Après l’échec sahélien, repenser le logiciel de la politique française en Afrique Briefings de l’Ifri, 10 avril 2024
par l’IFRI – publié le 10 avril 2024
Les condamnations de la politique française ont pris de l’ampleur ces dernières années en Afrique francophone[1]. Les griefs évoqués sont multiples (interventions militaires, persistance du franc CFA, politique d’aide au développement, politique des visas restrictive, etc.) et la contestation raisonnée, qui portait sur les éléments objectifs de la politique française en Afrique qualifiée par certains de « néocoloniale », s’est transformée en diatribe anti-française sur les réseaux sociaux et dans les propos simplistes des néo-panafricanistes[2].
Dans ce contexte, les relations entre la France et trois pays sahéliens ont été remises en cause en l’espace de deux ans (2021-2023). Au Mali, Burkina Faso et Niger – trois pays qui faisaient partie de la coalition anti-djihadiste du G5-Sahel et accueillaient des forces françaises et européennes dans le cadre de la lutte anti-djihadiste –, des militaires ont pris le pouvoir et rompu le partenariat sécuritaire avec Paris (dénonciation des accords de défense les liant à Paris et demande de départ des troupes françaises stationnées sur le territoire). Ils ont non seulement mis fin à l’engagement militaire de la France au Sahel mais aussi à la présence militaire de l’Union européenne (UE)[3] et à celle des Nations unies à travers sa Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA)[4]. Il n’y a plus d’ambassadeur de France ni de troupes françaises dans ces trois pays et Paris a fermé son ambassade à Niamey le 2 janvier 2024. L’aide publique au développement (APD) française a été suspendue ainsi que les délivrances de visas. En rupture avec la France, les Européens puis les organisations régionales (CEDEAO et UEMOA) qui ont mis en place des sanctions, les trois pays sont en quête de nouvelles alliances et ont envoyé des messages en ce sens à plusieurs pays (Pays du Golfe, Turquie, Iran, Chine, Corée du Nord, etc.) avec plus ou moins de succès pour l’instant. Les juntes malienne et burkinabée se sont également tournées vers la Russie en tant que nouveau partenaire de sécurité, la junte nigérienne l’a fait au début de l’année 2024[5]. Cette rupture brutale et ce revirement d’alliance sont d’autant plus surprenants qu’ils sont le fait d’officiers qui coopéraient avec l’armée française dans le cadre de la lutte contre le djihadisme et avaient, pour certains, été en formation en France.
Malgré les déclarations de la diplomatie française tendant à minimiser ce revers, ce retournement brutal constitue bel et bien une crise. Mais de quelle crise s’agit-il exactement ? S’agit-il d’une crise franco-sahélienne, d’une crise franco-africaine ou d’une crise de la politique africaine de la France ?
La perception d’une crise franco-sahélienne peut se justifier par le fait que, sur 49 pays d’Afrique subsaharienne, seuls trois d’entre eux ont décidé de rompre avec Paris. Au-delà du populisme et du néo-souverainisme affichés par les juntes, censés leur apporter une base sociale, les raisons de ces ruptures avec Paris sont plus complexes. Après une opération Serval au Mali unanimement saluée et la mise en place de l’opération Barkhane en bonne intelligence avec les pays qui formaient, dans le même temps, le G5-Sahel, les divergences politiques et sécuritaires entre Paris et certaines capitales sahéliennes se sont progressivement développées[6]. Si, bien sûr, chaque relation bilatérale avait sa spécificité, notamment du fait que l’essentiel de l’action de l’armée française concernait le territoire malien, deux divergences se sont accentuées : une divergence sur les causes du conflit ; une autre sur la conduite de la guerre. Dans un premier temps, nous reviendrons sur la nature du conflit sahélien et sur ces divergences pour aborder ensuite les conséquences plus larges, pour Paris, de cet échec sahélien et des réflexions préalables à l’établissement d’une nouvelle politique.
[1]. A. Antil, T. Vircoulon et F. Giovalucchi, « Thématiques, acteurs et fonctions du discours anti-français en Afrique francophone », Études de l’Ifri, Ifri, juin 2023.
[2]. A. Mbembe, « Quand le panafricanisme devient sectarisme », Jeune Afrique, 23 janvier 2023.
[3]. Fin de la Mission d’entraînement de l’Union européenne (EUTM) au Mali (formation de l’armée), fin de la task force Takuba (forces spéciales européennes placées sous le commandement de la force française Barkhane et des Forces armées maliennes), fin de la Mission EUCAP Sahel Niger (formation des forces de sécurité intérieures).
[4]. Les dernières bases de la MINUSMA ont été remises aux autorités maliennes en décembre 2023.
[5]. Au moment où nous écrivons ces lignes, plusieurs rencontres ont déjà eu lieu entre autorités russes et nigériennes (tant à Niamey qu’à Moscou) pour dessiner les contours d’un nouveau partenariat. En ce qui concerne le déploiement de forces russes, il semble que la junte soit divisée sur ce point, voir : « La perspective d’un déploiement de militaires russes au Niger divise la junte », Jeune Afrique, 1er février 2024.
[6]. Sur ce sujet, on lira entre autres avec profit : Emmanuel R. Goffi, « Opération Barkhane : entre victoires tactiques et échec stratégique », Université du Québec à Montréal, juin 2017 ; Rapport d’information sur l’opération Barkhane, Commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 14 avril 2021 ; F. Galois, « Fin de l’opération Barkhane : réflexions sur sept ans et demi d’engagement militaire », Institut Rousseau, 16 mars 2022 ; J. Guiffard, « Barkhane : échec, réussite ou bilan nuancé », Institut Montaigne, 23 mars 2023.