Israël à l’épreuve de la doctrine de l’America First

Israël à l’épreuve de la doctrine de l’America First

par Edouard Chaplault-Maestracci – Revue Conflits – publié le 22 mai 2025

https://www.revueconflits.com/israel-a-lepreuve-de-la-doctrine-de-lamerica-first/


Le voyage de Donald Trump dans les pays du Golfe a dessiné une nouvelle donne pour la région. Avec des espoirs de paix et de coopération.

Se félicitant de ce qu’il considérait comme le « plus grand comeback de l’histoire », Benyamin Nétanyahou voyait dans la réélection de Donald Trump, « le meilleur ami qu’Israël n’ait jamais eu à la Maison-Blanche »[1], la promesse d’un soutien absolu de Washington dans la guerre existentielle que l’état hébreu mène contre l’Iran et ses relais régionaux. Se voyant débarrassé des hésitations de l’administration Biden, le Premier ministre israélien imaginait alors une collaboration renforcée dans le but d’endiguer définitivement la menace iranienne et de venir à bout du Hamas dans la bande de Gaza.

La tournée de Donald Trump au Moyen-Orient, marquée par l’absence d’un détour par la capitale israélienne, signale toutefois une certaine réorientation de sa politique étrangère dans la région. Ce choix diplomatique, s’il ne doit pas être interprété comme un désengagement des États-Unis dans leur soutien historique à Israël, est révélateur d’une approche transactionnelle de la géopolitique, pilier de la doctrine de l’America First, conduisant Washington à faire primer ses intérêts nationaux au Moyen-Orient, quitte à écorner le statut d’allié particulier d’Israël que Nétanyahou pensait jusqu’ici intangible.

Cette redéfinition des priorités internationales se manifeste dans la communication du président américain sur la situation à Gaza et se lit également dans une stratégie diplomatique régionale à tendance bilatérale qui témoigne de certaines divergences d’intérêts entre Washington et Tel-Aviv.

Palestine : interpréter le récent adoucissement de la communication de Donald Trump

Avant même son investiture, Donald Trump faisait plier le Hamas en lui promettant « l’enfer »[2] si l’organisation terroriste ne libérait pas tous les otages retenus à Gaza depuis le pogrom du 7 octobre 2023. Se sentant acculé militairement et voyant dans une trêve la seule possibilité de conserver son pouvoir sur l’enclave palestinienne, le Hamas cédait et Donald Trump pouvait se targuer d’avoir obtenu son premier succès diplomatique avant même sa prise de fonction en annonçant la nouvelle dès le 15 janvier dernier : « Nous avons un deal pour les otages au Moyen-Orient. Ils seront bientôt libérés, merci ! ».

Dans la foulée, Trump présentait son projet contesté de transformer la bande de Gaza en « Riviera du Moyen-Orient », envisageant le déplacement des Palestiniens en Égypte ou en Jordanie afin de transformer l’enclave en station balnéaire de luxe. Soutenue par le Premier ministre israélien, cette idée s’est toutefois heurtée au refus conjoint de la Jordanie et de l’Égypte de recevoir la population gazaouie, à la réaction hostile de la très grande majorité de l’opinion publique, mais aussi aux réticences des pays du Golfe qui font de la cause palestinienne une condition sine qua non à la poursuite de la normalisation de leurs relations avec Tel-Aviv.

La reprise des hostilités entre Israël et le Hamas le 18 mars dernier a marqué un tournant dans la communication de Washington autant qu’elle a contrarié les efforts de Donald Trump dans sa quête d’une paix rapide et durable. Animé par la volonté de se désengager de certains conflits afin de se focaliser sur la menace chinoise qu’il considère comme le danger prioritaire ainsi que par son désir de se voir décerner le prix Nobel de la paix, le président américain a depuis infléchi son soutien médiatique au gouvernement israélien.

