A PROPOS DU MGCS (EPISODE…..)

A PROPOS DU MGCS (EPISODE…..)

par Blablachars – publié le 6 mai 2024

https://blablachars.blogspot.com/2024/05/a-propos-du-mgcs-episode.html


Vendredi dernier, les ministres concernés ont signé l’accord d’engagement de la phase 1A du programme MGCS. Cette « véritable étape » selon Boris Pistorius dans le développement de cet engin qui ne sera pas « le char du futur, mais le futur du char » selon Sébastien Lecornu a entrainé la publication de nombreux commentaires et vues d’artiste,  qui ont permis à l’imagination de chacun de se faire une idée de la « gueule » ce futur système de systèmes. L’accord de vendredi a également livré de nombreuses informations sur ce programme. Fidèle à ses habitudes, c’est après quelques jours de réflexion que Blablachars vous livre aujourd’hui ses commentaires sur le sujet, ajoutant ce nouveau post aux nombreuses publications du blog complétement blindé consacrées à cet engin.

Cet accord succède à une longue série de rencontres, de réunions et d’étapes décisives qui ont émaillé la vie de ce programme depuis son lancement en 2017. A cette occasion, la rhétorique employée de part et d’autre du Rhin a été quelque peu différente. Pour Sébastien Lecornu, c’est donc « le futur du char » que les deux pays veulent construire ensemble, précisant que « les Américains n’ont toujours pas commencé à réfléchir » au successeur de leur char Abrams, oubliant au passage le développement de l’Abrams X ou du M1E3, dont la mise en service précédera certainement celle du futur engin franco-allemand. Autre victime de la parole ministérielle, le T-14 avec lequel les Russes « ont essuyé des échecs » qui, en dépit de ses réelles difficultés représente une synthèse intéressante des avancées en matière de char, pour qui veut bien le considérer de façon objective, c’est à dire indépendamment de l’action des forces armées russes en Ukraine. Du côté allemand, le ton employé par Boris Pistorius est quelque peu différent, rappelant que le document signé devra passer par le comité des Finances du Bundestag et que « ce projet dépend du soutien des parlementaires« , comme tous les projets d’un montant supérieur à 25 millions, avant de rassurer son auditoire en précisant qu’il n’avait « aucun doute » sur le fait qu’il sera approuvé. Pour le ministre allemand, « il reste un long chemin à parcourir avant la mise en oeuvre, mais une étape importante a maintenant été franchie » même s’il reconnait qu’elle a été « précédée de plusieurs mois de négociations. » La différence de ton entre les deux ministres résume à elle seule la différence d’appréciation entre les deux partenaires et le futur du programme. Du côté français, on insiste sur le caractère disruptif et novateur du futur engin qui devra renvoyer dans les méandres des bureaux d’étude ses concurrents potentiels. Du côté allemand, le côté technologique est occulté au profit de l’aspect politique du programme, soumis à une indispensable approbation parlementaire. 

La signature de l’accord franco-allemand le 26 avril dernier

A côté de cette différence de commentaires, l’accord de vendredi nous apprend également que le ménage franco-allemand commencé à deux, puis élargi à trois est désormais un quatuor avec l’arrivée annoncée de Thales. La participation du géant français de la défense au programme MGCS avait déjà été évoquée il y a un an, à l’occasion des négociations sur la mise en place de la MILSA (MGCS Industrial Lead System Architecture). Pour cette étape la firme française présentait une double candidature, l’une sous son propre nom et l’autre au sein de la société TNS Mars créée en 2007 pour le programme Scorpion et au sein de laquelle on retrouvait Thales, Nexter et Safran. L’annonce de la prochaine étape du programme par le DGA (Délégué Général pour l’Armement) qui devrait intervenir dans les prochains mois nous apprend la création d’une structure chargée de conduire les activités industrielles. Si on connait la constitution de cette future entité baptisée « Project Company » qui doit réunir KNDS France et Allemagne, Rheinmetall et Thales SIX GTS, la création de cette société laisse en suspens de nombreuses interrogations relatives à la part des industriels concernés dans la réalisation des huit piliers et de l’élargissement éventuel du programme à un pays supplémentaire. Ce dernier point a d’ailleurs été évoqué par Boris Pistorius qui a indiqué que l’ouverture de MGCS à d’autres partenaires européens pourrait intervenir « sans doute plus tôt que prévu« , et « [qu’] il faut aller chercher d’autres partenaires« . On peut faire confiance à Berlin dont le leadership sur le programme a été officiellement reconnu, pour admettre dans ce projet des partenaires ad hoc, de préférence utilisateurs actuels ou futurs du Leopard et clients potentiels du futur engin, fidèle à la logique commerciale dans laquelle le MGCS doit s’inscrire. En dépit de ces interrogations, l’arrivée d’un quatrième partenaire français reste une bonne nouvelle et donne à ce projet un aspect plus équilibré, au moins sur le papier.  

Les huit piliers du programme MGCS

La communication qui a suivi la signature du MoU (Memorandum of Understanding) vendredi a permis de découvrir les huit piliers de ce programme et leur répartition entre les deux pays. Outre, le sursis accordé au règlement de l’épineuse question de de la fonction feu, la répartition présentée permet de constater que ce partage, mathématiquement équilibré recèle une importante dissymétrie dans la répartition. On s’aperçoit que les Allemands se sont appropriés deux des trois fonctions au coeur de la conception d’un char, à a savoir la mobilité et la protection, la troisième étant la fonction feu. Tous les chars sont le résultat d’un arbitrage entre ces trois fonctions effectué par les bureaux d’étude en fonction des demandes des militaires. Cette « attribution » à l’Allemagne de deux des trois fonctions essentielles du futur char n’augure rien de bon pour les arbitrages futurs, dans lesquels la partie allemande aura la primauté et pourrait ainsi imposer sa vision de la fonction feu.

