Face à l’instabilité géopolitique, quelles évolutions des politiques intérieures de la Finlande et de l’Estonie ?

Face à l’instabilité géopolitique, quelles évolutions des politiques intérieures de la Finlande et de l’Estonie ?

Par Margherita ZAIA  – Diploweb – publié le 9 février 2025 

https://www.diploweb.com/Face-a-l-instabilite-geopolitique-quelles-evolutions-des-politiques-interieures-de-la-Finlande-et.html


Margherita Zaia est actuellement étudiante en deuxième année de licence à l’Inalco (Paris) où elle se spécialise en finnois, en russe et en relations internationales. D’origine italienne, elle a effectué une année d’échange en France avec l’association AFS avant de passer le baccalauréat général pour poursuivre ses études dans ce pays. Maîtrisant plusieurs langues, elle souhaite mettre ses compétences au service de la diplomatie. En juin 2024, elle a publié « États baltes : les infrastructures de transport et d’énergie, des gages de souveraineté trop négligés » pour la revue Regard sur l’Est.

Dans le contexte de la guerre russe en Ukraine, il y a beaucoup à apprendre des questionnements de la Finlande et de l’Estonie quant aux arbitrages entre État providence et effort de défense. L’auteure en fait une présentation contextualisée et documentée qui donne à réfléchir.

« LE MONDE est en feu, nous devons rester unis », a déclaré Kaja Kallas, la « Dame de fer Balte » le 12 novembre 2024 devant le Parlement européen. Nouvelle cheffe de la diplomatie européenne, l’ancienne première ministre estonienne a toujours soutenu l’idée d’une défense européenne qui semble encore plus nécessaire dans l’environnement instable contemporain.

La majorité des membres de l’UE suit la même approche : augmenter les dépenses militaires au détriment des investissements sociaux afin d’être prêt si la nécessité de combattre se manifestait. La Finlande et l’Estonie suivent le mouvement car malgré des principes sociaux et démocratiques très forts, ces États craignent l’instabilité actuelle.

Face à l'instabilité géopolitique, quelles évolutions des politiques intérieures de la Finlande et de l'Estonie ?
Finlande et Estonie, deux lieux emblématiques
A gauche : Finlande : Eduskunta, le parlement finlandais à Helsinki, 2019. A droite : Estonie : Le centre historique de Tallinn, la capitale, 2018. Photos libres de droits.

La Finlande et l’Estonie, deux nations de la Baltique au passé marqué par l’occupation russe et la lutte pour leur souveraineté, ont longtemps été des exemples de stabilité et de développement social en Europe et dans le monde. Avec des États providence solides et un modèle démocratique axé sur l’éducation, elles ont réussi à bâtir des sociétés inclusives et prospères. Cependant, face à l’instabilité géopolitique croissante, notamment en raison de la menace russe, ces deux pays réorientent leurs priorités. De plus en plus d’investissements sont alloués à la défense au détriment du secteur public, redéfinissant ainsi le rôle de l’État providence. Cette évolution soulève des questions sur l’avenir de leurs modèles sociaux et sur la manière dont ces pays peuvent concilier sécurité et bien-être social dans un contexte international incertain.

1. Structuration des États – nations

A. Les citoyens et l’État providence

A la fin du XIX siècle, les pays industrialisés réalisent la nécessité d’intervenir dans les affaires sociales et commencent à mettre en place un système d’assurance publique pour les travailleurs. En Suède, des aides sociales commencent à apparaître dès 1891. Dans la Finlande voisine encore fortement rurale, l’intervention de l’État n’est pas encore perçue comme essentielle.

En effet, la Finlande et l’Estonie ont développé leurs systèmes d’État providence plus tardivement que leurs voisins nordiques. Malgré ce retard apparent, la Finlande et l’Estonie ont pu, à partir des années 1950 pour la première et des années 1990 pour la deuxième, bâtir des États providence performants et compétitifs en peu moins de 30 ans.

L’organisation de leurs deux systèmes est comparable car elle se base sur le même modèle, le modèle national universaliste qui assure une protection sociale généralisée à l’ensemble de la population. Il est adopté par la plupart des pays nordiques et il est défini d’”englobant” car il maintient un large éventail d’aides sociales.

La structuration de l’État providence est centrale dans la définition de l’identité de l’Estonie et de la Finlande car les institutions étatiques sont essentiellement le résultat d’un fort engagement citoyen. Ces deux pays ont connu une longue occupation étrangère : la Finlande était une province suédoise puis russe jusqu’en 1917. L’Estonie fut une République soviétique de la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’en 1990-1991. Cela a impulsé une forte volonté de structurer des nations dont le principe de fonctionnement est basé sur une forte volonté d’émancipation ainsi qu’une volonté d’expier les erreurs du passé.

