Les tensions entre Grèce et Turquie pour le contrôle des îles égéennes

Les tensions entre Grèce et Turquie pour le contrôle des îles égéennes

 

par Grégory Gasnot – École de Guerre économique – publié le 14 mars 2024

https://www.ege.fr/infoguerre/les-tensions-entre-grece-et-turquie-pour-le-controle-des-iles-egeennes


Les tensions entre la Grèce et la Turquie au sujet des îles de la mer Égée n’est pas récent. Un des derniers évènements en date fut le cas de la crise de l’île d’Imia en 1995 où un cargo turc, le Figen Akat[i], s’est accidentellement échoué sur la côte. Le capitaine du navire avait refusé l’aide grecque en maintenant qu’il était en eaux territoriales turques. Quelques mois après cet évènement, un drapeau grec fut planté sur l’île par le maire d’une île voisine, action qui fut suivie par deux journalistes turc débarqués en hélicoptère sur l’île pour y installer leur drapeau. En réponse, Athènes fit dépêcher un navire de guerre pour y replanter le drapeau hellène.

Les différends entre les deux membres de l’OTAN est problématique et pourrait déstabiliser l’alliance si une guerre devait éclater. En effet, Erdogan mène des politiques venant à restaurer la grandeur de l’empire ottoman comme la politique de Mavi Vatan, Patrie Bleue, politique expansionniste visant à agrandir le territoire maritime de la Turquie.

Le contrôle des îles de la mer Égée permet à la Grèce de disposer d’un vaste territoire maritime de 6 milles marins autour de ces îles et un droit d’extension à 12 milles marins hérité de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. De son côté, l’Assemblée nationale turque a émis en 1995 qu’un élargissement du territoire grec constituerait un casus belli[ii] craignant pour la souveraineté de ses côtes. C’est dans ce contexte que le conflit entre les deux pays s’alimente sur ce territoire à enjeux stratégiques.

Enjeux stratégiques autour des îles de mer Égée

Cet espace maritime regorge de ressources naturelles et constitue un atout majeur. La Grèce exploite ces eaux par la pêche, l’aquaculture et le transport maritime qui sont des piliers de son économie. De plus, des ressources énergétiques, gaz et pétrole, sont présentes en méditerranée orientale et les deux pays sont dépendants énergétiquement, un accès à ces ressources permet de réduire les dépendances de chacun des états aux importations d’énergie et de gagner en souveraineté, le contexte mondial actuel s’ajoute confrontant de plus en plus de pays à cette problématique. A ce sujet, la Turquie et la Lybie ont signé un accord de prospection d’hydrocarbures en octobre 2022[iii], qui succède à un accord de délimitations maritime entre les deux parties, suivi par l’envoi du navire turc Oruç Reis[iv] qui a opéré en méditerranée orientale et notamment au sud de l’île grecque de Kastellorizo. En parallèle la Grèce et l’Égypte ont conclu un accord bilatéral en 2020 sur la délimitation des zones maritimes d’exploitations d’hydrocarbures[v]. Ces accords s’accompagnent aussi d’un projet entre Israël, Chypre et la Grèce de gazoduc qui doit relier les champs de gaz naturels offshores israéliens. L’enjeu militaire de ces zones est tout aussi important, régulé par les différents traités de Lausanne en 1923 et de Paris de 1947 exigeants une démilitarisation de ces îles. Le large espace aérien découlant de la possession des îles égéennes permet à la Grèce de maintenir une surveillance sur ces dernières[vi]. Ce dernier point mène cependant à des discordes entre Athènes et Ankara.

Opérations de présence militaire en mer Égée 

Premièrement l’enjeu militaire est un des premiers terrains d’affrontement des deux pays. La militarisation de cette zone est un sujet contesté par le Turquie, en vertu des traités cités ci-dessus la zone se doit d’être démilitarisée. Des médias turcs produisent des reportages montrant des installations de troupes et d’équipements militaires ainsi que des photos de navires grecs déchargeant des véhicules blindés[vii]. Pour Erdogan ces interventions sont équivalentes à une menace pour la souveraineté du pays, à cette notion s’ajoute la multiplication d’accords de défense entre la Grèce et les États-Unis qui sont vu par les turcs comme une « occupation déguisée ». Lors du sommet européen de Prague le 6 octobre 2022 durant un discours du président Erdogan, le premier ministre grec a quitté le diner officiel menant le président turc à menacer le gouvernement grec en déclarant « Je peux venir soudainement une nuit ».

Le traité de Lausanne autorise cependant un « contingent normal » de troupes régulières sur ces îles, le ministère des affaires étrangères grec ajoute que la Turquie n’a pas participé à la signature du traité de Paris qui décrète que ces îles restent démilitarisées et que selon l’article 34 la de convention de Vienne sur la Loi des Traités, un traité ne crée pas d’obligation ou de droits pour un pays tiers. Cette justification est suivie par le fait que la création de l’OTAN et la démilitarisation est incompatible avec la participation d’alliances militaires, de plus le gouvernement grec affirme que les actions menées par la Turquie, invasion de Chypre en 1974, la violation de l’espace aérien grec et le maintien de troupes sur les côtes Anatoliennes représente une menace et le gouvernement grec est en droit d’exercer son droit de légitime défense.

