Permanence de la menace de l’État islamique

Permanence de la menace de l’État islamique

par Alain Rodier – CF2R – Note d’actualité N°675 / février 2025

https://cf2r.org/actualite/permanence-de-la-menace-de-letat-islamique/


Le groupe État islamique (EI) continue d’être actif non seulement sur le terrain, mais aussi grâce à ses publications sur les réseaux sociaux en particulier via le centre médiatique Al-Hayat créé en 2014 en même temps que le « califat ». Ce dernier cible les publics étrangers et produit ses publications en anglais, allemand, russe, ourdou, indonésien, turc, bengali, chinois, bosniaque, kurde, ouïghour et français.

Des musulmans radicalisés souhaitant exprimer leurs frustrations et leur révolte par la violence sont encouragés par de ses discours actuels ou passés (plus rarement par ceux d’Al-Qaida qu’ils considèrent comme « ringard ») à se livrer à des attentats avec les moyens disponibles, généralement en lançant leur véhicule sur la foule ou, plus couramment, en utilisant des armes blanches. Ces moyens avaient déjà été « conseillés » par les sites islamistes-jihadistes au milieu des années 2010 par lemagazine Inspire d’Al-Qaida dans la péninsule arabique (AQPA) et dans les propos du porte-parole de l’époque de l’EI, le Syrien Abou Mohammed al-Adnani : « Si vous pouvez tuer un incroyant américain ou européen – en particulier les méchants et sales Français – ou un Australien ou un Canadien, ou tout (…) citoyen des pays qui sont entrés dans une coalition contre l’État islamique, alors comptez sur Allah et tuez-le de n’importe quelle manière. (…). Frappez sa tête avec une pierre, égorgez-le avec un couteau, écrasez-le avec votre voiture, jetez-le d’un lieu en hauteur, étranglez-le ou empoisonnez-le ». Les attentatsles plus meurtriers ont été ceux des camions lancés dans la foule le 16 juillet 2016 à Nice (86 morts, 458 blessés), le 19 décembre 2016 à Berlin (13 morts, 50 blessés) et le 31 mai 2017 à Kaboul (environ 90 morts et 400 blessés). La liste des attentats à l’arme blanche s’allonge elle aussi avec le temps. Parfois certains fidèles parviennent à se procurer des armes à feu et cela tourne au carnage.

Par contre, il est symptomatique de constater que les activistes qui passent à l’acte aujourd’hui ne recherchent plus systématiquement à mourir en « martyrs » comme c’était le cas pour leurs aînés qui étaient généralement équipés de vestes explosives (attentats du 13 novembre 2015 à Paris) où s’exposaient volontairement aux tirs de riposte des forces de l’ordre (attentats des 7 et 9 janvier 2015 à Paris).

Les risques début 2025

En 2024, le porte-parole officiel du mouvement, Abou Hudhayfah al-Ansari, a adressé le message suivant aux forces de la coalition anti-Daech : « vous vous réunissez pour trouver des solutions (…) ; il n’y en n’a pas (…). L’expansion continue au niveau global (…) la guerre américaine a commencé contre un petit groupe en Irak et aujourd’hui l’EI est en Afrique ». Dans un autre message, il prévient que des attaques seront menées à l’échelle globale. Les « loups solitaires » sont encouragés à viser spécifiquement des chrétiens et des juifs, surtout en Europe, aux États-Unis, à Jérusalem et en Palestine. Il a appelé à de nouvelles attaques contre les troupes américaines en Irak et a exhorté les cellules clandestines au Mozambique et aux Philippines à poursuivre leurs activités.

Le mois du Ramadan (qui débute cette année le 1er mars) est généralement favorable au déclenchement d’actions terroristes Cela est dû au fait que selon la tradition musulmane, le Ramadan est une période pendant laquelle Dieu donne la victoire aux croyants. Les jihadistes se réfèrent principalement à la bataille de Badr (624) qui at vu les disciples de Mahomet triompher d’une caravane de la tribu Quraysh. Ce mois sacré est aussi considéré comme une période durant laquelle toutes les actions des musulmans pieux sont davantage récompensées par Dieu.

Enfin, l’EI via le média anglophone non officiel Hallummu a appelé ses partisans à commettre des attentats dans les stades, soulignant que ce sont des « cibles faciles à atteindre » pour des « résultats énormes ».

En dehors de son sanctuaire moyen-oriental, l’EI a développé des « provinces » extérieures formées d’anciens activistes d’Al-Qaida et de nouvelles recrues attirés par ses succès et par sa propagande effrénée. Les plus importantes se trouvent dans le Sinaï (elle semble aujourd’hui en perte de vitesse), au Yémen, en Indonésie, sur le continent africain – qui en compte au moins cinq (État islamique dans le Grand Sahara, État islamique en Afrique de l’Ouest, État islamique en Afrique centrale, EI Somalie, EI Libye) et au Khorasan (EI-K) basé en Afghanistan et au Pakistan.

