Otages : trois petits tours et puis s’en vont…
par Jean Daspry* – TRIBUNE LIBRE N°186 / mai 2025 – CF2R
« Trop tard, le mot qui résume toutes les défaites » (général Mac Arthur). Le moins que l’on soit autorisé à dire est que le combat contre les preneurs d’otages – certains évoquent des otages d’État – est loin d’être gagné. La France, qui en est victime depuis plusieurs décennies, tarde à mettre au point une stratégie de long terme pour lutter contre ce phénomène sournois. Elle hésite à agir clairement et durement par crainte de représailles sur la vie des otages. Elle met également en avant les avantages de la discrétion dans le traitement de ces affaires délicates. Le résultat est devant nos yeux. Nos otages, qui n’en peuvent mais, croupissent dans les très accueillantes geôles algériennes, iraniennes et russes. Et, les États « voyous », qui pratiquent la diplomatie des prises d’otages, se frottent les mains face à l’impuissance de la « Grande Nation ». Ils disposent ainsi d’un puissant levier d’action pour neutraliser nos éventuelles réactions de contre-attaque sur d’autres terrains : diplomatiques, économiques, sécuritaires… Face à cette situation problématique à maints égards, notre pays adopte une réponse timide qui a, au moins, l’immense mérite d’exister.
Une situation encore problématique
Pour mieux appréhender la question, nous devons aller du général au particulier.
Au cours des dernières semaines, nous avons tenté de poser la problématique générale de la prise d’otages à travers les tribunes 165 (« De la diplomatie des otages à la diplomatie de la carte postale ! »), 172 (« Vers une criminalisation de la prise d’otages ») et 174 (« Otages : l’étrange défaite »). Notre démarche se fonde sur le triptyque suivant : connaître le passé pour comprendre le présent afin d’anticiper l’avenir. C’est pourquoi, nous nous sommes efforcés d’analyser la genèse du phénomène ; ses développements récents ; les réactions – plutôt la faiblesse, voire parfois l’absence de réactions – et la feuille de route (avec ses différents volets) que nous devrions adopter pour maitriser le phénomène. Or, nous n’en sommes pas encore là. Nos décideurs privilégient une approche marquée au sceau du misonéisme ambiant, cette hostilité à la nouveauté et au changement, avec une constance qui force le respect ! Ils en appellent, en particulier, le président algérien à faire preuve d’humanité à l’égard de Boualem Sansal, se refusant à mettre en avant son innocence des crimes dont on l’accuse. Pour ce qui est de la Russie, les inutiles et inefficaces saillies jupitériennes permanentes contre le maître du Kremlin n’arrangent rien à l’affaire. Avec l’Iran, nous prêchons dans le désert. Notons que Donald Trump utilise sa position de force pour contraindre les autorités de Téhéran à négocier sérieusement sur leur programme nucléaire militaire. C’est donc que le rapport de force paie avec ces fauteurs de troubles à condition d’avoir des objectifs clairs et des moyens crédibles pour y parvenir. Ce qui n’est pas le cas.
Depuis ces présentations, la situation de nos otages est allée en se dégradant en dépit des appels des uns et des autres en vue de leur libération. Est-ce vraiment une surprise ? Pas vraiment. Pris dans un tourbillon médiatique sans fin, le plus haut sommet de l’État refuse de se livrer à un incontournable exercice de questionnement dans cette période d’incertitude. Il privilégie la fameuse politique/diplomatie du chien crevé au fil de l’eau. Comme le rappelle Charles Péguy : « L’idéaliste a les mains propres, mais n’a pas de mains ». Qui plus est, le président de la République et son ministre de l’Europe et des Affaires étrangères peinent à comprendre ce qui se passe sous leurs yeux. Alors qu’ils n’ont pas de mots assez forts pour réclamer des sanctions exemplaires contre Vladimir Poutine dans le dossier ukrainien et contre Benjamin Netanyahou dans la crise à Gaza, ils restent particulièrement timorés vis-à-vis des États pratiquant le terrorisme d’État à travers la prise d’otages innocents. À leurs yeux, gouverner, c’est surseoir à prendre les décisions courageuses. Leur devoir serait de suivre nos intérêts bien compris. Comme le souligne l’ancien commissaire européen, Thierry Breton : « Quand la France n’a plus de politique, la France va à la dérive ». Il est grand temps de retrouver nos repères perdus, de réveiller notre esprit critique. C’est à ce prix, et seulement à ce prix, que nous pourrons trouver une réponse à la question de la libération de tous nos otages détenus arbitrairement dans le monde. Le veut-on ? Le peut-on ? Il n’y a pas de pire glaive qu’un sabre de bois.