Interrogé le 17 mai dernier sur la situation à Gaza, Trump déclarait : « Nous devons aider les Palestiniens. Beaucoup de gens meurent de faim à Gaza, nous devons prêter attention aux deux partis »[3]. En prenant en compte pour la première fois la situation des habitants de l’enclave, Donald Trump donne un gage à ses partenaires du Golfe, bien conscient de l’importance qu’ils accordent au sort des civils palestiniens. Il semble par ailleurs que le changement d’attitude de Donald Trump soit à l’origine de la décision de Benyamin Nétanyahou d’autoriser l’entrée d’une « quantité de base de nourriture » dans la bande de Gaza. Selon le Wall Street Journal, le Premier ministre israélien aurait indiqué répondre ainsi aux pressions des « plus proches amis [d’Israël] dans le monde » ainsi qu’à celles de ses soutiens au Sénat américain[4].

Nouvelle approche

Parallèlement, Donald Trump s’abstient de faire pression sur les pays arabes concernant la reprise des pourparlers de normalisation afin de ne pas entraver la nouvelle dynamique des relations commerciales entre les États-Unis et les pays du Golfe. Cité par Le Figaro, l’homme d’affaires américain Karl Mehta résume cette nouvelle approche en soulignant que « le commerce remplace l’intervention militaire, les puissances régionales contrôlent leur propre destin, et l’Amérique soutient sans occuper »[5]. Une communication nouvelle qui venait ponctuer une tournée qui aura permis la sécurisation de nombreux accords pour un montant total estimé à 2 000 milliards de dollars[6].

Cette politique du deal s’étend au-delà des simples considérations commerciales. C’est ainsi que des discussions menées par des représentants américains ont abouti à la libération d’Edan Alexander, le dernier otage américain retenu par le Hamas. Ce « geste de bonne volonté »[7] du Hamas envers l’hôte de la Maison-Blanche n’a pas été suivi par la libération d’autres otages ni n’a impliqué de quelconque contrepartie américaine. Le recours à des négociations bilatérales, qui manifeste un certain découplage des intérêts américains et israéliens, a été dupliqué à d’autres problématiques régionales. Bien qu’il ne faille pas y voir un revirement idéologique, Trump n’envisageant pas la reconnaissance d’un état palestinien ou la cessation des livraisons d’armes à Israël, les initiatives régionales récentes du président américain sont clairement frappées du sceau de l’America First et semblent en passe de devenir le modus operandi de Washington en matière de politique étrangère.

Une bilatéralisation de la diplomatie régionale au détriment des angoisses existentielles d’Israël

Si Donald Trump n’a pas pris le temps de rendre visite à Benyamin Nétanyahou, il a néanmoins accordé un entretien d’un peu plus de trente minutes au président intérimaire syrien Ahmed al-Charaa. À cette occasion, le nouvel homme fort de Damas se serait engagé à normaliser ses relations avec Israël, mais aussi à apporter son concours à la lutte contre Daech. L’homme, dont le passé djihadiste suscite les réserves de la plupart des dirigeants internationaux, ne bénéficie pas de la confiance du gouvernement israélien. Donald Trump a surpris jusque dans son propre camp en accordant sa confiance à celui qui a passé 5 ans dans une prison irakienne après avoir combattu les troupes américaines.

La décision de Donald Trump de lever l’ensemble des sanctions financières américaines visant la Syrie a été vécue comme un camouflet par Nétanyahou, qui a lancé une campagne de bombardements en Syrie depuis la chute de Bachar el Assad, craignant notamment que les armes chimiques de ce dernier ne tombent entre les mains des nouvelles forces au pouvoir. Même si le Congrès américain doit encore valider la décision de Donald Trump, cette initiative ne rassurera pas Israël.

