Offensive turque en Syrie : Mme Parly a eu une conversation « musclée » avec le ministre turc de la Défense
Si l’on en croit les communiqués publiés par le « Centre d’informations de la Rojava » [région kurde dans le nord de la Syrie, ndlr], les Forces démocratiques syriennes, dont les milices kurdes constituent le gros des troupes, ont été la cible de plusieurs attaques menées dans les environs de Raqqa par l’État islamique [EI ou Daesh], notamment sur les axes leur permettant d’envoyer des renforts pour contrer l’opération « Source de paix », lancée, avec le feu vert tacite du président Trump, par la Turquie avec l’apport de groupes armées syriens qu’elle soutient.
Et cela ne serait pas surprenant. Avant les développements de ces derniers jours, les FDS, soutenues par la coalition anti-jihadiste dirigée par les États-Unis, pouvaient en effet patrouiller dans les secteurs qui étaient auparavant sous le joug des jihadistes. Or, comme elles sont désormais contraintes de mobiliser leurs moyens pour répondre à l’offensive turque, la pression exercée jusque-là sur les cellules dormantes de l’EI a cessé… Et ces dernières ne manquent donc pas d’en profiter.
Du point de vue d’Ankara, l’opération « Source de paix » vise à établir une zone tampon dans le nord de la Syrie afin d’empêcher l’infiltration sur son territoire de combattants kurdes, considérés comme « terroristes » en raison de leurs liens avec le Parti des travailleurs du Kurdistan [PKK]. En outre, le gouvernement turc a l’intention d’y installer des réfugiés syriens.
Pour la France, ainsi que pour d’autres membres de la coalition anti-jihadiste, l’offensive turque risque de ruiner les efforts entrepris jusqu’ici pour combattre l’État islamique. C’est ce qu’a souligné le président Macron, le 10 octobre, alors que le sujet devait être porté, dans la soirée, devant le Conseil de sécurité des Nations unies.
« Je condamne, avec la plus grande fermeté, l’offensive militaire unilatérale qui est en cours en Syrie. […] J’appelle la Turquie à y mettre un terme le plus rapidement possible » car « ajourd’hui, la Turquie est en train d’oublier que la priorité de la communauté internationale en Syrie est la lutte contre Daesh et le terrorisme », a affirmé M. Macron. Et d’insister : « Elle est en train de faire courir un risque humanitaire à des millions de personnes. Ce risque d’aider Daesh à reconstruire un califat et ce risque humanitaire, c’est la responsabilité seule que prend la Turquie devant le reste de la communauté internationale. »
Le même jour, la ministre des Armées, Florence Parly, a eu l’occasion d’expliquer la position française à son homologue turc, Hulusi Akar. Et, apparemment, les oreilles de ce dernier en sifflent encore…
« La Turquie est un allié de l’Otan » et cela « permet d’avoir des conversations extrêmement franches », a expliqué Mme Parly à l’antenne de franceinfos. « J’ai eu l’occasion, cet après-midi [10/10] d’échanger avec mon homologue turc. La conversation a été musclée. Je peux vous le dire », a-t-elle assuré.
« Nous voulons que la Turquie cesse cette intervention, qu’elle y renonce. C’est ce que j’ai demandé à mon collègue [turc] », a ensuite précisé la ministre française.
Côté turc, on a confirmé l’échange téléphonique… Mais pas sa tonalité. « Le ministre turc a rappelé que la Turquie est le seul pays membre de Otan et de la coalition internationale, qui a neutralisé plus de 3.000 combattants de Daesh », a seulement fait savoir le ministère turc de la Défense, via un communiqué.
Cela étant, à la question de savoir si la Turquie devait cesser son opération « par la négociation ou par la force », Mme Parly a seulement répondu : « Qu’elle y renonce ». Et d’estimer qu’il fallait revenir à l’accord qui avait conclu par Ankara et Washington en août dernier, après des mois de discussions. Pour rappel, Américains et Turcs s’étaient accordés pour mettre en place des patrouilles conjointes dans le nord de la Syrie, afin d’empêcher tout infiltration de miliciens kurdes.
Par ailleurs, la France a également demandé une réunion d’urgence de la coalition anti-jihadiste pour évoquer la situation.
« Il faut que cette coalition internationale se réunisse parce qu’on est dans une situation nouvelle et parce que le combat contre Daesh risque de reprendre, parce que Daesh n’attend que cette opportunité pour sortir », a expliqué Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères.
« La France demande que cette coalition […] se réunisse aujourd’hui et dise ‘Voilà quelle est la situation, comment est-ce qu’on fait, qu’est-ce que vous Turcs voulez faire, qu’est-ce que vous Américains voulez faire, comment est-ce qu’on assure la sécurité des lieux où il y a aujourd’hui des djihadistes et des combattants en prison’, bref mettre tout sur la table de manière claire pour que chacun assume ses responsabilités », a insisté le chef de la diplomatie française.
En outre, il est également question que l’Union européenne [UE] prenne des sanctions contre la Turquie. « Évidemment que c’est sur la table. Ce sera débattu au Conseil européen la semaine prochaine », a indiqué, ce 11 octobre, Amélie de Montchalin, la secrétaire d’État française aux Affaires européennes.
Enfin, dans le rôle du pompier pyromane, le président Trump a proposé une médiation américaine entre les Kurdes syriens et la Turquie afin d’obtenir un cessez-le-feu.
« Nous avons été chargés par le président de tenter de voir s’il y a des zones d’entente possibles entre les deux parties, s’il est possible de parvenir à un cessez-le-feu, et c’est ce que nous sommes en train de faire », a expliqué un responsable de la diplomatie américaine.
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