Quelles avancées après 18 mois d’ « économie de guerre » ?

Quelles avancées après 18 mois d’ « économie de guerre » ?


Plus de 18 mois se sont écoulés depuis le lancement par le président de la République du chantier d’ « économie de guerre ». Le processus demande de la patience et reste semé d’embûches, mais les premières actions entreprises permettent déjà de « produire plus, plus vite et moins cher » en plusieurs endroits.  

« Ce n’est pas le tout d’avoir un objet ou un équipement qui compte, encore faut-il l’avoir dans des délais raisonnables, dans des prix raisonnables et évidemment, dans des contingences techniques qui sont aussi raisonnables », résumait le ministre des Armées Sébastien Lecornu, jeudi dernier lors d’un déplacement en région toulousaine auprès du droniste Delair. Cette équation, c’est celle que tente de résoudre la Direction générale de l’armement depuis une vingtaine de mois.

« Mes équipes et celles de mes collègues ne chôment pas », expliquait l’ingénieur général de l’armement Alexandre Lahousse, en marge du déplacement ministériel. Passé le sempiternel débat sur ce qu’est, doit être ou devrait être une économie de guerre, force est de constater le changement de cap instauré après le discours présidentiel du 13 juin 2022 au salon de défense parisien Eurosatory. 

DGA et industriels progressent de concert autour de cinq piliers : donner de la visibilité, simplifier, sécuriser les chaînes d’approvisionnement, recruter et garantir le financement, « parce qu’il faut de l’argent pour faire tourner toute cette belle mécanique », rappelle celui qui à la fois à la tête du service des affaires industrielles et de l’intelligence économique (S2IE) et chef d’orchestre du dispositif d’adaptation de la filière au sein de la DGA. 

Ce chantier « global » et « tentaculaire » nécessite de progresser simultanément sur chaque axe pour conserver l’équilibre et éviter de gripper ladite mécanique, pointe le représentant d’une DGA qui, elle aussi, se transforme et dont la réorganisation vient d’être publiée au Journal officiel. Et si certaines entreprises ont encore du mal à décoller, reconnaissait le ministre des Armées, la démarche produit de premiers résultats encourageants. Tour d’horizon tout sauf exhaustif et perspectives pour les mois à venir. 

« Faire autrement »

« La première visibilité que l’on donne à nos industries, à nos filières c’est la LPM [loi de programmation militaire] », rappelle l’IGA Lahousse. Dotée de 413,3 Md€ entre 2024 et 2030, cette LPM « de transformation et de cohérence » prévoit 16 Md€ pour consolider les stocks de munitions, 5 Md€ pour poursuivre la dronisation des armées ou encore 5 Md€ pour muscler la défense surface-air. « Cela donne une certaine vision du budget susceptible d’être capté pour les industriels, qui peut leur donner envie d’investir dans leur outil industriel ». 

L’enveloppe a permis d’anticiper quelques opérations dès l’an dernier, pour la plupart relevant du top 12 des matériels critiques établi au lancement des travaux. Ce sont les 109 CAESAR Mk II commandés auprès de Nexter, les 329 missiles MISTRAL, 1300 missiles MMP et plus de 300 missiles Aster commandés auprès de MBDA. S’y ajoutent « plusieurs dizaines de milliers de munitions commandées en deux lots courant 2023 ». L’ensemble relève de commandes globales matérialisant la visibilité demandée par les industriels et nécessaire pour muscler la production et réduire les délais. Combinée aux investissements sur fonds propres, la logique vient soutenir Nexter dans son objectif de production de huit CAESAR par mois au tournant de 2024-2025, soit le quadruplement de la cadence et la division par deux du cycle en l’espace de deux ans. 