Le contexte historique de la mise en place des deux systèmes providentiels leur a permis aussi de développer une forte synergie entre le secteur public et le secteur privé. Grâce à des politiques bien ciblées, le développement du secteur privé, en particulier industriel, n’est pas synonyme d’une réduction des aides sociales. Bien que le passage du joug communiste au statut d’État libre et indépendant fut abrupt en Estonie, l’État a su rapidement organiser de nombreux partenariats avec les nouvelles entreprises privées.

B. Éducation et démocratie au cœur du projet politique, l’exemple nordique

Récemment, ces deux pays de la Baltique ont souhaité développer une collaboration renforcée entre le privé et le public en matière d’éducation. Conscients de la difficulté de gérer tout système éducatif et de l’extrême importance de celui-ci, ils ont essayé de changer les dynamiques qui le régissent pour en assurer le développement et la pérennité. La mise en place de ce modèle éducatif nordique, tout particulièrement en Finlande, a longtemps été présenté par la presse du monde entier comme l’atout majeur de l’Estonie et de la Finlande pour d’autres secteurs d’activité et projets étatiques. La longue histoire du “miracle éducatif” découle d’une longue histoire d’investissements et de planification dans ce secteur. Finlande et Estonie figurent parmi les pays européens qui consacrent la part la plus importante de leur PIB à l’éducation : 6,5% pour la Finlande et 5,3% pour l’Estonie (Chiffres de 2021). L’éducation est depuis des nombreuses années une priorité pour ces deux pays qui voient en elle une ressource stratégique et une clef de leur attractivité. La Finlande accueille depuis 20 ans des “touristes éducatifs” : enseignants et chercheurs intéressés par la méthode finlandaise vont visiter des écoles et des universités où leur sont proposées des formations pour permettre l’exportation du “miracle” dans leur pays d’origine. En Estonie, les facilités réglementaires permettent d’offrir la résidence numérique à de nombreuses start-up et sociétés industrielles qui viennent développer leurs entreprises dans la “Silicon Valley” européenne.

En outre, l’éducation reste cruciale dans la construction d’une démocratie forte. Dès l’obtention de leur complète indépendance, l’Estonie et la Finlande ont placé les valeurs démocratiques au cœur de leurs projets politiques. L’ éducation universelle est une garantie démocratique car elle assure au système un fonctionnement égalitaire qui offre, en principe, les mêmes opportunités à toute la population. Cela nécessite bien entendu des institutions solides, des fonctionnaires formés et des citoyens engagés. La mise en place de structures démocratiques fortes en Finlande et en Estonie est le résultat de politiques volontaristes et du souhait d’une classe gouvernante d’exorciser les difficultés auxquelles la zone de la Baltique a été confrontée tout au long de son histoire. Ces deux pays ont pris exemple pour cela sur les succès des États providence voisins par contraste avec la faillite économique et sociale de l’URSS, ce qui leur a permis de bâtir des États plus éclairés.

C. Interdépendance et instances internationales, deux approches différentes

Pendant la Guerre froide (1947-1991) et bien qu’indépendante, la Finlande fût longtemps sous tutelle de l’Union soviétique voisine. Elle cherche donc à renforcer son indépendance et à s’affirmer sur la scène internationale en tant qu’acteur à part entière. La Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe de 1973 qui s’est tenue à Helsinki sous la présidence de M. Urho Kekkonen reste un exemple emblématique. Elle visait à discuter des droits de l’homme et de la sécurité en Europe mais, en même temps, a permis l’affirmation de la position de la Finlande en tant que régulateur des relations entre l’Est et l’Ouest.

Cependant, cette conférence aboutit à une reconnaissance officielle des frontières de l’URSS : l’espoir d’une Estonie indépendante est ainsi abandonné en 1975 car sans reconnaissance par la « communauté internationale », pas de salut possible. L’histoire particulière de ce pays est à la base de son approche interventionniste en matière de défense. Privée de sa souveraineté à cause de sa neutralité en 1940, l’Estonie s’est engagée dès 1990 auprès de la plupart des grandes organisations internationales telles que l’OTAN et l’UE. Pour elle, la participation à une communauté plus large défendant des valeurs démocratiques et pouvant assurer une sécurité économique ainsi qu’un soutien militaire fort était cruciale. Afin de ne plus être confrontée à la même instabilité politique et économique que celle qu’elle a connu au sein de l’URSS, l’Estonie cherchait des garanties réelles de la part d’États puissants. L’Estonie a pu intégrer l’OTAN puis l’Union européenne, pour en devenir un membre actif. Ce parti pris d’engagement fort en politique étrangère est une constante. L’Estonie joue aujoud’hui un rôle majeur dans les pourparlers autour de la question ukrainienne et le renforcement de la coopération européenne dans les domaines militaires.

