Les relations entre la France et l’OTAN de 1949 à nos jours
Il y a encore quelques mois, avant que l’attaque russe ait tout changé, le président de la République pointait du doigt une alliance atlantique proche d’une mort cérébrale. Ces propos, certes sévères, sont illustratifs d’une attitude française dans les relations de notre pays avec l’OTAN. Le colonel (ER) Claude Franc nous propose de revenir sur ces dernières qui depuis l’origine peuvent être qualifiées de complexes.
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Depuis la mise sur pied de l’OTAN, en tant qu’organisation militaire intégrée permanente de l’Alliance atlantique, ses relations avec la France n’ont pas toujours été au beau fixe. Toutefois, la France a toujours été un allié indéfectible de l’Alliance et de ses alliés, lorsque les enjeux étaient graves, comme ce fut le cas à l’occasion de la crise de Cuba.
À sa création en 1950, le siège du commandement de l’OTAN (SHAPE) s’est installé à Rocquencourt, celui du Collège de l’OTAN à Paris (Porte Dauphine) et le commandement d’AFCENT (Centre Europe), le plus important sous-théâtre européen, à Fontainebleau où il était exercé par une haute personnalité militaire française (le premier titulaire en a été le maréchal Juin). C’est dire l’importance que l’Organisation concédait à la France, dont la langue était d’ailleurs la langue de travail, alors en parité avec l’anglais. Le chef d’état-major d’Eisenhower, et futur SACEUR lui-même, le général Gruenther, était autant francophile que francophone. Il s’exprimait parfaitement en français, en saisissait toutes les nuances, et veillait à ce que les cours de français, dispensés à SHAPE, fussent suivis par tout le monde anglophone, quel que soit son grade.
Enfin, la France été représentée au « Groupe permanent de l’OTAN », le standing group où les gouvernements successifs enverront toujours des personnalités militaires de premier plan, qu’il s’agisse, par exemple, des généraux Ely ou Beaufre. Les instances relatives à la planification des feux nucléaires demeureront fermées quant à elle aux représentants français.
Du retrait du commandement intégré à la chute du Mur de Berlin
La décision de retrait de 1966, formulée par le Général de Gaulle, avait été précédée, dès 1958, par celui de l’escadre de Méditerranée du commandement intégré naval et du redéploiement hors du territoire français des escadres aériennes américaines dotées de l’armement nucléaire.
Mais, ce n’était pas le seul souci d’indépendance qui avait alors guidé le Général de Gaulle dans sa décision de retrait en 1966. Certes, pour que la « défense de la France fût française », comme il l’avait annoncé en 1959 dans une allocution retentissante à l’École militaire, le Général avait donc, dans le cadre du commandement intégré, déjà fait preuve d’indépendance dès son retour au pouvoir en 1958. Puis, en 1964, lorsque les Forces Aériennes Stratégiques sont devenues opérationnelles, par la première prise d’alerte d’un escadron de Mirage IV, la France affichait haut et fort ce souci d’indépendance, et ce, sous une forme très concrète.
La décision de 1966, longuement mûrie, aggravée par de très mauvaises relations personnelles entre De Gaulle et Lyndon Baines Johnson1, reposait en fait, largement, sur le changement de portage de la stratégie américaine du début des années soixante, qui était passée des représailles massives (massive retaliations) à la riposte graduée (flexible response) dans laquelle le Général de Gaulle distinguait un risque réel d’un amoindrissement de la valeur effective du « parapluie nucléaire » américain au profit de l’Europe.
Par ailleurs, cette décision ne remettait cependant nullement en cause le principe de solidarité de la France vis-à-vis de ses alliés. L’annonce du retrait de la France du commandement intégré s’accompagnait immédiatement de la signature des accords Ailleret-Lemnitzer (respectivement CEMA et SACEUR), qui organisaient l’engagement des forces françaises en Centre Europe dans le cadre de l’OTAN, selon le principe du contrôle opérationnel exercé par AFCENT sur les forces que la France mettait à la disposition de l’OTAN. Cet accord allait être suivi, en 1969, de la mise sur pied à Strasbourg, de l’état-major de la 1re Armée, de manière à ce qu’AFCENT disposât d’un interlocuteur-subordonné français unique dédié à l’engagement des forces françaises en Centre Europe, et que ces forces fussent commandées par un PC également unique, intégrant les forces terrestres (1re armée) et aériennes (FATAC). Il en résulta la signature des accords Valentin-Ferber (le Commandant la 1re Armée et le CINCENT) qui faisaient des forces de la 1re Armée-FATAC, la seule réserve de l’Alliance en Centre Europe, la France ne participant pas à la « bataille de l’avant ». C’est sur ces bases d’une indépendance affirmée, dans le cadre d’une solidarité non moins réelle, que fonctionnèrent les relations entre la France et l’OTAN jusqu’à la chute du Mur de Berlin.
C’est ainsi que les relations entre la France et l’OTAN sont en réalité toujours demeurées très loin d’une rupture totale contrairement à la caricature qui en a été faite. Certes, l’indépendance de la politique de défense française était à la fois un principe et une réalité, mais nullement exclusive d’une réelle solidarité avec nos alliés atlantiques.
