Stress post-traumatique : la double peine des soldats de retour du combat
PALMARÈS DES HÔPITAUX DU POINT. Des militaires victimes de troubles de stress post-traumatiques tentent de se reconstruire dans les maisons Athos, ces structures de réhabilitation sociale dispersées sur tout le territoire.
« Si je n’avais pas poussé la porte de cette maison, j’aurais repeint la salle de bains avec ma cervelle. » William, 34 ans, passionné de littérature, s’est engagé dans l’armée au lendemain de l’embuscade d’Uzbin, en Afghanistan, où 10 soldats français trouvèrent la mort et 21 autres furent blessés le 18 août 2008. Le plus lourd bilan pour l’armée française depuis l’attentat du Drakkar, à Beyrouth, en 1983, un électrochoc pour la médecine militaire et le point de départ d’une nouvelle prise en charge du trouble de stress post-traumatique (TSPT) au sein de l’institution.
« J’ai failli le faire, je me suis retrouvé dans ma baignoire, désespéré, le fusil de chasse que mon père m’avait offert pour mes 30 ans avec une cartouche engagée. » William est assis au bout de la longue de table de bois installée dans le chai de la maison Athos de Cambes, à une trentaine de kilomètres de Bordeaux (Gironde), solide bâtisse d’une ancienne exploitation viticole, louée par l’Institut de gestion sociale des armées (Igesa) pour y établir cette structure permettant aux militaires victimes de TSPT de se retrouver et de renouer avec la société civile.
William, fils d’un notaire et d’une ingénieure, raconte comment il fut rapidement repéré et orienté vers un régiment d’élite, puis versé dans les forces spéciales. Suivront onze années sur le terrain jusqu’à ce moment où tout s’est effondré. Ici, interdiction de parler du trauma, de ce qui, un jour, l’a fait basculer. On est un blessé, tout simplement, et pas la peine d’y ajouter le terme psychique. Aujourd’hui, après un long parcours de soins, William est responsable de la communication de la maison Athos de Cambes. « Quand je suis arrivé, on m’a simplement dit : “Entre, tu es chez toi, camarade.” Et cela m’a sauvé. »
Ambiance familiale
Ils sont huit réunis en ce jour d’octobre ensoleillé. On les surprend dans la cuisine au café du matin, entourés des cinq animateurs du centre. L’un d’eux, soldat né dans les îles du Pacifique, sort aussitôt, oppressé par l’arrivée d’étrangers. Petit malaise vite dissipé par Magalie, la directrice adjointe. Pas de soignants au sein de cette structure de réhabilitation sociale, où les activités – repas, ateliers… – sont partagées dans une ambiance familiale par des soldats qui réservent leur place à l’avance, pour une semaine ou quelques jours.
Magalie vient du monde du médico-social, comme la plupart des animateurs. Seul le directeur, François Etourmy, 42 ans, est un ex-militaire. Magalie fait visiter le centre, parfaitement équipé, avec sa piscine, ses chambres et studios, sa salle de réunion, aux murs de laquelle sont accrochées les photos de ses 151 membres à vie, tous ceux accueillis depuis son ouverture, en 2021.
Cinq autres maisons Athos existent sur le territoire, gérées par l’Igesa, bras armé du secteur social pour les militaires, et cinq autres, dont deux outre-mer, doivent ouvrir. On y accède au terme du parcours de soins. Il faut être sobre pour intégrer le programme, l’addiction et le suicide étant les deux risques de cette pathologie.
Mal invisible
Les chiffres du programme de médicalisation des systèmes d’information montrent la place prégnante occupée par les hôpitaux d’instruction des armées et leur expertise dans la prise en charge du stress post-traumatique. Sur 34 000 patients adultes hospitalisés dans le secteur public en 2022, 2 276 étaient des militaires.
