, pas de gouvernement. Rien », écrit Nicola Careem, journaliste à la BBC.
Les forces américaines ont même tiré en l’air « pour désamorcer le chaos », a rapporté à l’agence de presse Reuters un représentant des Etats-Unis. « La foule était hors de contrôle », a expliqué ce responsable, par téléphone. Un témoin, contacté par l’Agence France-Presse (AFP), a confié avoir « très peur ». « Ils tirent des coups de feu en l’air. [Dans la cohue], j’ai vu une jeune fille être écrasée et tuée », a-t-il affirmé.
Au moins cinq morts à l’aéroport ont été signalés à l’agence Reuters par des témoins, ces derniers ne pouvant déterminer si les victimes avaient été tuées par balle ou dans des bousculades. « Nous avons peur de vivre dans cette ville et nous tentons de fuir Kaboul », a confié un autre témoin à l’AFP.
« J’ai lu sur Facebook que le Canada acceptait des demandeurs d’asile d’Afghanistan. J’espère que je serai l’un d’eux. Comme j’ai servi dans l’armée, j’ai perdu mon boulot, et c’est dangereux pour moi de vivre ici car les talibans me cibleront, c’est sûr. »
Les vols commerciaux ont été annulés, a annoncé l’autorité aéroportuaire de la capitale, un peu plus tard dans la matinée. « Il n’y aura pas de vols commerciaux au départ de l’aéroport Hamid-Karzaï, pour prévenir le pillage. S’il vous plaît, ne vous précipitez pas à l’aéroport », a-t-elle déclaré dans un message transmis à la presse.
L’espace aérien du pays est laissé aux militaires, et tous les vols civils sont invités à le contourner, a déclaré l’Autorité afghane de l’aviation civile. Dans la foulée, Lufthansa, premier groupe aérien européen, ainsi qu’Air France ont annoncé éviter « jusqu’à nouvel ordre » le survol de l’Afghanistan. British Airways et Virgin Atlantic ont également fait savoir qu’elles n’emprunteraient plus l’espace aérien afghan.
Le personnel diplomatique transféré à l’aéroport
L’évacuation des diplomates et d’autres ressortissants étrangers a été organisée à un rythme effréné tout le week-end à Kaboul, tombée aux mains des talibans après une offensive militaire éclair qui a balayé les forces armées afghanes.
Privées du crucial soutien américain, démoralisées, des unités afghanes ont tenté à plusieurs reprises de fuir vers les pays voisins d’Asie centrale, notamment l’Ouzbékistan. Dimanche, 84 soldats afghans fuyant l’offensive des talibans ont été arrêtés par les forces ouzbèkes à la frontière. Un avion militaire afghan s’est écrasé après avoir « traversé illégalement la frontière de l’Ouzbékistan », a annoncé lundi un porte-parole du ministère de la défense.
Les citoyens afghans et étrangers voulant fuir le pays « doivent être autorisés à le faire », ont plaidé les Etats-Unis et soixante-cinq autres pays dans un communiqué commun publié dans la nuit de dimanche à lundi, avertissant les talibans qu’ils devaient faire preuve de « responsabilité » en la matière. L’Union européenne (UE) avait auparavant souligné que l’arrivée des talibans à Kaboul avait « rendu encore plus urgente la protection » contre de possibles représailles à l’égard de son personnel afghan, qu’elle essaie de mettre en sécurité.
Selon plusieurs diplomates, des responsables de la Commission européenne ont demandé aux gouvernements des Vingt-Sept d’accorder des visas aux ressortissants afghans ayant travaillé pour la représentation de l’UE dans le pays, ainsi qu’à leurs familles – un total estimé à quelque 500 ou 600 personnes. Les ministres européens des affaires étrangères tiendront, mardi, une réunion par visioconférence pour discuter de la situation, a fait savoir Josep Borrell, chef de la diplomatie de l’UE, sur Twitter.
L’armée américaine a annoncé, lundi, avoir « sécurisé » l’aéroport de Kaboul, où a été regroupé le personnel de son ambassade, dont l’ambassadeur américain, Ross Wilson, dans l’attente d’être évacué.
Le président américain, Joe Biden, avait porté à 5 000 soldats le dispositif militaire à l’aéroport de Kaboul pour procéder à cette évacuation, qui concerne environ 30 000 personnes. Il a décidé, dimanche, d’envoyer 1 000 militaires de plus.
L’Allemagne, la France et les Pays-Bas font partie des pays qui ont aussi transféré des membres de leur personnel diplomatique de leur ambassade à Kaboul à l’aéroport avant une évacuation. La chancelière Angela Merkel va demander un mandat aux députés pour déployer jusqu’à « plusieurs centaines de soldats » de la Bundeswehr (l’armée fédérale allemande) pour appuyer cette évacuation.
D’autres pays membres de l’OTAN, dont le Royaume-Uni, l’Italie, le Danemark et l’Espagne, ont également annoncé l’évacuation de leur personnel diplomatique, tout comme la Suède.
Première rotation aérienne française lundi
Le ministère des affaires étrangères français a annoncé, dimanche, que Paris déployait des renforts militaires aux Emirats arabes unis pour faciliter l’évacuation de ses ressortissants. La première rotation aérienne d’évacuation organisée par l’armée française entre sa base aux Emirats et la capitale afghane est prévue d’ici à « la fin de [la journée de] lundi », a déclaré la ministre des armées française, Florence Parly. Il y a « plusieurs dizaines » de Français à évacuer ainsi que des « personnes qui sont sous notre protection », a-t-elle précisé.
Parmi les Français à évacuer figure notamment le personnel diplomatique. La France a par ailleurs réitéré sa volonté de « continuer de mettre en protection les personnalités de la société civile afghane, les défenseurs des droits, les artistes et les journalistes particulièrement menacés pour leur engagement ». Plus de 600 Afghans employés dans des organisations françaises sont arrivés en France avec leur famille, a annoncé le gouvernement, vendredi.
La progression des talibans avait conduit Londres à annoncer, jeudi soir, l’envoi d’environ 600 militaires pour évacuer ses ressortissants. Alors que le Sunday Times affirmait que le Royaume-Uni préparait l’évacuation de son ambassadeur, Laurie Bristow, et ne comptait pas maintenir de présence diplomatique, le ministère des affaires étrangères a assuré que ce dernier restait à Kaboul en l’état.
Le Danemark et la Norvège ont fait état de la fermeture provisoire de leur ambassade à Kaboul, tandis que la Finlande comptait évacuer jusqu’à 130 travailleurs afghans locaux.
A l’inverse, Moscou ne prévoit pas d’évacuer son ambassade. La Russie fait partie des pays ayant reçu des garanties de la part des talibans quant à la sécurité de leur ambassade, a expliqué Zamir Kaboulov, émissaire du Kremlin pour l’Afghanistan, cité par l’agence de presse Interfax. L’ambassadeur de Russie à Kaboul va rencontrer les talibans mardi. « La reconnaissance ou non [du nouveau pouvoir] va dépendre des agissements du nouveau régime », a-t-il ajouté.
Tous les membres de la mission diplomatique d’Arabie saoudite ont, eux, été évacués de Kaboul, a annoncé le ministère des affaires étrangères. Le reste de la capitale était plutôt calme, lundi. Des talibans en armes patrouillaient les rues et installaient des postes de contrôle. Le mollah Abdul Ghani Baradar, cofondateur du mouvement des talibans, a appelé ses hommes à faire preuve de discipline. « A présent, nous devons montrer que nous pouvons servir notre nation et assurer la sécurité et le confort dans la vie », a-t-il affirmé dans une vidéo.