Les États arabes se rendent à l’évidence : seuls les États-Unis et leurs alliés occidentaux peuvent dissuader les Iraniens d’étendre leur influence au Moyen-Orient
Après des années de flottement, de tentatives d’établir de nouvelles alliances, de recherche d’une plus grande autonomie vis-à-vis de l’Occident, les pays du Golfe semblent se rendre à l’évidence : les tentatives de rapprochement avec l’Iran n’ont pas permis de contenir la menace de Téhéran que ce soit au Yémen, en Syrie ou en Irak. Au moment des choix cruciaux, les pays de la région se sont rangés du côté des États-Unis et de leurs alliés pour faire échec à l’attaque aérienne de l’Iran contre Israël.
Le pragmatisme qui guide la prise de décision des principaux dirigeants du Golfe a été le moteur de cette décision. Depuis les attaques du Hamas du 7 octobre contre Israël, les États de la région, à l’exception d’Oman très en pointe dans la dénonciation d’Israël, ont été très peu vocaux dans la condamnation de la riposte massive d’Israël. Ils se sont contentés pour la plupart à lancer des appels au cessez-le-feu, certains comme le Qatar se sont engagés dans la médiation entre Hamas et Israël pour l’instauration d’une cessation des combats et un échange des otages contre des prisonniers palestiniens, tous ont envoyé des aides humanitaires pour soulager la population de Gaza mais peu de voix se sont élevées pour condamner Israël.
Les attaques en mer Rouge, une menace prise au sérieux
L’entrée en action des Houthis en mer Rouge contre les navires supposés appartenir à des pays soutenant Israël a suscité de graves inquiétudes chez les Saoudiens qui ont concentré tous leurs projets futuristes sur cette façade maritime. Il en va de même pour les Égyptiens qui subissent des pertes considérables. L’une des principales sources de revenus du pays réside dans les droits de passage par le canal de Suez (8 milliards de dollards). La Chine non plus n’a pas réagi à ces actions qui entravent leurs échanges commerciaux. Ce silence est dû pour l’essentiel, côté saoudien, à la volonté de ne pas rompre le fragile équilibre de la trêve au Yémen et pour l’Égypte au désastreux souvenir de son engagement au Yémen dans les années 60.
Seules les marines occidentales et l’Inde ont permis tant bien que mal d’assurer la continuité de la navigation en mer Rouge. C’est une évidence et un signal fort envoyé aux alliés de la région, tentés un moment d’aller voir ailleurs.
Les limites de la diplomatie
La diplomatie a démontré ses limites. L’accord signé à Pékin en avril 2023 entre les Saoudiens et les Iraniens a permis certes de normaliser les relations entre les deux pays mais la méfiance est restée de mise. Aucun des problèmes liés à l’ingérence de Téhéran dans la région n’a été réglé. L’influence iranienne est patente auprès des Houthis du Yémen, comme elle l’est en Syrie, en Irak ou au Liban que ce soit directement ou au travers des différentes milices qu’il y a créées et qui sont sous le commandement de la force Al-Qods des Gardiens de la révolution iraniens.
Un des exemples les plus notables est la Syrie. La Jordanie qui a beaucoup œuvré avec l’Arabie de Mohammed Bin Salman pour la réintégration de Damas dans le giron arabe dans l’espoir de limiter les trafics de drogues (Captagon) et d’armes s’est rendue à l’évidence. Le régime de Bachar Al-Assad n’a tenu aucune de ses promesses et les milices proches du cercle familial du dirigeant syrien et de ses alliés iraniens ont même accentué leur trafic ce qui a nécessité l’intervention de l’armée jordanienne en territoire syrien.
La présence de Téhéran est partout dans l’arc de cercle qui va du Liban à l’Irak et au Yémen au sud. Dans ces conditions les craintes saoudiennes sont justifiées et ses espoirs de neutraliser l’influence iranienne déçus. De plus, les importantes capacités en termes de missiles et de drones développées par l’Iran ces dernières années et dont l’Arabie saoudite a subi les effets lors des attaques revendiquées par les Houthis en 2019 contre les installations pétrolières d’ARAMCO sont une source d’inquiétude. Les pays de la région souhaitent installer un système de protection antiaérien que seuls les Américains ou les Israéliens seraient capables de fournir.
Les Américains reprennent la main
De leur côté les Américains n’ont pas ménagé leurs efforts pour regagner l’influence perdue ces dernières années. Les visites à Riyad d’Anthony Blinken, Lloyd Austin, du Général Erik Kurilla, commandant du Central command, et d’autres hauts responsables américains se sont multipliées depuis le 7 octobre. Riyad est (re)devenu un interlocuteur majeur de Washington et a retrouvé sa place d’allié privilégié. Ce qui flatte l’ego de Mohammed Ben Salmane qui a avait été meurtri par le fait d’être traité en paria après l’assassinat de Jamal Khashoggi. La pusillanimité des Chinois réticents à s’engager en mer Rouge où pourtant leurs intérêts sont en jeu a fait le reste.
Dans ce contexte de fortes tensions, il n’est pas étonnant que les pays de la région aient choisi leur camp. Il est vrai que Washington dispose de trente mille militaires dans la région. L’aide non négligeable en termes d’engagement direct pour la Jordanie, d’autorisations de survols pour les aviations occidentales dans les autres pays, les renseignements fournis par les pays de la région traversés par les drones et missiles iraniens lors de leur attaque du 13 avril ont été d’une aide précieuse même si ces États se sont abstenus de tout commentaire sur l’aide fournie aux alliés occidentaux y compris Israël.
En participant activement à l’opération, la Jordanie a pris un risque important en allant à contre-courant de la majorité de sa population qui manifeste massivement devant l’ambassade d’Israël à Amman. Le Royaume hachémite avance l’argument de la défense de son espace aérien mais l’a autorisé aux chasseurs israéliens qui ont abattu un grand nombre de missiles et de drones au-dessus de la Jordanie.
Pour les pays de la région, la menace iranienne pèse très lourd dans la balance et les capacités ou la volonté d’action de la Russie et de la Chine sont encore loin de répondre aux attentes et aux impératifs de sécurité que ces pays attendent de leurs alliés.