Pour le chef d’état-major de l’armée de Terre, la « masse » n’est pas un sujet tabou

Pour le chef d’état-major de l’armée de Terre, la « masse » n’est pas un sujet tabou

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Après l’implosion de l’Union soviétique et la fin de la Guerre froide, la question de la « masse » ne s’est plus posée, les forces armées occidentales ayant privilégié la supériorité technologique [c’est-à-dire la qualité] aux dépens de la quantité. À vrai dire, ce choix a été le plus souvent dicté par des contraintes budgétaires… En tout cas, il s’est traduit par la suspension de la conscription dans plusieurs pays, dont la France.

Seulement, cette période n’a été qu’une parenthèse, le contexte actuel étant marqué par le retour de la compétition stratégique entre les puissances, la contestation du droit international et la guerre. Les dépenses militaires sont reparties significativement à la hausse et la question de la « masse » est de nouveau sur la table. Et cela d’autant plus que l’Otan encourage ses 32 États membres à renforcer leurs forces armées tant au niveau capacitaire qu’à celui de leurs effectifs, son objectif étant actuellement de pouvoir mobiliser plus de 300’000 hommes en moins de 30 jours.

D’où la décision de quelques pays de rétablir la conscription qu’ils avaient suspendue, afin de pallier, pour certains d’entre eux, leurs difficultés en matière de recrutement. Tel est le cas de la Lituanie, de la Suède, de la Lettonie et, plus récemment, de l’Allemagne. Le débat sur le retour du service militaire est ouvert en Pologne, en Roumanie et même au Royaume-Uni.

Pour le moment, en France, l’armée de Terre se tient à l’écart de cette tendance. Cependant, en 2015, elle avait déjà bénéficié d’une hausse assez substantielle de ses effectifs après la décision de porter sa force opérationnelle terrestre [FOT] de 66’000 à 77’000 soldats, afin de lui permettre de mener l’opération intérieure Sentinelle. Mais, à l’heure actuelle, il n’est pas question d’aller plus loin, même si le sujet de la « masse » n’est pas tabou. C’est en effet ce qu’a expliqué le général Pierre Schill, son chef d’état-major [CEMAT], dans les pages du numéro 96 de la revue DSI.

« La résurgence de la concurrence stratégique entre grandes puissances et du combat de haute intensité que des États envisagent impose de se poser de nouveau la question de la masse. Il ne s’agit pas ici d’opposer, mais bien d’équilibrer le rapport entre quantité et qualité, avec la conviction que le fil directeur de la réflexion réside dans la cohérence », a d’abord affirmé le général Schill.

Cela étant, les termes de ce débat se posent différemment en France, où le modèle d’armée, « complet », repose sur la dissuasion nucléaire, censée garantir l’intégrité de son territoire et, plus largement, de ses intérêts vitaux.

« La France a fait le choix de n’abandonner aucune capacité. Elle continue de couvrir ‘tout le spectre’. Elle a conservé une expertise dans chaque domaine et elle peut ainsi décider de monter en puissance sans avoir à reconstruire toute une filière : c’est un atout considérable », a d’ailleurs relevé le CEMAT.

Cependant, comme l’a écrit Antoine de Saint-Exupéry, on n’a pas à prédire l’avenir mais à le permettre. A priori, le général Schill s’inscrit dans cette logique quand il dit que « nous devons préparer un possible engagement dès ce soir ».

« À cet égard, il n’y a pas de tabou au sein de l’armée de Terre sur cette problématique récurrente de la masse. Il s’agit d’un débat ancien. Faut-il privilégier la quantité ou la qualité ? Porter l’effort sur des effectifs nombreux ou sur des unités resserrées très bien formées et équipées ? À mon sens, la réponse est de s’adapter au contexte et de conserver la possibilité de monter en puissance rapidement. La priorité est celle de la cohérence », a poursuivi le CEMAT.

Cette cohérence a deux dimensions : verticale et horizontale. Ainsi, un blindé « seul […] ne sert qu’à défiler », a-t-il ironisé. Pour qu’il puisse incarner une capacité, il lui faut un « environnement », c’est-à-dire les munitions, les pièces de rechange, le carburant et un équipage entraîné. C’est ce que doit permettre justement la Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30.

Ensuite, cette cohérence passe par la capacité à agir en « interarmes ». L’armée de Terre est « composée de nombreuses capacités qui doivent interagir pour manœuvrer. Je pense aux capacités de mêlée [infanterie, cavalerie, hélicoptères] mais aussi à celles d’appui [artillerie, génie], de soutien et de logistique. Un équilibre entre ces capacités est indispensable », a fait valoir le général Schill.

Cette cohérence doit servir de socle pour toute remontée en puissance éventuelle. Elle « précède la masse » et « ce dont nous disposons doit être ‘bon de guerre’ », a-t-il insisté.

Si jamais la situation l’exige, l’armée de Terre peut compter sur ses réservistes opérationnels, dont le nombre sera porté à environ 50’000 à l’horizon 2035. Mais le général Schill a également évoqué un possible recours à la réserve opérationnelle de 2ème niveau [RO 2], laquelle concerne les anciens militaires soumis à une obligation de disponibilité durant les 5 années qui suivent leur départ de l’institution.

« Au-delà de ses effectifs permanents, l’armée de Terre s’appuie sur des réservistes formés et entraînés, mais aussi sur d’anciens militaires d’active, pour disposer d’effectifs supplémentaires et renforcer son organisation au quartier comme en opération; elle contribue ainsi à la résilience de la Nation », a-t-il a souligné.

La RO 2 est « en mesure d’être engagée en cas de crise majeure », souligne l’armée de Terre. Seulement, comme il n’a jamais été mis en œuvre, ce dispositif est régulièrement testé lors d’exercices VORTEX, lesquels visent à recenser les anciens militaires d’active concernés, puis à les convoquer pour des formalités administratives et médicales ainsi que pour des séances de formation.

En mai 2022, selon le site interarmées des réserves militaires, la RO 2 était composée de 60’000 anciens militaires, ce qui constitue une ressource à ne pas négliger.

Photo : EMA