La Marine française appelle les flottes européennes à remplir les espaces laissés par les Etats-Unis
Meta Défense – publié le
La Marine française appelle les flottes européennes à remplir les espaces laissés par les Etats-Unis
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On le sait, les chantiers navals chinois lancent, chaque année, prés d’une dizaine de destroyers et frégates, ainsi que de nombreux autres navires y compris les plus imposants et modernes, destinés à venir grossir la flotte de l’Armée Populaire de Libération.
Pour y faire face, l’US Navy peut encore s’appuyer sur la masse et l’efficacité que lui confère sa flotte, ainsi que sur les moyens renouvelés de ses alliés régionaux comme l’Australie, le Japon ou la Corée du Sud.
Toutefois, dans les années à venir, et en dépit de l’augmentation de la production navale US, Washington va devoir concentrer toujours plus de ses moyens dans le Pacifique pour faire face à la montée en puissance de l’APL, réduisant de fait sa présence sur d’autres théâtres, non moins exposés.
C’est précisément pour anticiper ce basculement irrémédiable américain face à la Chine, que l‘Amiral Pierre Vandier, Chef d’état-major de la Marine Nationale, a appelé les Marines européennes à s’organiser pour venir combler les espaces libérés par l’US Navy, à l’occasion de la First Sea Lord’s Seapower Conference 2023 qui s’est tenue à Lancaster House les 16 et 17 Mai dernier.
Pour l’amiral français, il est non seulement indispensable que les marines européennes accroissent leur présence en Méditerranée comme dans l’Atlantique nord, leurs théâtres d’opération traditionnels, mais également dans le Golfe Persique et dans le nord de l’Océan indien, précisément pour permettre un désengagement de l’US Navy tout en maintenant une présence importante et dissuasive sur ces théâtres critiques pour l’approvisionnement des européens, notamment en hydrocarbures.
Au delà des déploiements eux-mêmes, l’amiral Vandier a également appelé à accroitre et renforcer l’interopérabilité des flottes européennes, tant au niveau technologique qu’opérationnel, de sorte qu’une flotte multinationale européenne puisse agir comme une flotte unifiée.
En améliorant cette interopérabilité et cette expérience commune, les déploiements européens seront dès lors bien plus efficaces et dissuasifs, en agissant comme une force navale unifiée de sorte à priver un adversaire potentiel d’une quelconque opportunité pouvant le convaincre de passer à l’action.
Reste que, si une telle coopération est évidemment souhaitable, elle sera, dans les faits, complexe à mettre en œuvre, tout au moins pour effectivement remplacer l’US Navy.
En effet, les Marines européennes sont avant tout conçues comme des flottes nationales, répondant à des impératifs de protection qui, s’ils prennent également en compte les besoins de l’OTAN, ne sont pas structurées pour la plupart pour les déploiements distants soutenus.
Ainsi, si les flottes européennes alignent presque une centaine de frégates et destroyers, autant que l’US Navy, elles ne disposent que de 5 porte-aéronefs, dont seulement 3 véritables porte-avions, et moins d’une dizaine de grands navires amphibies, moins de la moitié de la dotation de l’US Navy.
En matière de sous-marins, la situation est encore plus problématique, puisque sur la cinquantaine de sous-marins d’attaque en service, seuls 11 navires, 6 Astute britanniques, 4 Rubis (en comptant la Perle) et 1 Suffren français, sont à propulsion nucléaire donc adaptés à des déploiements distants et à l’escorte de Groupe aéronaval.
Surtout, les flottes européennes manquent cruellement de grands navires logistiques, capables de soutenir une flotte à la mer sur la durée, même si un effort évident est fait dans ce domaine depuis quelques années.
Qui plus est, chaque classe de navire ayant été construite sur des considérations nationales, leur interopérabilité au delà du partage de renseignement et d’engagement, est souvent faible, que ce soit dans le domaine des munitions, des pièces détachées, du parc aérien ou encore de la coopération électronique, par exemple pour mettre en oeuvre des procédures de détection multi-statiques conjointes.
Enfin, et c’est probablement le problème le plus difficile à résoudre, les marines européennes ne répondent pas à un commandement unifié ayant pour fonction d’en organiser les missions et l’allocation des moyens, chaque mission devenant un patchwork de moyens libérés sur des fenêtres de temps différentes par les Marines de chaque état, en fonction de leurs propres impératifs.
On peut ainsi se rappeler l’échec flagrant des marines européennes quant il fut question de déployer des éléments navals dans le Golfe persique en juillet 2019, après que l’Iran ait tenté d’arraisonner un pétrolier britannique, le British Heritage.
De fait, et comme l’a indiqué l’Amiral Vandier, les Européens doivent désormais s’organiser non seulement du point de vue opérationnel, mais organique et programmatique, s’ils entendent effectivement remplir les espaces qui seront laissés vaquant par l’US Navy dans les années à venir, y compris en s’engageant dans des programmes structurant permettant de déployer efficacement des forces navales sous commandement européen, au delà de leur périmètre opérationnel traditionnel.
On peut, à ce titre, se demander si le rôle des « grandes marines européennes », notamment britanniques et françaises, ne serait pas de renforcer leurs moyens exclusifs, sous-marins nucléaires d’attaque, porte-avions, grands navires amphibies et navires logistiques, plutôt que d’étendre leurs flottes de frégates et corvettes, laissant ces missions à des marines ne disposant pas de telles capacités ?