L’impact négatif de la doctrine de l’OTAN sur les forces et le conflit ukrainiens
par Giuseppe Gagliano* – CF2R – publié en septembre 2024
L’Ukraine a commis une erreur fatale en se fiant complètement à l’OTAN, croyant que cette alliance militaire représentait une puissance invincible. Cette erreur a certes permis à ses dirigeants de s’enrichir et a favorisé une corruption généralisée à tous les niveaux du pays. Cependant, ce choix a eu des conséquences dévastatrices sur le plan collectif et national, entraînant une crise économique, sociale et démographique d’ampleur catastrophique.
Les destructions matérielles et les pertes humaines causées par le conflit sont évidentes, mais ce qui est moins visible, c’est l’impact négatif de la subordination militaire à une stratégie qui, non seulement était inadéquate pour l’Ukraine, mais dont les événements ont montré qu’elle était dangereusement erronée. L’OTAN a imposé à Kiev un modèle opérationnel et tactique basé sur sa propre doctrine militaire, c’est-à-dire construit sur des piliers conceptuels qui ne reflètent plus la réalité.
Le premier de ces piliers est la conviction que la supériorité technologique absolue garantit une domination incontestée sur le champ de bataille. Le deuxième pilier est que la capacité d’infliger des pertes décisives dans la phase initiale du conflit est un facteur de succès. Le troisième repose sur l’idée que la victoire peut être obtenue rapidement. Ces présupposés fonctionnent dans un conflit asymétrique, caractérisé par une disparité écrasante entre les forces en présence. Mais ils se sont révélés dépassés dans le cadre du conflit ukrainien.
La doctrine stratégique des États-Unis, qui repose sur ces trois piliers, a pour but d’empêcher l’émergence d’une puissance équivalente. Cependant, elle s’est souvent révélée erronée inopérante lors des opérations américaines. Le seul cas où l’on peut parler de succès complet est l’intervention en Serbie en 1999, qui a abouti à la séparation du Kosovo de la Serbie – et à la création d’un État subordonné – et a l’implantation de l’une des plus grandes bases de l’OTAN, Camp Steel, au cœur des Balkans.
Dans d’autres conflits, cependant, cette doctrine n’a pas produit les résultats escomptés. En Afghanistan, après vingt ans de guerre, on a assisté à un retrait désastreux de Washington. En Irak, la rapide défaite du régime de Saddam Hussein a livré le pays à l’influence de l’Iran, un ennemi acharné des États-Unis. En Libye, l’assassinat de Kadhafi a divisé le pays en deux, avec une partie contrôlée par l’Occident plongée dans le chaos et l’autre alignée sur la Russie.
En Ukraine, le conflit qui a débuté le 24 février 2022 est de nature symétrique, contrastant avec le modèle asymétrique sur lequel repose toute la doctrine et le concept d’opération de l’OTAN, jusqu’aux aspects logistiques et industriels. Bien que la Russie ait un avantage clair en termes de rapport de forces sur l’Ukraine, l’énorme soutien fourni par les 36 pays membres de l’OTAN a rééquilibré la situation.
L’objectif des États-Unis n’a jamais été de vaincre la Russie sur le terrain, mais plutôt de l’affaiblir politiquement et militairement. Cependant, lorsque l’armée ukrainienne s’est révélée incapable d’accomplir la tâche qui lui était assignée, l’OTAN a accru son implication jusqu’à prendre le contrôle stratégique et opérationnel de la guerre. L’un des principaux problèmes qui est alors apparu a été la difficulté d’imposer les normes de l’OTAN aux forces ukrainiennes, car elles sont difficilement compatibles avec le modèle opérationnel soviétique sur lequel reposait l’armée de Kiev. Alors que les équipements d’époque soviétique étaient détruits et remplacés par des matériels occidentaux, et que le commandement américain devenait de plus en plus omniprésent, cette contradiction est devenue flagrante. Le modèle de l’OTAN a une cohérence interne, une structure organisationnelle des unités et des équipements spécifiques, et un modèle opérationnel particulier. Appliquer ce modèle à un État non préparé au milieu d’une guerre de haute intensité s’est avéré presque impossible.
