Eurosatory 2024 : le DT46, ou comment l’armée de Terre accélère sur le déploiement de l’innovation
Un nouveau « chasseur » pour les artilleurs
L’oeil affûté l’aura sans doute remarqué : un drone DT46 de Delair trônait cette semaine sur le stand du ministère des Armées au salon Eurosatory. Cette présence n’est en rien due au hasard, car cette solution dévoilée il y a deux ans est sur le point de rejoindre l’éventail de systèmes en service dans les régiments de l’armée de Terre. Deux systèmes à deux vecteurs, deux stations sol et une antenne ont été livrés à la Section technique de l’armée de Terre (STAT) afin qu’elle puisse vérifier la pertinence, les concepts d’emploi et autres « grandes idées ». « Nous sommes fiers de proposer un drone développé sur fonds propres pour les évaluations de l’armée de Terre et pour d’autres clients étrangers. Quelque part, c’est la meilleure des récompenses », commente le droniste toulousain.
La phase d’évaluation tactique (EVTA) est désormais achevée, remise d’un rapport concluant à la clef. À partir de la rentrée, la STAT orientera son effort vers la vérification des performances. Il s’agira alors de pousser le drone dans ses retranchements tout en identifiant des problématiques plus terre à terre mais essentielles de maintenance et de logistique. L’enjeu sera de livrer les conclusions finales dès cet automne, jalon préliminaire à d’éventuelles livraisons au profit des forces à compter de 2025.
La question des acquisitions n’est pas du ressort de la STAT, mais « le but est bien de transformer l’essai et de passer à l’échelle », explique le lieutenant-colonel Renault, chef de groupe drones au sein de la STAT. De fait, le DT46 se révèle être « un drone très prometteur », complète l’un de ses collègues. Repéré peu de temps après son apparition, le DT46 a pour particularité de pouvoir décoller et atterrir soit verticalement, soit de manière classique au moyen d’une rampe. Il est en effet doté de deux bras à deux rotors verticaux que l’opérateur peut monter ou démonter à loisir et qui permettront ce passage au mode « VTOL ». Son allonge atteint les 80 à 100 km, son autonomie les 5 à 6 heures en version voilure fixe tout en étant ramenée à environ 3h30 en cas de décollage et d’atterrissage vertical. Il embarque une boule optronique produite par un fournisseur français déjà mobilisé pour des démonstrations fructueuses conduites en Ukraine. Là-bas et ailleurs, « les retours opérationnels sont positifs », pointe Delair.
Autre point fort, le DT46 est certifié STANAG 4609, ce standard otanien qui combine le flux vidéo et les métadonnées issues des paramètres des capteurs embarqués et des résultats d’algorithmes. Un standard qui permettra de connecter le drone à une bulle aéroterrestre de plus en plus chargée en garantissant sa compatibilité avec le système de conduite des feux ATLAS et le système d’information du combat SCORPION (SICS). Il bénéficie, enfin, de la nouvelle station sol DRAKO (Drone Remote Access Command & Control for Operations) dévoilée à l’occasion d’Eurosatory et fournie à la STAT. Agnostique, son logiciel permet d’opérer en parallèle une dizaine de drones et de munitions téléopérées de différents types et constructeurs. Pratique pour anticiper l’intégration d’autres références dans une trame décidément loin d’être figée.
Compléter sans s’interdire d’accélérer
Situé un cran au dessus du SMDR dans le portfolio de l’armée de Terre, le DT46 armera en priorité les batteries d’acquisition et de surveillance (BAS) des régiments d’artillerie. Complément plutôt que remplaçant, il leur offrira une meilleure allonge, une meilleure autonomie et des capteurs plus récents. Surtout, sa capacité VTOL apporte de la souplesse d’emploi au chef tactique, qui peut maintenant s’affranchir du terrain pour aller chasser ses cibles plus longtemps et plus loin dans la profondeur. Chaque BAS serait à terme dotée de SMDR et de DT46. À l’artilleur de choisir en fonction de la nature du terrain et de sa mission.
L’acquisition envisagée passera par le vecteur contractuel récemment mis en place par la Direction de la maintenance aéronautique (DMAé). Novateur, ce contrat-cadre notifié à Thales, Delair, EOS Technologie et Survey Copter permet aux forces et à d’autres acteurs étatiques d’acquérir des drones de contact certifiés et disponibles sur étagère. Il a déjà servi pour acheter les deux systèmes confiés à la STAT.
Souverain et « déjà bien déverminé », le DT46 est surtout disponible immédiatement. Rapide sans pour autant relever de l’urgence opération, la démarche engagée par l’armée de Terre préfigure un changement de posture défendu ce mercredi au salon Eurosatory par son chef d’état-major, le général Pierre Schill. Accéléré par le conflit russo-ukrainien, le cycle d’évolution du drone s’est contracté au point de se compter en semaines ou en mois et non plus en années. Face à « un monde du bouillonnement de l’innovation », il s’agit de trouver un nouvel équilibre entre les programmes structurants et de long terme et l’innovation rapide et agile. « Demain, dans deux ans ou trois ans, comment capter les équipements de demain ? », questionnait le CEMAT. L’une des réponses tient sans doute dans l’exemple du DT46, symbolique de cette logique de déploiement en lots successifs mentionnée par le général Schill.
De fait, les rythmes de développement et les délais de livraison ne plus en adéquation avec un monde toujours plus instable et le spectre d’un engagement majeur. Il faut donc « se réaligner » pour disposer du bon équipement au bon moment. Le secteur des drones se renouvelant tous les deux ans, sa vitesse n’est plus en adéquation avec des programmes qui duraient jusqu’alors de cinq à six ans. Entre l’expression de besoin et la prise en main, le système est déjà obsolète. « Nous allons donc très vite. Nous sommes totalement dans le changement de phase que souhaite l’armée de Terre avec sa volonté d’innovation », note le lieutenant-colonel Renault.
Et la réflexion ne s’arrête pas au seul volet matériel. Pour gagner davantage en réactivité et en souplesse et garantir la continuité de la réflexion du besoin jusqu’à la transmission dans les forces, la STAT a choisi d’intégrer des artilleurs dans l’équipe de marque chargée de l’évaluation du DT46. Bénéficier dès maintenant de la formation industrielle et de l’expérience d’autopilotage, c’est en effet constituer ce socle de connaissances avec lequel ils repartiront en régiment pour être plus rapidement opérationnels.
« Le CEMAT ne veut pas que l’on s’interdise des choses », résume le lieutenant-colonel Renault. Message reçu cinq sur cinq. « On se rend compte qu’il nous faut autre chose. Cet autre chose, c’est le DT46. Demain, ce sera peut-être encore un autre système ». Une fois l’essai transformé, la STAT retournera à son travail de veille technologique, un avant-goût au lancement potentiel d’un nouveau cycle de captation pour des besoins encore non identifiés. Avec, qui sait, un nouvel ajout dans une trame appelée à se densifier avec l’arrivée du système de drone tactique léger (SDTL), autre effort pour lequel le document unique de besoin est maintenant « en courte finale ».