L’État islamique représente ainsi toujours une menace importante pour l’Iran, la Russie et la Turquie, comme le montrent les attaques de 2024 : double attentat du 3 janvier à Kerman, en Iran (94 morts, 284 blessés) ; attentats contre la salle de spectacles Crocus le 22 mars à Moscou (145 morts, 551 blessés). Il ne s’agit alors pas là de terrorisme endogène mais de petits commandos dépêchés de l’extérieur ou de cellules clandestines intérieures qui se sont rangées sous la bannière de l’EI. Dans le cas de Moscou, les activistes ont été capturés, mais à Kerman, ils se sont fait exploser avec leur ceinture piégée.

Les opérations de l’EI-K

De nombreuses actions terroristes ayant eu lieu en Europe ont été attribuées à l’EI-K mais dans le cas de l’attentat de Moscou de 2024, les principales revendications ont été estampillées « État islamique » et pas « État islamique au Khorasan » (EI-K), qui pourtant est la wilaya (province) à laquelle appartiendraient les activistes qui ont effectué l’attaque. Cela laisse à penser qu’il reste un « commandement central », sans doute toujours basé en Syrie et/ou en Irak, mais que les « provinces » ont une grande autonomie de décision. Quand l’opération est suffisamment spectaculaire, elle serait alors revendiquée au plus haut niveau. Par contre, le nouveau calife se fait très discret pour ne pas subir le sort de ses prédécesseurs, alors que les responsables des provinces extérieures sont en grande partie identifiés.

L’EI-K semble être la branche chargée de l’action internationale, un peu à l’image d’Al-Qaida dans la péninsule arabique (AQPA). Cela vient peut-être du fait que beaucoup de ses membres sont des Caucasiens pouvant passent inaperçus en Occident.

Son émir de l’EI-K serait toujours Sanaula Ghafari – alias Shahab al-Muhajir – bien qu’il ait été donné pour mort à plusieurs reprises. Il désigne les talibans au pouvoir à Kaboul comme des « alliés des deux camps », et appelle les « noyés dans le complotisme » à avancer de théories défaitistes » car cela participe à l’effondrement moral des populations et facilite la tâche des recruteurs. La choura de cette wilaya se déplacerait en permanence entre l’Afghanistan, le Pakistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan…

L’État islamique en Syrie

En Syrie et en Irak, malgré les craintes d’une résurgence locale, l’EI n’a pas lancé d’attaques à grande échelle ces dernières années, se contentant de mener des embuscades et des coups de main dans des régions reculées. Il n’a pas conquis de territoire majeur mais parvient à survivre car aucune résistance sérieuse ne lui est opposée.

Dans sa publication Al-Naba et dans une vidéo de 15 minutes, le groupe a récemment déclaré la guerre au nouveau gouvernement de Damas, qualifiant ses dirigeants de « pions » de « puissances étrangères ». Si sa capacité de combattre à grande échelle apparaît émoussée, sa résilience idéologique et sa capacité de guerre asymétrique demeurent préoccupantes. La persistance des menaces terroristes sur zone dépend donc non seulement de la force de l’EI, mais aussi de la stabilité de la Syrie.

Par contre, la capacité de l’EI à se régénérer en Syrie et en Irak dépend souvent des évasions de prisons ou de centres de rétention comme cela a été le cas lors de l’opération Abattre les murs menée par l’EI en 2013 en Irak.

Donc, une des questions les plus pressantes dans la Syrie post-Assad est le sort de milliers de combattants de l’EI et de leurs familles détenues dans les camps contrôlés par les Forces démocratiques syriennes (FDS), en particulier ceux d’al-Hol et d’al-Roj, dans le nord-est du pays. Construits pour abriter 5 000 réfugiés irakiens dans les années 1990, ils abritent aujourd’hui environ 70 000 personnes, dont 35 000 Syriens et un nombre similaire d’Irakiens, ainsi que 10 000 ressortissants de 30 à 40 autres pays.

Les FDS qui ont joué un rôle central dans les combats contre l’EI aux côtés de la coalition dirigée par les États-Unis, se trouvent dans une position précaire. Elles craignent un retrait américain, ce qui pourrait les rendre vulnérables à des attaque de l’EI et plus encore, à une action militaire turque d’envergure.

L’EI poursuit donc ses combats en Syrie, en Irak, sur le continent africain et en Afghanistan. Ailleurs, il inspire des convertis à sa cause à passer à l’action et continue de recruter de nouveaux combattants grâce à sa propagande. Curieusement, il ne s’est pas impliqué directement dans le soutien à la cause palestinienne – s’en servant uniquement pour victimiser, dans sa propagande, les musulmans du monde entier et se présenter comme leur seul défenseur.

Il ne faut pas se faire d’illusions : les actions terroristes d’origine salafiste-jihadiste vont perdurer dans le monde car l’idéologie mortifère prônée par l’EI ne parvient pas à trouver de contradiction convaincante et parce qu’il attire un nombre croissant d’adeptes sensibles à ses discours qu’ils considèrent comme « révolutionnaires ».