Mavi Vatan, la politique expansionniste turc

La politique de Mavi Vatan turc est un point important des tensions entre les deux pays. Selon le ministère des affaires étrangères turc, la Grèce possède 43,5% du territoire maritime de la mer Égée contre 7,5% pour la Turquie, l’extension à 12 milles marins par la Grèce amènerait ces proportions à 71,5% pour la Grèce et 8,8% pour la Turquie avec 19,7% de hautes mers disponibles[viii]. Cet argument est appuyé par Ankara d’une question de proportionnalité par rapport à la surface continentale turque et revendiquent donc une zone économique exclusive qui correspondrait à une extension de la plaque tectonique anatolienne. Cet argument est cependant caduc, la plaque tectonique anatolienne ne se jette pas dans la mer Égée et ne prendrait donc pas en compte les îlots associés, de plus, la plaque tectonique sur laquelle la Grèce repose prendrait en compte une partie du territoire continental turc. La stratégie de la Patrie Bleue est provocatrice en englobe un large territoire pour prouver que la Turquie à le pouvoir d’accaparer ces territoires. Cette politique est comparée au Mare Nostrum de l’Italie fasciste et au Lebensraum de l’Allemagne nazie par des médias grecs et que l’objectif est d’absorber les mers, les terres et l’espace aérien grec.

Vers un apaisement des tensions entre les deux pays ?

Après leurs réélections en été 2023, le président Erdogan et le premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis se sont rencontrés en vue d’un apaisement des tensions au sujet de la mer Égée. Les discussions, poussées par Washington voulant voir l’OTAN plus unie sous contexte de guerre en Ukraine, tendent à trouver des solutions au conflit égéen ainsi que pour Chypre. Un apaisement des relations entre les deux pays apportera une stabilité dans la région et que les deux pays pourraient en profiter économiquement. Cependant les conflits au Proche-Orient peuvent amener à un changement de direction quant à ces apaisements, la position des deux pays étant opposées, d’autres alliances pourraient se créer au détriment d’une accalmie des tensions.

Grégory Gasnot,
étudiant de la 27ème promotion Stratégie et Intelligence Économique (SIE)


Sources:

Casus belli of Turkey in the case of extending Greece’s territorial to 12 nautical miles, Parlement Européen, 23/10/2018.
Disputed Islands in the Aegean Sea: The Ongoing Conflict between Greece and Turkey, The Foreign Policy Council, 16/01/2023.
Eastern Mediterranean Pipeline Project, NS Energy.
En Méditerranée, « Erdogan déploie une stratégie qui consiste à s’affranchir de tous les traités internationaux », Libération, 14/08/2020.
Erdoğan konuştu, ‘EGAYDAAK’ yeniden gündeme geldi, Cumhuriyet, 03/09/2022.
Footage shows Greek deployment of armored vehicles on Aegean islands, TRT World, 2022.
Guerre des drapeaux en mer Égée, Libération, 31/01/1996.
La Libye et la Turquie signent un accord de prospection d’hydrocarbures, Le Monde, 04/10/2022. 
La Turquie renvoie son navire controversé en Méditerranée orientale, Les Échos, 12/10/2020. 
Le gazoduc Eastmed, une option compliquée pour diminuer la dépendance européenne au gaz russe, Le Monde, 12/03/2022.
Méditerranée orientale : la Grèce ratifie un accord avec l’Égypte sur le partage des zones maritimes, Le Figaro, 27/08/2020.
« Nous pouvons arriver subitement la nuit » : la Grèce menacée par la Turquie, La Voix du Nord, 05/09/2022. 
Pourquoi la Turquie et la Grèce ont accepté de geler le conflit et de regarder vers l’avenir, Middle East Eye, 18/09/2023.
Pourquoi la Grèce et la Turquie s’affrontent en Méditerranée orientale, Le Monde, 5/10/2023.
Tout comprendre à la (nouvelle) montée des tensions entre la Turquie et la Grèce, L’Express, 04/09/2022.
Unpacking the Conflict in the Eastern Mediterranean.
Το ζήτημα του Αιγαίου και το τουρκικό στρατηγικό δόγμα της «Mavi Vatan», Πτήση, 16/10/2022.

Notes

[i] Guerre des drapeaux en mer Égée, Libération, 31/01/1996. 

[ii] Casus belli of Turkey in the case of extending Greece’s territorial to 12 nautical miles, Parlement Européen, 23/10/2018.

[iii] La Libye et la Turquie signent un accord de prospection d’hydrocarbures, Le Monde, 04/10/2022. 

[iv] La Turquie renvoie son navire controversé en Méditerranée orientale, Les Échos, 12/10/2020. 

[v] Méditerranée orientale : la Grèce ratifie un accord avec l’Égypte sur le partage des zones maritimes, Le Figaro, 27/08/2020. 

[vi] Ministère des affaires étrangères grec

[vii] Footage shows Greek deployment of armored vehicles on Aegean islands, TRT World, 2022.

[viii] Ministère des affaires étrangères truc