La Finlande quant à elle, a adopté une politique de neutralité et une approche des questions de défense plus prudente que l’Estonie. Sa neutralité est devenue au fil du temps un non-alignement, puis une collaboration ponctuelle avec les instances internationales. La neutralité finlandaise a été pendant longtemps une part essentielle de l’identité finlandaise bien qu’elle soit un héritage de la Guerre froide. Pendant cette période, tout autour de la mer Baltique, se construisit un “équilibre nordique” où la Suède et la Finlande demeuraient neutres, à cheval entre les deux blocs (ou à cheval entre l’Est et l’Ouest). Le moindre penchant, croyait-on, de l’un de ces deux pays pour un côté plutôt qu’un autre aurait pu briser cette stabilité fragile. C’est la raison pour laquelle leurs récentes adhésions à l’OTAN, dans la foulée de la relance la guerre russe en Ukraine, est d’une importance majeure.

II. Un environnement instable

A. Leur implantations géographique et le poids relatif de ces pays dans les relations globales

La région baltique se caractérise par des enjeux qui sont propres à sa configuration géographique : la mer Baltique est une mer quasi fermée, de faible profondeur et entourée par 9 pays riverains. La navigation est difficile et ne peut être assurée que par des bateaux de faible tonnage. Le trafic maritime est essentiel mais limité par manque de voies navigables conséquentes vers le reste de l’Europe. De plus, toutes les dynamiques en jeu dans la région sont fortement influencées par la présence de la Russie qui demeure une menace permanente, notamment pour l’Estonie et la Finlande. Ces deux pays partagent des frontières terrestres avec la Russie de part et d’autre du Golfe de Finlande et limitent de ce fait la liberté de mouvement de la flotte Russe, entravant ainsi son libre accès à la mer. Cela contraint la Russie à s’appuyer sur Kaliningrad comme débouché primordial sur la mer même si le fait que cette enclave soit totalement isolée du reste du territoire russe rend l’utilisation de la flotte commerciale et militaire qui y stationne particulièrement complexe.

Le voisinage de la Russie n’est pas la seule difficulté à laquelle Estonie et Finlande sont confrontés. Au sein même de l’OTAN et de l’UE, les voix de ces deux pays comptent mais pèsent moins que celles de certaines puissances telles que les Etats-Unis ou la France qui demeurent des nations beaucoup plus influentes. Le poids économique, militaire et diplomatique relativement faible des deux pays les contraints à se doter de stratégies de collaboration et les pousse à s’engager fortement sur le plan géopolitique afin de pouvoir s’imposer comme acteurs importants dans la région baltique et plus globalement dans le monde entier.

Estonie et Finlande savent que, dans leur quête d‘influence, elles doivent se rendre indispensables au travers de nombreuses initiatives ambitieuses, comme par exemple en matière de hautes technologies mais aussi dans le secteur de l’énergie, cherchant ainsi à maximiser leurs atouts.

B. Se rendre indispensable : quelles ressources, quels atouts ?

Ce processus passe d’abord par la valorisation de leurs ressources et de leurs compétences particulières. Bien que ces deux pays aient des débouchés sur la même mer, leurs profils géographiques diffèrent considérablement. Si la foresterie est un domaine crucial en Estonie aussi bien qu’en Finlande, il s’avère que la Finlande figure parmi les dix principaux exportateurs mondiaux de bois. Quant à l’Estonie, elle exporte majoritairement du gaz de schiste, ce qui représente pour elle un atout économique majeur, spécialement depuis son détachement en 2024 du réseau BRELL datant de l’Union soviétique.

Par ailleurs, ces pays offrent des savoir-faire particuliers et possèdent un tissu de structures et d’entreprises très spécialisées. 75% des revenus estoniens viennent du secteur des services dont elles exportent les méthodes et les technologies. Quant à la Finlande, ce secteur contribue pour 40% au PIB. Leurs économies sont ainsi très dépendantes de l’extérieur car la majorité de leurs revenus vient d’exportations et d’échanges commerciaux avec d’autres pays de l’UE.

