La Russie défie l’Otan en lançant sa plus vaste opération sous-marine depuis la fin de la Guerre froide
Les avions de patrouille maritime P-3C Orion de la base d’Andøya [Norvège] n’ont pas dû chômer ces derniers jours. En effet, selon le renseignement militaire norvégien, pas moins de dix sous-marins russes, dont huit à propulsion nucléaire, auraient appareillé de la presqu’île de Kola pour des manœuvres devant durer deux mois dans l’Atlantique-Nord.
Selon le média public NRK, qui cite des sources du renseignement norvégien, l’objectif de certains de ces sous-marins russe serait de naviguer le plus longtemps possible dans l’Atlantique-Nord sans se faire repérer. L’enjeu serait ainsi pour la marine russe de montrer qu’elle est en mesure de défendre ses bases tout en laissant planer une menace sur la côte Est des États-Unis.
Pour rappel, la Russie a plusieurs fois exprimé ses « préoccupations » face à « la participation active de la Norvège à la mise en œuvre des plans de l’Otan visant à accroître la présence de l’Alliance dans la région arctique ». En cause : la création d’une infrastructure destinée à accueillir des sous-marins de l’Otan, en particulier américains, près de Tromsø.
« Les Russes veulent dire que ‘c’est notre mer’, et que ‘nous sommes capables d’atteindre les États-Unis’. C’est le message qu’ils veulent nous envoyer. Ils veulent tester la capacité de l’Occident [dont de l’Otan, ndlr] à détecter et à gérer ce problème », a expliqué une source norvégienne à NRK.
Ces informations ont été confirmées par Brynjar Stordal, le porte-parole de l’état-major des forces norvégiennes. « Il y a actuellement une intense activité dans l’Atlantique Nord, et la Norvège, ainsi que d’autres pays de l’Otan, effectuent des missions de surveillance étroite dans les airs et en surface », a-t-il confié à l’AFP. Il s’agit de la « plus vaste opération de ce genre menée par la Russie depuis la fin de la Guerre froide, en termes de moyens engagés en même temps », a-t-il ajouté.
Pour le moment, Moscou n’a pas communiqué sur cette opération… Si ce n’est que le ministère russe de la Défense a annoncé, le 26 octobre, le départ en mission des sous-marins nuclaires d’attaque [SNA] B-534 Nijni Novgorod et B-336 Pskov, lesquels appartiennent à la classe Sierra II, pour « pour tester certains équipements et armement » dans les eaux neutres de la mer de Norvège. Avec leur coque en titane et affichant un déplacement de 8.200 tonnes en plongée, ces bâtiments ont été mis en service au début des années 1990. Ils peuvent emporter jusqu’à 40 torpilles.
Selon HI Sutton, un spécialiste des sous-marins, il est possible que B-534 Nijni Novgorod et B-336 Pskov aient été modernisés pour leur permettre de lancer des missiles de croisière Kalibr.
En outre, il était attendu que le sous-marin nucléaire lanceur d’engins [SNLE] Prince Vladimir [classe Boreï] effectue d’ici la fin octobre un tir de missile balistique mer-sol à capacité nucléaire Boulava dans le cadre de ses derniers essais avant son admission au service actif. Et HI Sutton a vu juste puisque, selon un communiqué du ministère russe de la Défense, cela s’est effectivement produit ce 30 octobre… mais pas depuis l’Atlantique-Nord mais depuis la mer Blanche.
Quoi qu’il en soit, le renseignement norvégien a fait savoir qu’il avait pu déterminer la position de certains sous-marins russes. Ainsi, deux d’entre-eux auraient été repérés à l’ouest de Bjørnøya, entre Svalbard et la côte du Finnmark tandis que deux autres navigueraient au sud et à l’est de Bjørnøya afin de surveiller l’entrée de la mer de Barents, située plus à l’est.
Cela étant, ce déploiement « massif » de sous-marins russes dans l’Atlantique-Nord, et plus particulièrement dans le passage dit GIUK [Groenland – Islande – Royaume-Uni] est de nature à inquiéter l’Otan pour ses lignes d’approvisionnement entre l’Amérique du Nord et l’Europe, à l’heure où l’US Army a entamé la rotation de ses troupes sur le vieux continent.
Ainsi, par exemple, ces derniers jours, deux navires de transport ont débarqué, à Zeebruge [Belgique] et à Volos [Grèce] près d’une centaine d’hélicoptères et 2.000 véhicules de la 3e Brigade d’aviation de combat. En outre, le Pentagone a planifié l’exercice “Defender” , qui verra l’arrivée de 20.000 soldats américains en Europe en 2020. D’où l’idée de créer un nouveau commandement au sein de l’Otan qui, inspiré de l’ancien SACLANT, aura à assurer la protection des navires naviguant en Atlantique-Nord.
« L’une des raisons pour lesquelles le passage GIUK est important pour la Russie est que, à partir de cette zone, sous-marins américains équipés de missiles de croisière Tomahawk peuvent frapper des cibles vitales en Russie. Les responsables militaires russes sont bien conscients qu’ils ne peuvent défier l’Alliance pour le contrôle de l’Atlantique Nord. Par conséquent, en période de crise ou de conflit, les moyens navals russes – principalement les sous-marins tactiques – chercheraient à empêcher que les navires des Alliés ne s’aventurent au-delà du passage », explique un rapport de l’Assemblée parlementaire de l’Otan [.pdf].
Or, le domaine de lutte anti-sous-marin a été quelque peu délaissé au cours de ces dernières années. Ce qui fait que l’Otan présente, dans son ensemble, des déficits capacitaires relativement importants. En effet, plusieurs alliés ont réduit, parfois significativement, leur flotte de sous-marins. Le Danemark n’a ainsi pas remplacé les siens, arrivés en fin de vie en 2004
Aussi, avance le rapport, « la capacité globale de l’Otan à mener des opérations de lutte ASM complexes a considérablement diminué. Un exercice sur table réalisé en 2017 a montré que ni les différents États membres, ni l’Alliance dans son ensemble, ne sont actuellement capables de mener une campagne de lutte ASM globale et coordonnée, que ce soit en temps de paix ou dans une situation de conflit. L’un des participants à l’exercice a indiqué qu’il faudrait au moins 50 jours pour constituer une force de lutte ASM efficace. »
Et d’ajouter : « Bien que l’OTAN soit encore en mesure de poursuivre des sous-marins isolés au niveau actuel des patrouilles russes, elle perdra bien vite cette aptitude si les tendances actuelles se poursuivent. En résumé, l’Alliance a perdu une grande partie de l’avance qu’elle avait acquise à la fin de la guerre froide. »