Au cours des derniers jours, l’exécutif semble vouloir emprunter un autre chemin, toutes choses égales par ailleurs.
Une réponse encore timide
Si de récentes mesures prises par l’exécutif à l’encontre de l’Algérie vont dans le bon sens, elles doivent s’inscrire dans un continuum à définir au préalable.
Deux signaux positifs méritent d’être relevés. Le 16 mai 2025, la France éternelle se résout à utiliser la voie coercitive devant une juridiction internationale. En effet, elle dépose plainte contre l’Iran devant la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye pour « violation de son obligation de donner droit à la protection consulaire » concernant ses deux ressortissants français encore détenus dans ce pays. Que ne l’avons-nous pas fait plus tôt ? Cette démarche possède l’immense mérite de mettre la balle dans le camp iranien en contraignant le régime des mollahs à s’expliquer devant la communauté des nations. Même si l’affaire ne sera pas traitée avec célérité par cette Cour, elle stigmatisera les agissements contraires au droit international de Téhéran. Depuis le 17 mai 2025, notre pays exige désormais un visa pour les détenteurs d’un passeport diplomatique algérien. Que ne l’avons-nous pas fait plus tôt ? Nous nous nous situons encore au bas de l’échelle de la diplomatie de la réciprocité. Cela s’appelle du donnant-donnant. Mais, cela constitue un bon début tout en gardant à l’esprit la prédiction de notre ex-ambassadeur à Alger, Xavier Driencourt. Le 17 mai 2025, ce dernier estime qu’Alger prendra prochainement un autre otage. Parfois, la fiction annonce la réalité ! Mais, mieux vaut tard que jamais. Avec une bonne dose d’optimisme, croyons à la vertu des crises. Nous y décelons un appel au doute et à la réflexion critique.
La diplomatie du président de la République à l’encontre de l’Algérie, de l’Iran et de la Russie, au regard de la prises d’otages français, gagnerait à être moins tapageuse. À force d’oublier l’essentiel pour l’urgence, on oublie l’urgence de l’essentiel. Emmanuel Macron est « ce voyageur sans boussole, qui saute d’une conviction à l’autre comme une grenouille sur des nénuphars » comme le rappelle François Hollande. La recherche du coup médiatique est souvent la règle alors qu’elle devrait être l’exception. Quand se décidera-t-il à remplacer la force des mots par les maux de la force pour ne plus acquitter le prix de son inconstance ? À titre d’exemple, pour le Kremlin, Emmanuel Macron parle trop, est trop déclaratif et pas assez concret. Or, l’on sait bien que dans l’action internationale les bonnes intentions ne remplacent pas les leviers. Il serait grand temps d’apprendre de nos erreurs sur le traitement de la problématique des prises d’otages. Malheureusement, l’heure est moins que jamais à l’autocritique. Le statu quo n’est pas une option tenable. Reconnaissons tout de même que les quelques mesures prises à l’encontre de l’Algérie et de l’Iran constituent peut-être un premier pas dans la bonne direction ! Si tel était le cas, elles signifieraient la victoire de la méthode et de la clarté, un grand réveil. Mais également l’écriture d’un nouveau livre intitulé crises et châtiments. Pour ce faire, il faut impérativement anticiper et se préparer à agir dans les champs du possible. Mais, aussi, il faut travailler à réduire l’écart entre annonces et réalités. Ce n’est qu’à ces conditions que nous serons bien armés pour aborder et traiter la question des prises d’otages, fidèles à notre tradition de passeur d’idées.
Le confort du renoncement ?
« Il n’y a que le premier pas qui coûte ». Ce dicton tiré de la sagesse populaire éclaire parfaitement la problématique de la prise d’otages au XXIe siècle. Comme le relève Guiliano da Empoli : « Le combat contre la barbarie se renouvelle avec chaque génération, mais il faut adapter les moyens à l’époque ». Et, c’est bien de cela dont il s’agit dans la lutte contre la prise d’otages. Voulons-nous prendre le sujet à-bras-le corps ou bien voulons-nous être otage des preneurs d’otages, y compris de certains États peu scrupuleux ? L’ambiguïté n’est plus de mise. La clarté et la cohérence de notre réaction s’imposent pour être crédible. N’est-il pas grand temps de sortir de cet angélisme, de cet aveuglement qui confine parfois à la bienveillance coupable ? Gouverner, c’est faire des choix courageux, y compris et surtout les plus délicats. Le moment est venu de passer le cap difficile avec détermination. Faute de quoi les quelques mesures récentes prises à l’encontre de l’Algérie et de l’Iran se résumeront au refrain de la chanson : « Ainsi font font font les petites marionnettes », à savoir : « Ainsi font font font font, trois petits tours et puis s’en vont » !