De plus, l’Estonie aussi bien que la Finlande, se veulent exemplaires en matière de développement durable. Les deux pays ont d’ailleurs comme objectif la neutralité carbone d’ici 2035 ce qui constitue un enjeu majeur, aussi bien sur le plan économique que politique. En développant des stratégies énergétiques compétitives, ces nations s’assurent une place dans un marché en pleine croissance tout en consolidant leur indépendance vis-à-vis de la Russie qui reste longtemps un acteur de la fourniture d’énergie pour le marché européen. Finlande et Estonie se sont doté progressivement de parcs éoliens offshore et de centrales hydroélectriques, notamment dans la région des lacs en Finlande : c’est une très grande ressource, précieuse pour un développement durable.

C. Investissements massifs dans le domaine militaire : au détriment de quels secteurs ?

Néanmoins, depuis une décennie, l’achat d’équipements militaires apparaît parmi les priorités plus urgentes des gouvernants estoniens et finlandais. En 2014, l’occupation illégale de la Crimée par l’armée russe a alerté la “communauté internationale”. Toutefois, les pays frontaliers de la Russie étaient devenus très vigilants depuis la guerre de 2008 en Géorgie, parfaitement conscients que l’attitude belliqueuse de la Russie présentait un risque significatif pour leur souveraineté. Les pays baltes ayant connu l’occupation soviétique, ils sont toujours restés particulièrement attentifs aux évolutions de la situation de l’autre côté de la frontière et c’est pourquoi la possibilité de voir leur souveraineté menacée une nouvelle fois les a poussés à augmenter leurs budgets militaires et à demander des troupes otaniennes sur leurs territoires dès 2015. Si en 2013 l’Estonie consacrait déjà 1,9% de son PIB à la défense, elle a augmenté régulièrement ses budgets pour atteindre 2,1% en 2016 et, suite à la relance de l’invasion de l’Ukraine, jusqu’à atteindre 3,43% du PIB en 2024.

En Finlande, le processus demeure opposé jusqu’en 2022. Après la Guerre froide, de nombreux pays européens réduisent leurs dépenses militaires, privilégiant des investissements dans le secteur public. A la suite des deux guerres mondiales et après 40 ans d’instabilité durant la deuxième moitié du XXème siècle, ces pays ont considéré qu’un surarmement était sans doute superflu. Les évolutions finlandaises en la matière sont exemplaires : en 1992, le budget de la défense atteint 1,9% du PIB mais décline progressivement jusqu’à chuter à 1,3% en 2021. Ce qu’on appelle « les dividendes de la paix », cette sensation de sécurité et de prospérité, concept bien connu dans les pays occidentaux depuis 30 ans, va leur coûter cher.

Ce n’est qu’à partir de 2022 que de nombreux pays occidentaux ont réinvesti massivement et recommencent à allouer des sommes considérables dans le domaine militaire. En Finlande, le budget consacré à la défense est passé de 1,3% du PIB à 2,4% en un peu moins de deux ans. Ce pays, qui n’est membre de l’OTAN que depuis le 4 avril 2023, a surpassé en termes de dépenses la grande majorité des autres pays européens membres depuis plusieurs années.

III. « En temps de paix, on pense au service public. En temps de guerre, on ne pense qu’à la guerre”

A. Le rôle fondamental de l’éducation dans le maintien de la paix

Si l’éducation est un pilier de la société en créant les conditions d’un accès égalitaire des citoyens aux opportunités qu’offre un pays libre, elle joue aussi un rôle fondamental dans le maintien de la paix. En garantissant un accès universel à la scolarisation, les États possèdent une vraie capacité de former leur population afin de bâtir un futur durable. L’éducation est un vecteur de valeurs démocratiques et pacifiques, elle favorise une participation citoyenne à la vie de la nation et permet de renforcer la viabilité des institutions étatiques. Une grande démocratie, c’est une population bien éduquée offrant la garantie d’une société plus engagée politiquement et d’une élite capable de faire perdurer les valeurs fondamentales qui servent de socle à son fonctionnement.

Cet enjeu est bien compris par l’Estonie et la Finlande qui considèrent l’enseignement comme un levier, tant pour la démocratie que pour l’économie. En investissement dans l’éducation, elles s’assurent aussi une exportation de leurs savoir-faire de haut niveau qui à leur tour génèrent des revenus importants. Grâce à la globalisation des 30 dernières années, l’Estonie et la Finlande sont devenues deux puissances de l’éducation et des technologies. De nombreux experts, chercheurs, étudiants s’y rendent chaque année pour se nourrir des savoir-faire spécifiques développés localement. Fred Darvin dans « La meilleure éducation au monde ? Contre-enquête sur la Finlande » (éd. L’Harmattan, 2013) définit ces migrants comme des « touristes éducatifs » et dénonce la forte compétitivité qui s’est installé depuis une décennie parmi les instituts finlandais. Rapidement, cet atout économique est devenu un enjeu majeur pour les gouvernements qui semblent être plus intéressés par le statut du pays à l’international que par le système éducatif lui-même.

