La marine chinoise étoffe sa présence dans le Pacifique Sud

La marine chinoise étoffe sa présence dans le Pacifique Sud

Credit:CHINE NOUVELLE/SIPA/2212201721

par Alex Wang – Revue Conflits – publié le 13 mars 2025

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La Chine déploie sa flotte dans le Pacifique Sud, ce qui inquiète l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Cette rivalité maritime témoigne de la volonté de la Chine d’être de plus en plus présente sur les mers.

Face aux Quad et Aucus, la Chine renforce progressivement sa présence maritime dans le Pacifique Sud, une région clé pour le commerce mondial et la sécurité stratégique. La zone située entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande ne fait pas exception, notamment en raison de son importance géopolitique et des liens historiques de ces deux pays avec les États-Unis et leurs alliés.

Une présence inhabituelle

La flottille chinoise, comprenant le navire de ravitaillement Weishanhu, la frégate de type 054A Hengyang et, surtout, le croiseur de type 055 Zunyi, se trouvait dans les eaux internationales entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande .
Le Zunyi, navire phare de cette formation, est équipé de 112 tubes de lancement vertical pouvant tirer une large gamme de missiles : surface-air HHQ-9 et HHQ-16, antinavires YJ-18A et de croisière CJ-10. Il dispose également de capteurs avancés, dont un radar AESA multifonction de type 346B et deux sonars de haute technologie. Cette puissance de feu dépasse de beaucoup celle de la marine australienne.

Une présence aux multiples significations

En déployant ses navires dans les eaux internationales entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande, la Chine revendique le droit de naviguer en haute mer conformément au droit international. Face aux opérations de Freedom of Navigation menées depuis des années par les États-Unis, l’Australie et leurs alliés, cette initiative s’inscrit dans une logique de réciprocité.

Une marine hauturière en pleine ascension

Au-delà de cette réciprocité, dans un contexte de tensions croissantes entre la Chine, les États-Unis et l’Australie, Pékin envoie également un message stratégique : sa marine a désormais la capacité d’opérer dans ce qui fut longtemps considéré comme l’arrière-cour de l’Occident.
Avec 340 navires contre 290 pour la marine américaine, la Chine s’impose comme la première flotte mondiale en nombre d’unités . Sa capacité de construction navale, plus de 200 fois supérieure à celle des États-Unis, lui permet de mettre rapidement à l’eau de nouveaux bâtiments modernes tels que les destroyers Type 052D, les frégates Type 054A, les croiseurs Type 055, les navires amphibies Type 071, 075 et 076 sans oublier les sous-marins nucléaires d’attaque Type 093 et les sous-marins lanceur d’engins Type 094 .
Loin d’être limitée à ses eaux territoriales, la marine chinoise est désormais une force hauturière capable d’opérer à l’échelle mondiale, loin de ses bases et sur de longues durées, prête à remplir une large gamme de missions.

Pour l’Asie, c’est un monde qui change

L’apparition de navires de la marine chinoise dans des eaux où l’on a longtemps vu évoluer exclusivement les forces des États-Unis et de leurs alliés, dont la France, constitue un véritable choc pour le monde.

Ce déploiement n’est pas que militaire : c’est aussi un acte politique

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, une telle présence chinoise à ces latitudes restait extrêmement rare. Il s’agit presque d’une première depuis la guerre de l’Opium de 1840. Autrefois sous contrôle des puissances anglo-saxonnes qui avaient colonisé l’Asie-Pacifique, cet espace maritime voit désormais la marine chinoise y faire son entrée, marquant un tournant historique.
Ce déploiement ne saurait être interprété comme un simple exercice militaire. Il symbolise un changement profond : le monde d’hier n’existe plus.
Si cette dimension historique et symbolique échappe peut-être à certains lecteurs occidentaux, elle résonne profondément en Asie. Les réactions passionnées observées en Chine continentale, à Taïwan, à Hong Kong et dans plusieurs pays d’Asie du Sud-Est témoignent d’une mémoire encore vive, d’une plaie coloniale qui reste ouverte. Les réactions sont mitigées. Dans de nombreux pays, cette présence de la marine chinoise est perçue comme une victoire contre les anciennes puissances coloniales. Pour d’autres, notamment Taïwan, cela est perçu comme une menace. Cet événement qui a été très peu commenté en Occident est à l’inverse perçu comme un événement majeur en Asie.

Peu commenté en Occident, cet événement est perçu comme un acte majeur en Asie

L’avenir des opérations de liberté de navigation

Les opérations de Freedom of Navigation vont-elles se poursuivre ? Il est fort probable que la Chine aille continuer ses démonstrations, non seulement dans le Pacifique Sud, mais aussi dans l’Atlantique Nord et d’autres régions , afin d’affirmer son droit à naviguer librement sur les mers. De leur côté, les puissances occidentales ne renonceront pas facilement à cette pratique. Une extrême prudence sera nécessaire pour éviter tout incident susceptible de dégénérer en conflit majeur.

Le positionnement de l’Australie dans le Pacifique Sud

Jusqu’à présent, l’Australie exerçait une influence prépondérante dans le Pacifique Sud. Cependant, l’entrée en scène de la Chine remet en question cet équilibre. Comment Canberra envisage-t-elle l’évolution de son rôle face à cette nouvelle donne géopolitique ?

Vers une base navale chinoise dans le Pacifique Sud ?
La présence croissante de la marine chinoise dans la région pourrait bientôt nécessiter l’établissement d’une base d’approvisionnement permanente. Il est probable que la Chine ait déjà inscrit ce projet à son agenda stratégique.

L’évolution des budgets militaires australien et néo-zélandais

Face à ces évolutions, l’Australie et la Nouvelle-Zélande pourraient accroître symboliquement leurs budgets militaires dans les années à venir. Une réévaluation des priorités stratégiques pourrait même relancer le projet de sous-marins classiques franco-australiens, perçus comme mieux adaptés aux besoins régionaux que les sous-marins nucléaires imposés, dans une certaine mesure, par les États-Unis.

Un acteur clé face à une influence grandissante

Grâce à ses territoires d’outre-mer (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis-et-Futuna), la France est un acteur majeur du Pacifique Sud. Ces possessions lui confèrent une zone économique exclusive (ZEE) de plusieurs millions de kilomètres carrés, où elle maintient une présence militaire et politique significative.
De son côté, la Chine a renforcé son influence dans la région par des investissements massifs, des accords de coopération et une présence diplomatique accrue. Elle a signé des partenariats avec plusieurs États insulaires (Îles Salomon, Vanuatu, Kiribati, etc.), suscitant des préoccupations en Australie, en Nouvelle-Zélande et parmi les puissances occidentales, y compris la France.

Entre dialogue et tensions géopolitiques

Lors de la visite d’Emmanuel Macron en Chine en avril 2023, la déclaration conjointe franco-chinoise a évoqué la possibilité d’une coopération dans le Pacifique Sud, notamment sur des enjeux tels que le changement climatique, le développement durable, les infrastructures et la sécurité maritime. Cependant, cette coopération demeure largement théorique et soumise aux tensions stratégiques régionales.
L’envoi du porte-avions Charles-de-Gaulle pour participer à des exercices dans la mer de Chine méridionale illustre cette complexité. Cela a été perçu en Chine comme un acte de défiance.

Loin de l’Ukraine, ce sont donc d’autres tensions qui se déroulent dans le monde et la mer est devenue le lieu de ces affrontements diplomatiques, militaires et symboliques.