« Le logiciel a un peu changé », constate l’IGA Lahousse. L’accélération est ainsi palpable grâce aux premiers engagements réalisés en activant un nouveau mécanisme d’acquisition réactive. Un levier activé avec Delair, bénéficiaire d’une commande de 150 drones UX11 et DT26 produits et livrés en quelques mois à l’Ukraine, mais aussi avec MBDA, chargé de fournir deux systèmes de défense sol-air VL MICA. Acquis l’an dernier sur étagère, ils permettront d’entamer le remplacement des systèmes CROTAL NG de l’armée de l’Air et de l’Espace. 

Exit certains processus chronophages, il s’agit maintenant de réagir à un besoin urgent en misant sur l’existant, à l’instar de ce drone intercepteur de drones RapidEagle que la DGA est parvenue à contractualiser en quatre mois avec Thales en vue d’une participation à la sécurisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris. Toujours dans la lutte anti-drones mais adaptée au domaine naval, la Marine nationale installe des boules optroniques de la gamme PASEO de Safran sur ses frégates multi-missions (FREMM), retour d’expérience des attaques perpétrées en Mer Rouge. « Un prototypage a été réalisé en décembre sur une des frégates présentes sur place. La DGA a placé un contrat en février pour étendre l’idée et équiper les autres frégates », explique le chef du S2IE. 

L’ingénierie des contrats évolue, bientôt illustrée par la commande annoncée de 2000 munitions téléopérées pour des livraisons réparties sur 2024 et 2025. Entre autres nouveautés, ce futur contrat comprendra autant une date ferme de livraison qu’une prime à l’avance. Livrer jusqu’à six mois avant la date butoir se traduira dès lors par l’octroi d’un bonus. « Importante », la prime le sera aussi dans l’attribution des tranches. : « au plus vous allez vite, au plus vous aurez de quantités ».

La commande de MMP actée en novembre dernier voyait aussi l’inclusion d’un nouveau mécanisme d’accélération, une clause qui autorise le donneur d’ordre à demander une hausse de la cadence de production atteignant jusqu’à 50% sans modifier le contrat. De quoi inciter à constituer des stocks d’approvisionnements longs dès l’attribution du marché « parce qu’ils ont la certitude de pouvoir les écouler vu que nous les achetons ». Idem pour le missile Aster, objet d’une « Tiger Team Aster » oeuvrant elle aussi à contracter les délais de production. Sujet sensible car relevant d’une coopération franco-italienne, l’objectif de réduction du cycle n’est pas encore pleinement défini pour ce segment. 

Les opérations intègrent par ailleurs une prise en compte croissante de l’analyse de la valeur, un compromis sur le cahier des charges qui garantit en échange une réduction des cycles et des coûts. Elle s’est avérée centrale pour un marché passé en décembre dernier pour 103 véhicules sanitaires. Plutôt que de concevoir un véhicule spécifique – méthode parfois longue et onéreuse -, l’analyse conduite avec les armées « a permis de réduire le besoin à la modification d’un véhicule existant. (…) Cela permet de réduire les délais d’acquisition de plus d’un an. Les coûts d’acquisition vont être divisés par deux, le soutien également ». Autre réussite de la force d’acquisition réactive mise sur pied par la DGA, ce marché se matérialisera par de premières livraisons dès cette année. 

Également appliqué pour l’acquisition des systèmes VL MICA, le principe sera étendu cette année à d’autres domaines, dont le futur bateau de guerre des mines de la Marine nationale, plusieurs drones et le futur Serval de lutte anti-drones.  