L’annonce d’un accord entre les Houthis et les États-Unis le 6 mai dernier illustre parfaitement la nouvelle approche de l’administration américaine quant aux enjeux régionaux. Après avoir menacé les rebelles yéménites : « l’enfer s’abattra sur vous comme vous ne l’avez jamais vu auparavant ! », Donald Trump avait déclenché une large opération de bombardements visant leurs positions. Depuis le 15 mars, ces opérations ont mobilisé plus de 2 000 bombes et missiles d’une valeur globale supérieure à 775 millions de dollars[8]. Si l’arrêt des bombardements soulage à court terme l’économie américaine, elle ne résout aucune des problématiques régionales que causent les Houthis. Leur « capitulation »[9], pour reprendre les termes du président américain, ne bénéficie qu’aux navires battant pavillon américain. Ainsi que le souligne Dana Stroul, ancienne responsable américaine de la Défense sous l’administration Biden, les Houthis « n’arrêteront pas de tirer des missiles sur Israël, le commerce maritime ne reprendra pas, et rien ne changera dans la guerre civile au Yémen »[10].

Face aux pays arabes

Si ces récents développements ont contrarié Benyamin Nétanyahou, le dirigeant se montre particulièrement inquiet des négociations en cours entre les États-Unis et l’Iran sur la question nucléaire. Le Premier ministre israélien voyait pourtant dans celui qui avait décidé, lors de son premier mandat, de se retirer de l’accord nucléaire de 2015, un soutien inestimable dans l’optique de l’adoption d’une stratégie offensive qui aurait pu permettre le bombardement des installations nucléaires de la République islamique d’Iran. Certains responsables israéliens indiquent que le moment serait idéal dans la mesure où les frappes israéliennes d’octobre 2024 en Iran ont largement amoindri le système de défense aérienne iranien[11].

L’issue de ces négociations reste cependant incertaine, l’Iran ne semblant pas prêt à abandonner toute recherche nucléaire alors que Pete Hegseth, secrétaire américain à la Défense, a affirmé que « l’Iran ne peut pas avoir d’arme nucléaire » se ménageant la possibilité d’une intervention militaire si les négociations devaient s’avérer infructueuses. Le New York Times rapporte par ailleurs que Donald Trump n’écarte pas non plus le recours à l’option militaire[12]. Une autre question pourrait toutefois se poser si un accord venait à être trouvé sans offrir suffisamment de garanties à Israël. Dans une telle situation, quelle serait la position des États-Unis si l’état hébreu décidait de déclencher une opération militaire d’envergure visant les sites nucléaires iraniens ?


[1] https://www.timesofisrael.com/liveblog_entry/netanyahu-calls-trump-greatest-friend-israel-has-ever-had-hailing-his-actions-in-past-2-weeks/

[2] https://edition.cnn.com/2025/01/07/politics/trump-warning-gaza-hostages-negotiations-inauguration

[3] https://www.reuters.com/world/middle-east/deadly-israeli-strikes-pound-gaza-trump-says-people-are-starving-2025-05-16/

[4] https://www.wsj.com/world/middle-east/israel-says-it-will-allow-food-into-gaza-for-the-first-time-in-months-834048a6?mod=world_lead_pos4

[5] https://www.lefigaro.fr/international/les-bonnes-affaires-de-donald-trump-au-moyen-orient-20250515

[6] https://www.whitehouse.gov/articles/2025/05/what-they-are-saying-trillions-in-great-deals-secured-for-america-thanks-to-president-trump/

[7] https://www.timesofisrael.com/thats-no-way-to-become-a-celebrity-video-shows-edan-alexanders-call-with-trump/

[8] https://www.nbcnews.com/politics/national-security/trump-operation-houthis-cost-1-billion-rcna205333

[9] https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20250506-🔴-oman-annonce-un-accord-de-cessez-le-feu-entre-les-houthis-du-yemen-et-les-états-unis

[10] https://www.nbcnews.com/politics/national-security/trump-operation-houthis-cost-1-billion-rcna205333

[11] https://allisrael.com/israeli-officials-concerned-about-possible-weak-us-position-in-nuclear-talks-with-iran

[12] https://www.nytimes.com/2025/04/16/us/politics/trump-israel-iran-nuclear.html