Vaincre sans violence. Influence et guerre de l’information
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Guerre de l’information, propagande, influence dans le milieu social, la guerre pour le contrôle des esprits est menée tous azimuts. Raphaël Chauvancy propose un manuel clair et pédagogique pour comprendre ces nouvelles formes de guerre.
Quelle que soit l’issue de la guerre en Ukraine, que l’on considère qu’elle ait commencée en 2014, avec l’annexion de la Crimée, ou en 2022, avec l’opération militaire spéciale, ce conflit vient à point nommé pour servir de fil conducteur à cette présentation de manuel. Car il s’agit bien d’un manuel d’influence et de guerre de l’information que propose Raphaël Chauvancy en présentant de façon méthodique les ressorts de ce qu’il appelle la guerre par le milieu social.
Contrairement aux conflits précédents, la guerre en Ukraine donne toute l’apparence de la transparence. Les nouveaux outils numériques, certaines plates-formes, révèlent des informations qui auraient été, il n’y a pas si longtemps, couvertes par le secret militaire le plus rigoureux. C’est loin d’être le cas aujourd’hui, et différents sites d’information publient des données qui font le bonheur des analystes amateurs ou professionnels.
Malheureusement, les chaînes d’information en continu sont dans la plupart des cas bien incapables de fournir autre chose que des commentaires de commentaires, assortis de banalités qui enfoncent parfois les portes ouvertes. Rares sont les niveaux d’expertise qui apportent au grand public des informations sur les enjeux de ce conflit.
Il est vrai que le caractère imprévisible, surprenant, c’est le moins que l’on puisse en dire, de l’administration républicaine aux États-Unis depuis janvier 2025, donne parfois le tournis.
Pourtant, même ce caractère imprévisible, participe incontestablement du propos de l’auteur. L’information que l’on peut donner, parfois contradictoire, à propos de la politique étrangère des États-Unis, participe bel et bien d’une forme de guerre de l’information, d’autant plus insidieuse qu’elle semble portée par des propos bruts de décoffrage.
La guerre par le milieu social
La guerre par le milieu social regroupe l’influence et la guerre de l’information. Dans ce domaine, si l’on se contente du XXe siècle, le mouvement communiste international a pu prendre un coup d’avance. Et même si l’exemple n’est pas forcément cité dans cet ouvrage, la politique de Lénine, lorsqu’il publie les thèses d’avril, relève bel et bien d’une forme de guerre d’influence que l’on appelait de façon primaire l’agit-prop. En allant chercher les ressorts profonds du soldat russe, resté au fond de lui-même un paysan affamé de terre, le slogan de Lénine a pu jouer un rôle décisif dans l’effondrement de l’armée impériale.
D’autres exemples de propagande communiste, pendant la guerre civile chinoise ou la guerre d’Indochine, sont directement issus de cette démarche qui consiste à articuler l’implantation au cœur des populations, comme moyen d’action, privant l’ennemi de ses capacités à agir.
On appréciera donc la présentation didactique de cet ouvrage, avec les différentes phases qui permettent de construire un cycle d’influence. Cela commence par la connaissance précise du milieu dans lequel on intervient, ce que l’on appelle « l’analyse pays », la plus classique. Lorsque l’on aborde un groupe, sur lequel on souhaite agir, la méthode permettant d’analyser les données biologiques de la cible, ses aspirations et ses peurs, et enfin ses croyances (BAC), permet de définir ensuite une posture et différentes formes d’intervention.
La deuxième phase consiste à impulser, c’est-à-dire à mettre en place les outils d’action, que ce soit les agents, et, de façon maligne, l’auteur cite avec juste raison un propagandiste du Kremlin, Xavier Moreau, au même niveau que l’influenceuse Rokhaya Diallo, qui au nom d’un antiracisme sélectif, se fait l’apôtre d’un French bashing systématique, surtout lorsqu’il s’agit des principes de la laïcité.
De la même façon, pour ce qui concerne les difficultés de la France en Afrique, qui ont conduit à la remise en cause de sa présence dans de nombreux pays, la question du don sans contrepartie peut apparaître comme une erreur. Les territoires sur lesquels la France, tout au long de son histoire le plus investie, notamment l’Algérie, sont ceux qui ne manifestent pas une reconnaissance excessive à l’égard de leur généreux donateur. Bien au contraire cette générosité sans contrepartie entretient un sentiment d’injustice dont peuvent jouer les autorités politiques, lorsqu’elles cherchent à obtenir un consensus de leur population contre l’adversaire fantasmé.
La troisième phase consiste à construire un narratif, et à cet égard, la guerre en Ukraine est un exemple remarquable. De part et d’autre une histoire a véritablement été « inventée », avec un fond historique bien réel, ce qui la rend d’autant plus crédible. Le mythe de la Russie kiévienne s’oppose à celui d’une nation ukrainienne qui trouve ses racines dans la saga des cosaques, ce qui donne un récit efficace, et qui renforce un sentiment d’appartenance. L’auteur donne des exemples pratiques d’influence, en s’appuyant évidemment sur les pratiques des groupes d’influence américains après la chute de l’Union soviétique. L’académie ukrainienne du leadership, (ULA) a pu suivre toutes les phases de la mise en place de l’action, du ciblage à l’impulsion, jusqu’à la construction narrative.
Les guerres 2 et 3.0
Le lecteur s’attachera également à la troisième partie sur les guerres d’information, qui ont connu évidemment une évolution majeure avec ce que l’on a longtemps appelé les nouvelles technologies d’information et de la communication, qui devraient connaître quand ce n’est pas déjà le cas une accélération avec les usages de l’intelligence artificielle dans l’action informationnelle.
Dans cette guerre informationnelle, l’auteur prend le soin de proposer des encadrés très précis, avec l’exemple très fouillé sur les manœuvres médiatiques russes en Afrique. Il s’appuie pour cela sur une étude de l’institut de recherche stratégique de l’école militaire. Au passage les plus anciens, qui ont connu la période soviétique, ont pu retrouver le bon vieux procédé qui datait de l’ère Brejnev, celui de la désinformation, une pratique qui avait été très largement documentée en son temps.
On retrouve dans le détail également les techniques de fabrication des fake news avec une analogie culinaire sur la préparation du canard, ce qui rappelle la zone et technique de la généralisation abusive que l’on peut appeler « pâté de canard », mais également celle de l’essentialisation, appelées « le malgré de canard », les amateurs apprécieront.
Les mesures actives s’inscrivent dans la continuité de la guerre révolutionnaire de la subversion, avec l’intoxication par la formation, ce qui peut rejoindre l’infobésité, avec des méthodes très subtiles qui ont été utilisées au moment de la décolonisation, mais également avec la bleuite pendant la guerre d’Algérie. Face à ces actions subversives, les différents moyens de contre-attaque sont également abordés, même si la raison critique est beaucoup plus difficile à opposer à la dictature de l’émotion.
Encore une fois il s’agit bel et bien d’un manuel que l’on pourra lire avec profit, à la fois pour comprendre les mécanismes de la guerre d’influence, mais également pour répondre à des situations très précises en analysant les outils utilisés par l’ennemi.
Bruno Modica