L’ingéniosité interne, enfin, est mise à profit. « Nous avons des ingénieurs, nous nous en servons », souligne l’IGA Lahousse. En témoigne ce projet conduit avec EURENCO et Nexter et trouvant un écho particulier au vu du contexte : le recyclage de charges propulsives utilisées sur les canons de 155 mm AUF1 et TRF1, d’anciens modèles retirés du service ou en passe de l’être. Une fois récupérée, la poudre est recyclée puis réutilisées dans les charges destinées aux canons CAESAR. « Assez important », le stock disponible a déjà permis de livrer plus de 10 000 charges modulaires – l’équivalent de plus de 1500 coups complets – à l’armée de Terre

Relocaliser, sécuriser, embaucher

La France cherche par ailleurs à réduire ses dépendances pour renforcer sa souveraineté et planche pour cela sur la réinstallation de certaines productions critiques pour les armées françaises sur son territoire. Emblématique et soutenue par le ministère, la relocalisation par EURENCO d’une ligne de production de poudre propulsive sur son site de Bergerac prendra prochainement corps avec la pose de la première pierre, jalon symbolique préfigurant une mise en route courant 2025.

Autre exemple avec Selectarc, retenu par Naval Group pour concevoir le futur sous-marin nucléaire lanceur d’engin de 3ème génération (SNLE 3G). Un projet soutenu par la DGA, qui relocalisera la production de baguettes de soudure au sein de l’entreprise de Belfort afin de supprimer une dépendance. L’unité de production sera opérationnelle pour la fin 2025. 

D’autres projets sont sur la table de la DGA, qui envisage « des annonces à court terme » sur plus d’une dizaine de relocalisations dans les domaines de l’impression 3D, de l’énergie, des matériaux. Quand les dossiers EURENCO et Selectarc ont été financés par le ministère car relevant exclusivement du domaine défense, les autres sont des projets duaux co-montés avec le ministère de l’Économie dans le cadre du dispositif d’appui « France 2030 ». 

Accélérer et sécuriser imposait de détecter et d’éliminer les fameux goulets d’étranglement, ces écueils susceptibles de grever un cycle de production. L’analyse conduite en 2023 parmi toutes les filières prioritaires liées « aux urgences du moment » aura permis de recenser 200 maillons faibles. Seuls 50 subsistent aujourd’hui. Entre réorganisation et gain de visibilité, les plus simples ont été traités en premier. Pour le reste, des moyens de remédiation plus importants sont « en train d’être mis en place » pour corriger ce qui peut relever d’une carence en machines ou en main d’oeuvre. Diagnostiquer est une chose, réparer parmi les 4000 acteurs de la BITD en est une autre et la DGA a donc mis en place plusieurs outils spécifiques. Elle a créé en 2023 un accélérateur opéré par Bpi France, chargé de mettre à disposition des capacités de conseil et d’ingénierie pour aider les PME à réorganiser leur production pour mieux accélérer.

La LPM tout juste engagée a mis en place des outils législatifs pour lesquels les décrets d’application sont en cours de révision au Conseil d’État. Ces textes participeront à leur tour à l’accélération en cadrant la priorisation des ressources, donc permettre à la production de défense de doubler celle destinée au monde civil dans la file d’attente d’un sous-traitant. Ils permettront aussi d’obliger certains industriels à monter des stocks de précaution. « Le ministre pourra prendre un arrêté qui obligera à garantir un stock de production suffisamment épais, non pas un stock mort mais un stock utilisé et recomplété pour avoir la garantie d’être en capacité d’accélérer », indique Alexandre Lahousse. 

La remontée en puissance de la filière implique, enfin, de mettre des gens derrière les machines. Or, et cela n’a rien d’une surprise, la BITD peinait déjà à recruter avant juin 2022. Fraiseurs, soudeurs et autres compétences critiques sont en pénurie, celle-ci venant handicaper la remontée en cadence. Entre autres efforts, la DGA conduira fin mars un premier salon de l’emploi virtuel centré sur la BITD. Un événement mis en place avec France Travail et qui rassemblera une petite centaine de recruteurs pour répondre aux problématiques de recrutements urgents touchant principalement les PME. Durant deux semaines, recruteurs et candidats pourront se retrouver dans des salles d’entretien virtuelles ouvertes dans toutes les régions de France. La démarche s’accompagne de la montée en puissance de la réserve industrielle, qui devrait compter plusieurs centaines de membres d’ici 2025.

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