De la chute du Mur de Berlin à la guerre en Ukraine
Compte tenu de la forte implication française dans le commandement des forces de l’OTAN déployées dans les Balkans (en Bosnie avec l’IFOR et la SFOR et au Kosovo avec la KFOR), la France songea alors à réintégrer le commandement intégré de l’OTAN, de manière à officialiser ce qui correspondait de plus en plus à un état de fait. En 1995, bien que n’ayant toujours pas rejoint ce commandement intégré, la France allait exercer le commandement de la Division multinationale du Sud Est (DMNSE), implantée à Mostar, au sein de la SFOR, puis, au sein de la KFOR, celui de la Brigade Multinationale Nord à Mitrovica. Par deux fois, le commandement de la KFOR, à Pristina, échut à un officier général français, les généraux de corps d’armée Valentin et de Kermabon.
Mais le Président Chirac mit alors comme condition au retour de la France au sein du commandement intégré, l’attribution à la France du commandement d’AFSOUTH, qui devenait de la sorte, le pendant du commandement d’AFCENT exercé par la France avant 1966. L’OTAN et les États-Unis y mirent un avis défavorable, et l’affaire en demeura là. Fortement présente donc au sein des forces que l’Alliance a déployées dans les Balkans, la France s’est très impliquée par ailleurs dans sa participation aux forces de l’OTAN. Elle a participé d’emblée à la force déployée en Afghanistan. Si, en 2003, Paris a désapprouvé avec éclat l’intervention américaine en Irak, à laquelle elle a refusé de prendre part, il s’agissait d’un différend franco-américain, et aucunement une marque de défiance vis-à-vis de l’OTAN. Toujours sans être partie prenante au commandement intégré, l’armée française a constitué et mis sur pied des grands commandements terrestres et navals certifiés « HRF » (Force de réaction rapide répondant à des critères d’organisation et de fonctionnement fixés par SHAPE), ce qui l’amenait à prendre un tour d’alerte au sein de l’OTAN. Il était en effet apparu à Paris que l’OTAN constituait la seule structure de commandement fiable lors de la constitution de coalitions multinationales.
La question s’est donc à nouveau posée d’un retour de la France au sein des structures de commandement intégrées de l’OTAN. En 2007, Nicolas Sarkozy, président nouvellement élu, décide alors de franchir le pas. À cette occasion, le Commandement pour la Transformation (ACT), implanté à Norfolk en Virginie, a été attribué à la France, laquelle y affecte systématiquement depuis l’ancien chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace.
Est-ce à dire que la France y a perdu une partie de son indépendance, qui s’exprime par son autonomie de décision ? Observer certaines situations permettra de répondre à cette question.
Le cas afghan est symptomatique. Dès que la France a rejoint le commandement intégré de l’OTAN, elle s’est vu attribuer une zone d’action spécifique, en Kâpîssâ où ses moyens, regroupés en une brigade, se trouvaient subordonnés à une division américaine. En 2012, peu avant les élections présidentielles, estimant que les pertes françaises étaient trop élevées, le Président Sarkozy a décidé de fortement restreindre l’activité opérationnelle des forces françaises dans cette province. Décision politique nationale, qui a certes créé une situation un peu tendue au sein du commandement local, mais dont les conséquences ne sont pas allées plus loin. De même, après l’alternance politique créée par les mêmes élections, le nouveau Président Hollande a décidé unilatéralement de rapatrier le contingent français. Il n’y a eu aucune entrave de la part de l’OTAN, à cette nouvelle décision politique nationale française. En outre, ce retrait s’est déroulé dans des délais exceptionnellement brefs. Il n’y a donc pas eu, à proprement parler, de limite à l’indépendance de la France en termes d’engagement de ses moyens au sein de l’Alliance.
Si l’OTAN constitue un remarquable outil d’interopérabilité, dont le formalisme est à certains égards, néanmoins un peu pesant, en revanche, son aspect normatif bride souvent la liberté d’action de ses membres. Les normes de certification HRF, les conditions de prise d’alerte de la NRF (NATO Response Force) imposent des volumes de PC et des savoir-faire qui peuvent bousculer la culture militaire des États membres, dont notamment la nôtre. In fine, compte tenu de l’évolution du contexte international marqué par le balancement de l’effort américain de la zone Atlantique à la zone Pacifique, annoncé par l’administration Obama et effectif par l’administration suivante, l’OTAN perd de son pouvoir d’attraction.
Ce désintérêt de l’OTAN est en plus marqué par les États-Unis eux-mêmes, le président Trump reprochant ouvertement à ses alliés européens de s’en remettre au « parapluie » américain et de ne pas consentir suffisamment d’efforts budgétaires à leur propre défense. Tant et si bien qu’un chef d’État européen, et non des moindres, a pu, en 2020, déclarer officiellement l’OTAN en « état de mort cérébrale », sans que son propos ne fasse scandale.
C’est l’agression russe contre l’Ukraine le 24 février 2022 qui a, de manière tout à fait paradoxale, « ressuscité » l’OTAN, non seulement par la mise en place d’un dispositif militaire de réassurance dans les États membres de la frontière Est (Pays Baltes, Pologne et Roumanie) auquel la France a pris une part significative, mais également par un regain d’intérêt en termes d’adhésion, de la part de la Finlande, qui se sent sous la menace directe de la Russie, et, plus surprenant de celle de la Suède, pays qui possède une très longue tradition de neutralité, puisque la dernière campagne à laquelle ses armées ont pris part, a été la campagne de France contre Napoléon en 1814, sous les ordres de Bernadotte. De lac russe, la mer Baltique va ainsi devenir une mer otanienne !
- Qui se concrétiseront par la très sévère admonestation portée par le Général De Gaulle lors de son discours de Phnom Penh, le 1er septembre 1966, qui était une condamnation sans appel de l’intervention américaine au Vietnam.