« Tout le monde attend avec impatience les lasers » : la France compte durcir ses frégates contre les drones
Bataille navale futuriste
Deux interceptions de drones le 9 décembre 2023, en provenance des côtes du Yémen. Une autre neutralisation révélée par l’armée française le 11 du même mois. Puis, dans la nuit du 19 au 20 février, et dans celle du 21 au 22, quatre autres destructions ont été annoncées par le ministère des Armées. À chaque fois, deux drones ont été abattus.
Rarement les frégates multi-missions françaises (FREMM) auront eu besoin de mobiliser autant leurs capacités d’autodéfense pour contrer ces menaces, en mer Rouge et dans le golfe d’Aden. Or, ces moyens de protection sont coûteux : pour arrêter ces aéronefs sans pilote, il a systématiquement fallu envoyer un missile Aster.
Une approche qui n’apparaît pas soutenable à long terme, surtout si la France entend durablement participer à la sécurisation du trafic maritime. D’abord, parce que les missiles Aster coûtent cher (comptez 1 million d’euros pour un Aster 15 et 1,4 million pour un Aster 30). Ensuite, parce qu’une FREMM n’en a qu’une quantité limitée (une quinzaine).
Ce défi n’est pas ignoré par l’état-major et le gouvernement. Cela a été redit le 27 février par Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, lors de son audition par les membres de la commission de la défense nationale et des forces armées. Il a aussi exposé aux députés l’existence de solutions en train d’être considérées pour parer ce péril pour de bon.
« L’adaptation de nos frégates, c’est un gros sujet. C’est toujours l’éternel débat : tirer un missile Aster 15 ou 30 avec le coût qu’il a sur un drone qui peut coûter 20, 30, 40 ou 50 000 euros. Le déséquilibre économique entre l’intercepteur et la munition créée déjà un rapport de force qui vous est défavorable », a-t-il rappelé.
L’artillerie anti-aérienne classique, solution simple mais périlleuse
Première piste, pour répondre à court terme à cet enjeu : revenir à de l’artillerie sol-air classique. « On est en train de l’étudier », a confirmé le ministre, d’autant que l’armée de Terre connaît bien ce sujet. Une défense anti-aérienne qui pourrait être « modernisée avec un peu d’IA, avec des systèmes d’acquisition de tir, etc. », a-t-il avancé.
Le souci reste la prise de risque que l’on est prêt à prendre pour neutraliser des contacts hostiles — sans parler du danger que constituent les attaques saturantes. « La question de l’évolution de cette affaire est importante », a souligné le ministre, car c’est la sécurité des marins à bord et la protection de frégates valant chacune 850 millions d’euros qui sont en jeu.
« C’est facile à dire, ce n’est pas facile à faire. Vous êtes le pacha d’une frégate : vous tirez le missile Aster, vous êtes à peu près certain de faire l’interception », a exposé Sébastien Lecornu. « Vous voulez prendre un autre billet pour intercepter : vous attendez donc un peu plus longtemps et, par définition, votre cible est un peu plus proche. »
Selon MBDA, qui fabrique les deux variantes de l’Aster, la portée pratique du modèle 15 peut dépasser les 30 km. Pour le modèle 30, cela peut frapper au-delà des 100 km. Les missiles filent en outre à plusieurs fois la vitesse du son (Mach 3 pour l’Aster 15 par exemple). Une artillerie comme le Phalanx CIWS a une portée pratique de 1,5 km.
Des lasers pour durcir les frégates françaises
L’autre piste, plus longue à déployer, est l’emploi de lasers, que l’armée attend de toute évidence avec impatience, selon les propos du ministre : « On a une nouvelle technologie et tout le monde attend avec impatience les lasers anti-drones. La nouvelle génération de technologie permettra sans doute de durcir nos frégates. »
En mai 2023, l’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la marine, avait déjà partagé son grand intérêt pour ces lasers. C’était cette fois devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, au Sénat. « Je tiens particulièrement aux armes à énergie dirigée », avait-il confié aux élus.
« Mon objectif est qu’on ne tire pas un Aster 15 qui vaut un million d’euros contre un drone qui vaut 10 000 euros. Le prix d’un tir vers un drone doit être inférieur ou égal au prix du drone. C’est une condition de notre supériorité », avait-il indiqué. Un test avait d’ailleurs été annoncé par l’amiral. Il a été mené avec succès.
En l’espèce, il s’agissait de déployer une tourelle laser sur une frégate de défense aérienne. « Nous voulons ainsi prouver qu’il est possible, avec un laser de puissance, d’abattre des drones dans un rayon de quelques kilomètres », avait-il dit. Ladite tourelle, Helma-P, a été fournie par Cilas, une filiale de Safran et MBDA. On la retrouvera aux JO.
Sébastien Lecornu n’a pas développé davantage son propos, évoquant juste en fin d’audition que des discussions sont en cours avec Naval Group. L’industriel français, qui s’est occupé du programme FREMM, a la responsabilité plus large de construire les prochains navires de la Marine nationale, et ses futurs drones de combat sous-marins.
Sur la terre ferme, les armes à énergie dirigée sont déjà utilisées dans une logique d’autodéfense. C’est le cas en Israël avec l’Iron Beam qui vient en appui du « dôme de fer » (Iron Dome). L’Iron Beam cherche à détruire des drones avec des lasers, tandis que l’Iron Dome consiste essentiellement à tirer des missiles pour contrer des roquettes.
D’autres nations sont aussi engagées sur ce terrain. Les États-Unis dès 2014 au profit de sa marine, la Chine ou encore le Royaume-Uni avec le projet DragonFire. À bien des égards, le laser est considéré comme l’arme idéale pour contrer des drones, sans dépenser des fortunes. Il a toutefois deux contraintes : la météo et l’atmosphère.
Artillerie ou laser ? Le débat est en cours. Et si c’était l’un et l’autre, au final ? Sébastien Lecornu a en tout cas souligné qu’il faut surtout donner « la capacité à un commandant de bord et son état-major d’avoir le choix ». Disposer de systèmes d’armes multiples offre en effet davantage d’options quand on est sous le feu ennemi.
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