La livraison de matériels occidentaux a engendré des problèmes de formation du personnel, qui a été instruit de manière précipitée et inadéquate, ce qui a entrainé de graves difficultés logistiques comme pour l’entretien et la réparation des équipements, ce à quoi l’armée ukrainienne n’était pas préparée. De plus, la grande variété de systèmes d’armes fournis par les pays occidentaux a encore compliqué la situation. Bien que formellement standardisés selon les normes OTAN, ces systèmes avaient chacun de nombreuses spécificités, créant des problèmes de gestion. Par exemple, certaines pièces d’artillerie d’un certain calibre n’étaient pas capables d’utiliser toutes les munitions de ce même calibre, provoquant des difficultés d’approvisionnement. Cela a rendu la logistique encore plus complexe.
La planification opérationnelle et l’action tactique ont été également négativement influencées par l’adoption des modèles de l’OTAN, pour lesquels le personnel ukrainien n’était pas suffisamment préparé. La plupart des soldats ukrainiens ont reçu une formation sommaire en Europe, et si l’on considère que l’armée de Kiev compte aujourd’hui environ 600 000 à 700 000 hommes en première ligne, on comprend que seule une petite fraction a été formée selon les protocoles de l’OTAN, un chiffre totalement insuffisant. De plus, la formation dispensée était principalement axée sur l’utilisation de systèmes d’armes spécifiques, sans fournir la formation tactique et opérationnelle nécessaire à leur emploi au niveau des unités. Cela a provoqué un désalignement entre la planification des commandements de l’OTAN et les capacités réelles de l’armée ukrainienne.
Un exemple frappant de ce désalignement est l’échec de l’offensive ukrainienne dans le sud-est, où l’armée, équipée de véhicules Bradley et de chars Leopard, a été poussée à lancer une attaque alors qu’il était évident que les conditions pour réussir n’étaient pas réunies. Les forces russes avaient établi une ligne défensive redoutable, connue sous le nom de « ligne Surovikin », et l’armée ukrainienne ne disposait ni du soutien aérien ni de l’artillerie nécessaires pour conduire une telle offensive avec succès. Le résultat a été un échec total, avec des pertes importantes.
Un autre exemple récent de cette contradiction s’est produit dans la région de Koursk où les forces ukrainiennes ont pénétré en territoire russe en utilisant de petites unités de saboteurs : la valeur stratégique de l’opération s’est avérée insignifiante. Bien que l’attaque ait temporairement réussi, les dommages infligés aux forces russes ont été minimes, tandis que les pertes ukrainiennes ont été très élevées – environ 6 000 morts et blessés en quelques jours. L’attaque n’a pas détourné l’attention des forces russes du Donbass, qui reste le centre de gravité du conflit. Sur ce front, les défenses ukrainiennes ont été progressivement érodées et il ne reste maintenant que quelques bastions défensifs au-delà desquels il n’y a plus d’obstacles naturels ni de défenses fortifiées jusqu’au Dniepr. Le centre logistique stratégique de Pokrovsk se trouve maintenant à quelques kilomètres des unités russes et, plus au nord, la ligne fortifiée Sloviansk-Kramatorsk pourrait être la prochaine à tomber.
Le conflit dans le Donbass est décisif pour l’issue de la guerre et les forces russes, grâce à leur supériorité en artillerie et en aviation accélèrent leur progression. L’attaque ukrainienne à Koursk, loin du point décisif de la bataille, n’a fait qu’allonger la ligne de front vers le nord, sans apporter aucun avantage stratégique significatif. Lorsque l’on analyse cette situation, il est clair que la doctrine stratégique de l’OTAN a eu des effets négatifs pour l’Ukraine, tant sur le plan politique que militaire.
Une défaite de Kiev représenterait non seulement un échec politique pour l’Alliance atlantique, mais remettrait également en question son efficacité militaire. Si l’OTAN ne parvient pas à réfléchir sérieusement à ces erreurs, son pouvoir dissuasif pourrait subir un coup fatal, ouvrant la voie à une série de conflits ingérables à l’avenir.