Algérie : la victoire taboue

Algérie : la victoire taboue

Algerie: Visite du General de Gaulle. Suite aux manifestations reclamant le maintient de l’Algerie dans le giron de la France et aux sollications des generaux, le General de gaulle se rend en Algerie le 4 juin 1958. C’est au cours de ce voyage qu’il s’adresse a la population en lancant, depuis le balcon du Gouvernement General, la celebre phrase « Je vous ai compris ».

 

par Jean-Baptiste Noé – Revue Conflits – publié le 22 décembre 2023

https://www.revueconflits.com/algerie-la-victoire-taboue/


Paru en 2012, l’ouvrage de Christophe Dutrône La Victoire taboue reste d’une grande actualité pour comprendre la guerre en Algérie et la resituer dans le contexte du retour de la guerre au Proche-Orient.

En Algérie, il n’y a pas que la victoire qui soit taboue. Évoquer cette période, analyser ses enjeux militaires et politiques demeure difficile. L’incompréhension entre le général de Gaulle et les partisans de l’Algérie française est une véritable faille anthropologique. Les deux camps ont une vision totalement différente de la place de la France dans le monde, de l’organisation des sociétés et de la viabilité de l’Empire. Deux visions différentes qui ne peuvent ni cohabiter ni trouver de point d’entente.

Dans son ouvrage, Christophe Dutrône revient sur la tactique mise en place par l’armée française pour démanteler le FLN et reprendre le contrôle du terrain. Mais une tactique qui ne peut s’inscrire que dans un projet politique et celui de de Gaulle était de quitter le pays et d’opérer un grand dégagement. Là réside l’une des incompréhensions majeures. Pour les partisans de l’Algérie française, il fallait gagner pour rester en Algérie ; pour de Gaulle, il fallait gagner pour pouvoir partir. Le désengagement algérien, vu comme une défaite pour certains, est au contraire une victoire pour d’autres. Entre les deux camps, l’incompréhension est totale. La différence de perception à l’origine du conflit engendre une différence d’interprétation sur le déroulement de la guerre et son achèvement.

Analyse des massacres conduits par le FLN, de la terreur instillée dans les campagnes et les villes pour détruire les réseaux algériens non affiliés au FLN, étude de l’évolution de la tactique de l’armée française, du développement économique avec les Sections administratives spécialisées (SAS) au ratissage d’Alger par les parachutistes, la guerre en Algérie a connu de nombreuses évolutions depuis son déclenchement en 1954. L’auteur montre aussi comment ce conflit s’inscrit dans un cadre plus large et dans le contexte de plusieurs défaites subies par l’armée française, qui ont pesé sur la morale des troupes et la conscience militaire des régiments. Il y a d’une part la défaite en Indochine et d’autre part l’échec de l’opération de Suez. Même si la majorité des troupes engagées en Algérie n’ont connu ni l’une ni l’autre, ces échecs ont pesé comme un surmoi militaire à ne plus revivre.

Débarrassé de la tension mémorielle, il est urgent de se replonger dans la guerre d’Algérie pour l’étudier du strict point de vue militaire, tactique et stratégique. La stratégie de guérilla, que l’on appelle désormais du nom plus scientifique, mais non moins faux, de « guerre asymétrique », est revenue au premier plan. La stratégie de la terreur opérée par le Hamas a bien des éléments en commun avec celle du FLN. Les tensions civiles qui secouent la France et bon nombre de pays d’Europe trouvent des échos dans les conflits entre populations arabes et européennes durant la guerre d’Algérie. Ce n’est pas une guerre ancienne ou lointaine, ce n’est pas une guerre à ranger au rayon des vieilleries et des « guerres coloniales ». La guerre en Algérie, par sa confrontation anthropologique, par sa dimension politique et religieuse, par ses combats urbains et moraux, est la prémisse de bien des guerres qui sévissent aujourd’hui.

L’ouvrage de Christophe Dutrône est une synthèse brève. Il pourrait être développé, complété, augmenté. Mais son atout est justement d’être une synthèse, c’est-à-dire de donner les idées principales et d’aller à l’essentiel. Onze ans après sa parution, il demeure une lecture indispensable pour comprendre les évolutions de la guerre au cours des cinquante dernières années et surtout pour comprendre que la guerre ce n’est pas l’affrontement des armes, mais l’affrontement des volontés et des visions ; les armes utilisées n’étant que les moyens au service de la volonté et de la vision. La Victoire taboue ouvre des champs d’études, que l’analyse des conflits doit désormais labourer.