La cour de justice européenne s’attaque au temps de travail des militaires

La cour de justice européenne s’attaque au temps de travail des militaires

Un arrêt publié jeudi donne en partie tort à la France, qui défendait la singularité du statut militaire, et pourrait remettre en cause leur disponibilité «en tout temps et en tout lieu».


Les soldats de l'opération Barkhane lors du défilé du 14 Juillet sur l'avenue des Champs Élysées.

Les soldats de l’opération Barkhane lors du défilé du 14 Juillet sur l’avenue des Champs Élysées. LUDOVIC MARIN / AFP

Ce revers juridique inquiète l’armée. Dans un arrêt publié jeudi, la Cour de Justice de l’Union européenne vient de donner en partie tort à la France, qui défendait la singularité du statut militaire. La directive sur le temps de travail de l’Union européenne peut s’appliquer à certaines activités des soldats. Les membres des forces armées des États membres ne peuvent pas être «exclus, dans leur intégralité et en permanence, du champ d’application de la directive 2003/88», relève la CJUE dans la communication rendue publique jeudi. Le temps de travail des militaires pourrait être limité.

«Nous n’avons pas eu gain de cause», admet-on au ministère des Armées. «La France demandait la possibilité pour les États membres d’excepter intégralement à l’application de la directive», poursuit-on. L’unité du statut du militaire, disponible «en tout temps et en tout lieu», s’oppose «à la notion de découpage du temps de travail», ajoute-t-on.

Des tâches proches du salariat

Pour comprendre l’enjeu, il faut remonter à son origine. En 2014, un sous-officier slovène effectue «un service de garde ininterrompu de sept jours par mois» pour lequel il demande à être rémunéré en heures supplémentaires. Le contentieux ayant été porté devant les tribunaux, la cour suprême de Slovénie se tourne alors vers la CJUE pour décider de l’application ou non de la directive sur le temps de travail 2003/88 à l’activité militaire. Selon le traité de l’Union européenne, les affaires de sécurité relèvent de la compétence des États. Mais les appréciations diffèrent entre les pays. La France, l’Espagne et la Slovénie ont défendu devant la juridiction européenne la spécificité de la condition militaire. L’Allemagne admet pour sa part la distinction des activités.

L’affaire est complexe. Mais le dossier est suffisamment sérieux pour avoir été suivi par le ministère, l’état-major et même l’Élysée. «Je crois à la voie européenne quand je la comprends», a prévenu le chef de l’État Emmanuel Macron mardi soir, alors qu’il défendait le statut militaire. «Ce qui permet d’assurer constamment la sécurité des Français et des Européens, c’est précisément ce principe de disponibilité en tout temps et en tout lieu des militaires. Est-ce qu’on imaginerait que l’ultima ratio de la Nation ne puisse agir pour des raisons liées au temps de travail ?», expliquait en février devant le sénat la ministre Florence Parly. «Le soldat ne peut pas être salarié et militaire, c’est un seul bloc», confie le député LREM Jean-Michel Jacques, qui voudrait faire inscrire dans la constitution cette singularité.

Au bout du compte, la CJUE reconnaît que certaines missions militaires relèvent de la seule décision des États et de leurs intérêts. En opération ou en cas de «contraintes insurmontables», les armées peuvent déroger au temps de travail. Mais la Cour énumère aussi certaines tâches qui s’apparentent à un salariat presque normal, notamment «celles qui sont liées à des services d’administration, d’entretien, de réparation, de santé, de maintien de l’ordre ou de poursuite des infractions». Elles «ne présentent pas, en tant que telles, des particularités s’opposant à toute planification du temps de travail respectueuse des exigences imposées par la directive 2003/88, à tout le moins tant que ces activités ne sont pas exercées dans le cadre d’une opération militaire ou au cours de sa préparation immédiate», lit-on dans la communication de la CJUE.

Remise en cause de l’unicité du statut

En modifiant l’appréciation du temps de travail des militaires, l’arrêt risque de détricoter l’ensemble du statut. Celui-ci prévoit en effet des compensations aux astreintes de la fonction. «L’unité du statut est un facteur de cohésion. Le général et le soldat partagent le même principe de disponibilité», souligne-t-on au ministère.

Jeudi, le ministère des Armées se montrait prudent sur les suites de ce bras de fer juridique. «Nous allons faire une analyse précise» de l’arrêt, dit-on. Aucun recours n’est possible contre l’arrêt de la CJUE. Si un contentieux émerge en France, le conseil d’État pourrait avoir son mot à dire. Au ministère, on n’exclut pas non plus une «initiative» pour modifier la législation européenne. «Nous allons répondre au droit par le droit».

Face à cette épée de Damoclès juridique, le ministère tentait de dédramatiser. «Il n’y a aucune demande sociale, au contraire, les militaires sont attachés à la préservation de l’unicité de leur statut», assure-t-on. Mais il suffira d’une plainte.