La législation ITAR américaine s’invite à bord de l’Eurofighter Typhoon

La législation ITAR américaine s’invite à bord de l’Eurofighter Typhoon

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La législation ITAR américaine s’invite à bord de l’Eurofighter Typhoon


Certains des composants du Glass Cockpit qui équipera les futurs Eurofighter Typhoon Tranche 3, seront soumis à licence d’exportation ITAR américaine. Pourtant, cela ne semble nullement émouvoir industriels et observateurs des quatre pays membres du consortium Eurofighter.

À l’instar de très nombreux pays, les Etats-Unis supervisent finement les exportations de technologies de défense en provenance de leur outil industriel. C’est ainsi que toutes les exportations d’équipements majeurs doivent obtenir l’aval de l’exécutif, mais aussi celui d’une sous-commission dédiée appartenant à la commission des forces armées du Sénat américain.

Cette supervision s’étend également à des composants à vocation duale, c’est-à-dire pouvant être employés aussi bien pour la conception de systèmes d’armes, que pour celui d’équipements civils. Ces composants sont répertoriés dans une liste spécifique, obligeant les industriels d’obtenir une autorisation d’exportation spécifique comparable avant de pouvoir le faire.

Ainsi, en 2006, Boeing s’est vue infliger une amende de 15 m$, pour avoir vendu à l’exportation une centaine d’avions civils qui étaient équipés d’un capteur gyroscopique, par ailleurs employé par le missile AGM-65 Maverick américain, sans avoir préalablement obtenu l’autorisation de le faire.

AGM-65 Maverick missile
Le missile AGM-65 Maverick était équipé d’une puce gyroscopique inscrite sur la liste ITAR des composants à usage dual soumis à autorisation d’exportation.

La réglementation ITAR américaine

Cette liste est souvent désignée abusivement par l’acronyme ITAR. En effet, l’International Traffic in Arms Regulations, ou ITAR, englobe l’ensemble des règles législatives américaines encadrant l’exportation et l’importation d’armes ou de systèmes et composants assimilés.

Celle-ci fut promulguée en 1976, afin de protéger les industries et technologies américaines, et par ailleurs pour servir les intérêts des Etats-Unis sur la scène internationale.

Par l’ampleur et la position dominante des industries technologiques américaines sur la scène internationale, cette législation est devenue, au fil des années, un puissant outil aux mains de l’exécutif américain, pour davantage protéger ses intérêts économiques et politiques, qu’éviter que des technologies critiques ne fuitent à l’étranger.

En outre, la liste des composants concernés par cette réglementation est particulièrement dynamique, de sorte qu’un composant spécifique peut y être ajouté au seul jugement de l’exécutif, pour appuyer ses ambitions internationales.

C’est ainsi qu’en 2018, le président Trump a fait ajouter à cette liste, un composant de géolocalisation employé à bord des missiles de croisière Storm Shadow et Scalp, dans le seul but de faire dérailler les négociations en cours entre Paris et le Caire en vue de l’acquisition d’avions de combat Rafale supplémentaires.

ITAR Glass Cockpit Collins Aerospace Typhoon
Le futur Glass Cockpit de Collins Aerospace qui équipera l’Eurofighter Typhoon ne sera pas ITAR-Free

De fait, l’étiquette « ITAR-Free », c’est-à-dire dépourvu de composants soumis ou pouvant être soumis à la législation ITAR, est désormais devenue un argument de vente efficace pour l’exportation d’équipement de défense, notamment auprès de certains clients ayant une posture politique pouvant parfois diverger des attentes de Washington.

Avec son nouveau Glass Cockpit, l’Eurofighter Typhoon ne sera plus ITAR-Free

En dépit de la proximité politique et technologique des Etats-Unis avec les quatre pays membres du consortium Eurofighter (Allemagne, Espagne, Italie et Royaume-Uni) le chasseur Typhoon était jusqu’à présent ITAR-Free. Mais cela ne devrait plus être le cas des nouveaux chasseurs de la Tranche 3, et de la Tranche 4 à venir.

En effet, le britannique BAe vient d’annoncer que l’appareil européen serait dorénavant équipé d’un nouveau glass cockpit, à l’instar du F-35, avec un unique écran interactif couvrant l’ensemble de la planche de bord.

L’écran retenu par l’avionneur britannique est fourni par l’américain Collins Aerospace, et s’appuie en particulier sur un composant employé pour la sauvegarde des données, appartenant à la liste ITAR.

De fait, les prochains Eurofighter Typhoon équipés de ce cockpit avancé et modernisé, devront obtenir une licence d’exportation américaine avant de pouvoir être livrés, y compris, d’ailleurs, aux membres du consortium Eurofighter.

Rafale SCALP
Donald Trump fit ajouter à la liste ITAR un composant employé à bord du missile SCALP pour faire dérailler l’acquisition de Rafale supplémentaires par l’Égypte. Cela obligea MBDA à revoir l’électronique de navigation de son missile, et retarda la commande de plusieurs années.

Une contrainte assumée par les européens

Toutefois, le sujet ne semble pas particulièrement inquiété ni les industriels, ni même la presse spécialisée, que ce soit en Grande-Bretagne, en Italie ou en Allemagne. Seul le site espagnol Infodefensa a traité le sujet, tout en multipliant les superlatifs au sujet de la nouvelle avionique à venir.

On notera, à titre d’illustration, que le refus allemand d’autoriser la vente de 48 Typhoon supplémentaires à l’Arabie Saoudite, n’aura créé que des remous superficiels et de courte durée, dans les trois autres pays, en dépit des conséquences économiques et politiques que cette décision entrainait.

Dans les faits, à l’exception de l’industrie de défense française qui fait figure d’exception en Europe, aucun pays européen n’a développé d’offre industrielle orientée vers l’autonomie stratégique, et donc vers la conception de systèmes ITAR-Free.

Dès lors, les conséquences des arbitrages US, par ailleurs souvent impliqués directement dans les programmes majeurs de défense de ces pays, sont considérés comme normales, et ne donnent lieu à aucune tension particulière.

On comprend, dans ces conditions, les divergences de perception qui ont amené ces mêmes pays à privilégier un turbopropulseur de conception américaine plutôt que française, pour équiper le futur Eurodrone RPAS.