L’Inserm estime que près d’un quart des soldats qui ont participé à une guerre sont concernés par ces troubles. Donner la mort, la voir faucher ses camarades, en y ajoutant la vision des atrocités subies par les populations civiles, tout est réuni pour déclencher chez certains cette réaction qui se traduit par des cauchemars récurrents, la vision répétitive des scènes, « quasi cinématographiques », selon un expert, l’impossibilité de sortir de chez soi, d’affronter la foule, jusque, parfois, au geste fatal.
Après Uzbin, la prise en charge de ce mal invisible relève du défi pour l’institution car, au même moment, le service de santé des armées est soumis à une purge budgétaire qui aboutira, entre autres, à la fermeture de l’hôpital du Val-de-Grâce, à Paris, son fleuron. Un temps tentés de collaborer avec les établissements civils, les militaires vont vite s’apercevoir que, en raison de possibles fuites de données sensibles, il vaut mieux qu’ils se replient sur leurs bases, les huit hôpitaux d’instruction des armées. Avec succès : sept d’entre eux sont présents dans ce classement.
« Envisager un projet de vie une fois la réforme venue »
« 85 % des soldats victimes de stress post-traumatique s’en sortiront par eux-mêmes, vivront avec. Mais restent les autres », résume un psychiatre militaire, jeune retraité, qui a accepté de parler sous anonymat car, pour cette enquête, le haut commandement a décidé de refuser tout entretien, hormis ce reportage. Et aucun établissement n’a répondu à notre questionnaire.
Cette position traduit bien l’ambiguïté de l’institution à l’égard de cette pathologie. À la base, les combattants subissent en fait une double peine : une fois atteint de ce syndrome, il est difficile pour un soldat de s’en ouvrir à ses camarades, qui jugeront que sa fiabilité au combat s’en trouvera altérée. Au sein du commandement des unités, règne aussi la peur de ne plus disposer de ces professionnels et de ne plus être opérationnel, hantise absolue de tout chef de corps.
« Mais tous sont très sensibilisés à ce problème, poursuit ce haut gradé. Comment faire autrement ? Depuis l’Afghanistan, tous les régiments partent en opération. » « Le vent du boulet » était le terme employé au XIXe siècle pour qualifier cet étrange mal qui frappait certains soldats après la bataille.
« On pensait que les neurones avaient été sectionnés », poursuit notre psychiatre militaire. Mais ce sont les premiers accidents de train de la révolution industrielle, terriblement meurtriers, qui sont à l’origine de la notion de traumatisme en psychiatrie, comme l’écrit dans une passionnante étude historique Pascal Pignol, psychologue, fondateur de la cellule de victimologie au centre hospitalier Guillaume-Régnier, à Rennes* (Ille-et-Vilaine). Puis, la Première Guerre mondiale emporta tout avec ses cohortes de soldats traumatisés et la prise en main de cette pathologie par les psychiatres.
Un siècle plus tard, au bout de la chaîne de soins, il y a ce dispositif Athos, du nom du plus vieux des mousquetaires, tourmenté par ses traumatismes de jeunesse. « L’objectif est de les remobiliser, de leur faire regagner confiance en eux. Isolés, ils sont privés de la camaraderie, Athos recrée ce lien essentiel, explique François Etourmy, barbe noire, grand sourire, carrure de sportif de haut niveau. Ils doivent reprendre des habitudes, faire leurs courses, emprunter les transports, et puis envisager un projet de vie une fois la réforme venue. Nous avons des partenariats avec des entreprises, des associations. Nous sommes une sorte d’incubateur. »
Avec des réussites parfois étonnantes. Comme Guillaume, gueule de star, mais ancien commando parachutiste devenu ouvrier chez Hermès, où il fabrique des sacs griffés, et qui raconte en plaisantant les dessous du métier. « L’armée ne veut pas qu’on les retrouve dans la rue, glisse une animatrice. Et puis il y a un risque de décompensation très élevé. On est d’abord là pour éviter que les choses tournent mal. »
*« Préhistoire de la psychotraumatologie, Les premiers modèles du traumatisme (1862-1884) », in L’Information psychiatrique, vol. 90, n° 6, juin-juillet 2014.