RH-130 / 52 de Rheinmetall

Concernant cette dernière, il serait ici trop long de se lancer dans un comparatif entre les deux solutions proposées, Il suffit juste de se replonger dans l’histoire, pour (re)découvrir que le dernier projet de char franco-allemand avait échoué sur la question de la fonction feu, et plus précisément celle du canon. Dans ce projet initié à partir en 1956, les deux pays avaient chacun une solution, à savoir le canon de 105mm Cn-105-F1 pour la France et le canon L7 britannique pour l’Allemagne. A l’automne 1963, des évaluations placées sous la présidence  d’un colonel de l’armée blindée italienne se déroulent pour la partie tactique sur le camp de Mailly et à Bourges et Satory pour le volet technique. Le résultat de ces évaluations est résumé par le directeur de la Section technique de l’armée : « Si la supériorité du char AMX 30 a été nette et incontestable sur le plan de l’armement, il convient d’être plus prudent sur le plan du châssis, le char allemand ayant fait preuve de qualités de mobilité au moins égales à celles de son concurrent français ». En dépit de ce résultat, les Allemands accordent d’importants financements au développement du Standardpanzer (futur Leopard 1) armé du canon L7 et enterrent de facto le projet franco-allemand ! Cet éclairage « historique » doit amener à envisager avec beaucoup de prudence et de circonspection les futurs essais comparatifs annoncés pour l’armement principal du MGCS. 

Le canon Ascalon de KNDS France

Dans ce domaine, les premiers « coups » portés au canon français l’ont été par l’Office fédéral des équipements, des technologies de l’information et du soutien en service de la Bundeswehr [BAAINBw]  pour qui « le canon de 120 millimètres qui a la cote aujourd’hui n’a plus aucun potentiel de croissance« . Cet argument est exactement le même que celui présenté par Rheinmetall lors de la présentation du canon de 130mm en 2016 et repris lors de la dernière édition du salon Eurosatory, à l’occasion de la présentation du KF-51. L’organisme allemand souligne également la nécessité de  » trouver une arme puissante pour donner à des projectiles plus lourds une vitesse initiale plus élevée » reprenant sans les mentionner les arguments de la firme de Düsseldorf selon laquelle  une augmentation de calibre de 8% représente une augmentation de 50% des performances. La future compétition entre le Rh-130 allemand et l’Ascalon français pourrait être en outre être impactée par la très probable arrivée d’une ultime version du Leopard 2, évidemment équipée du canon de 130mm. Le développement de cette dernière déclinaison du best-seller allemand permettrait de combler le vide séparant le Leopard 2A8 de la mise en service du MGCS, dont les premiers exemplaires de série devraient apparaitre en 2045, soit dans une vingtaine d’années. Le développement de ce « char intermédiaire » permettrait également de démontrer les possibilités d’intégration du canon de 130mm sur les engins existants, pourrait entrainer une « généralisation » de ce calibre dans les armées européennes. Précédée par une commande de la Bundeswehr, elle permettrait d’inscrire cet engin et son canon dans le paysage blindé européen et faciliter la commercialisation du MGCS. Les seules interrogations subsistant autour de ce futur char résident dans la répartition des tâches entre les deux industriels allemands. En effet, s’il est quasiment certain que ce futur Leopard sera équipé d’une tourelle Rheinmetall, l’origine de son châssis reste plus incertaine. Pour celui-ci deux équipements sont envisageables : celui du Leopard 2 (propriété de KNDS Allemagne) et celui du Buffalo ARV (Armoured Recovery Vehicle) sur lequel Rheinmetall possède les droits de propriété intellectuelle et qui devrait servir de base au KF-51 EVOEn dépit du recul de l’échéance, le choix de l’armement principal du MGCS risque bien d’être un sujet de discorde entre les deux partenaires, à moins que l’un des deux ne capitule pour sauver le projet ! 

KF-51 EVO

Toutes ces informations relatives à « ce futur du char » ont eu le mérite de remettre (brièvement) cet engin et sono évolution sur le devant de la scène. Quelque soit l’avenir de ce programme, il est désormais urgent pour la France de réintroduire le char dans le débat et la pensée militaire. Au moment où la France s’engage de plus plus fortement dans le programme MGCS, il serait hautement souhaitable de recréer les conditions favorables à l’émergence d’une véritable réflexion « pluridisciplinaire » sur la chose blindée, qui puisse permettre à notre pays de se doter d’un « char employable » selon les termes de Marc Chassillan. L’urgence à faire émerger une telle structure est à la hauteur des défis qui se posent à notre armée et des investissement que la France se prépare à consentir pour le développement du MGCS. Celui-ci impose une véritable modernisation du Leclerc, rendue indispensable par le calendrier du programme franco-allemand et le retard que le char français est en train de prendre, malgré ses qualités fondamentales et ses performances initiales. La mise sur pied d’une telle structure répondrait également aux voeux du CEMAT pour qui ce « processus à l’œuvre derrière tout projet capacitaire : celui d’une maturation […] où ce temps consacré à préparer le projet est un gage de stabilité et de réussite, […] à l’abri du tempo et du fracas médiatique » sans oublier les rigidités culturelles qui ont empêché l’émergence de toute réflexion depuis plusieurs décennies.