À Cherbourg, il est encore un peu tôt pour sabler le champagne. Mais les bouteilles sont déjà au frais à l’ombre des grandes nefs du chantier naval où sont construits, pièces après pièces, les sous-marins de Naval Group. L’ancien arsenal normand, qui voit défiler régulièrement des délégations de militaires étrangers, est en effet en passe de remporter un nouveau contrat d’ampleur avec l’Argentine selon la presse sud-américaine, qui se fait l’écho de discussions approfondies entre le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu et son homologue argentin, Luis Petri, justement reçu à Paris la semaine dernière.

Buenos Aires cherche en effet à renouveler une flotte totalement désuète et envisagerait donc l’achat de trois sous-marins Scorpène pour un montant d’environ deux milliards d’euros. Ce modèle est certes moins puissant que les Barracuda qui équipent la Marine française notamment, mais il intéresse beaucoup les pays émergents souhaitant s’équiper à moindres coûts.

C’est notamment le choix qu’a fait son grand rival dans la région le Brésil en 2009, en signant déjà avec Naval Group et l’État français pour s’équiper. En mars dernier, le troisième des quatre sous-marins Scorpène du programme ProSub était en effet mis à l’eau sur la base navale d’Itaguai, en présence du président brésilien Lula et d’Emmanuel Macron.

Après la perte du contrat australien, « nous avons revu notre stratégie« , dit Naval Group

Après la signature il y a quelques jours du contrat avec les Pays Bas, c’est donc un coup double qui se profile pour Naval Group qui empocherait l’affaire au nez des Allemands de ThyssenKrupp Marine Systems (TKMS), déjà battus sur le contrat batave.

«Ce contrat est une bonne surprise car les Pays Bas ne sont pas un client historique de la France. Ils regardaient plutôt vers TKMS. On voit que pour les sous-marins, plusieurs marchés se superposent. À côté des grands contrats très chers, du matériel plus petit avec un armement limité permet à des pays émergents de s’équiper à tarifs raisonnables», note Julien Malizard, titulaire adjoint de la chaire Économie de défense à l’IHEDN (Institut des hautes études de défense nationale), dans un long article à venir dans le prochain numéro de Capital (en kiosque fin octobre) où nous avons pu visiter l’installation de Naval Group à Cherbourg.

À cette occasion, la directrice du site, Muriel Lenglin, nous confiait justement que l’industriel s’était redimensionné après l’échec du contrat australien, torpillé par la nouvelle alliance géostratégique portée par les États-Unis et baptisée «Aukus». «Nous avons revu notre stratégie, mais cela n’a pas affecté nos résultats. Ici, avec les 5 000 salariés sur le site, nous réalisons 4,8 millions d’heures de travail par an. L’État français est notre principal client avec 70% du chiffre d’affaires (4,25 milliards d’euros en 2023, NDLR), mais notre objectif est d’équilibrer la répartition avec l’export», nous indiquait notamment Muriel Lenglin juste avant la finalisation du contrat avec les Pays-Bas.

Pour ce qui est du deal avec l’Argentine, une lettre d’intention serait en préparation même si le principal défi du gouvernement de l’ultralibéral Javier Milei, sera de boucler le financement de ce contrat.