Par le prisme de la montée des tensions et d’une globalisation qui rend les pays toujours plus acharnés dans l’affirmation de leur souveraineté respective, on se demande comment il est possible de garantir un État providence solide si les intérêts économiques et militaires deviennent prioritaires.

B. Comment peut-on garantir un État providence quand la guerre gronde aux frontières ?

Historiquement, les États providence naissent en période de crise car ils répondent à des nécessités qui se manifestent plus spécifiquement dans des contextes difficiles. La Grande Dépression des années 1930 entraîne des réformes majeures (dont le New Deal) aux États Unis ainsi que les « politiques de plein emploi » en Scandinavie. Face aux crises économiques et sociales, les États prennent conscience des difficultés que rencontrent la population et structurent les institutions pour protéger les citoyens les plus faibles.

Néanmoins, la tendance semble s’inverser de nos jours. Maintenir un haut niveau de générosité de l’État providence est coûteux et « superflu » face à des menaces bien réelles comme celle que représente la Russie. Plusieurs États ont progressivement réduit leurs investissements dans le secteur public et favorisé le développement du secteur privé afin de consacrer plus de ressources pour les besoins de la défense. Mais en se préparant à la guerre, ils affaiblissent une structure dont ils auront besoin pour s’assurer une stabilité à la fin des (possibles) combats [1]. La guerre ainsi que la crise qui en découle entraînent une mobilisation massive des ressources étatiques sans pour autant permettre de rétablir après coup la stabilité perdue.

Lors de la crise financière de 2008, Finlande et Estonie ont mis en place des solutions innovantes pour réduire les répercussions sur leurs populations et leurs économies. Elles ont eu deux approches différentes sur le plan économique, la Finlande privilégiant l’intervention étatique et l’Estonie l’austérité. Les deux pays ont cependant mis en place des politiques sociales ciblées pour soutenir les catégories les plus faibles et pour contrer le chômage.

C. Ce que l’approche de la Finlande et de l’Estonie nous suggère du futur de l’UE

De nos jours, la situation s’annonce plus difficile à gérer. Ces pays doivent faire face à une récession économique ainsi qu’à une menace d’ordre militaire à leurs frontières tout en restant compétitifs dans le marché global. Si la crise de 2008 est un exemple de réussite nordique, les dernières évolutions des politiques intérieures en Finlande et en Estonie nous suggèrent un futur différent cette fois-ci.

La militarisation massive de pays traditionnellement neutres comme la Finlande est le témoin de l’instabilité et de la précarisation de l’environnement global. L’OTAN est en Europe le premier garant de la sécurité, un symbole de puissance et de protection pour les pays Baltes. Pour la Finlande, cette affirmation pose toutefois question, notamment depuis le 5 novembre 2024 et la réélection de D. Trump à la tête des Etats-Unis. L’incertitude sur les conditions de l’engagement américain auprès des Européens est bien présente dans les esprits. Les menaces de désengagement américain sur le Vieux Continent (Sommet de l’OTAN, Bruxelles, 2018) sont aujourd’hui plus pressantes que jamais.

Les conditions d’une intervention de l’OTAN en cas de conflit (article 5) étant actuellement soumises à questionnement par le président des Etats-Unis, la nécessité d’une défense européenne forte revient sur le devant de la scène diplomatique comme le demande l’Estonie avec force depuis 2014. Pourtant, ce projet est entravé par certains membres européens de l’alliance qui face à la crise privilégient leurs intérêts nationaux au détriment des intérêts de “la communauté internationale”.

*

Il est évident que, dans ce contexte de crise, l’Estonie et la Finlande, malgré leurs modèles de démocratie et de développement social, suivent une tendance européenne en réorientant leurs investissements du secteur public vers le domaine militaire. Les évolutions des deux dernières années illustrent cette adaptation, qui s’inscrit dans un cadre national et international de plus en plus complexe. Bien que ces deux pays soient confrontés au défi de la crise militaire actuelle, ils continuent également de mener des projets de développement économique, social et environnemental à long terme. Concilier ces enjeux, qui bien que distincts, s’influencent mutuellement, nécessite une stratégie soigneusement pensée pour l’avenir.

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